Agenda
Événements & colloques
Thèse de W. Bosch : Faire de la science en faisant du théâtre : une approche de la modification comportementale en art dramatique (Paris)

Thèse de W. Bosch : Faire de la science en faisant du théâtre : une approche de la modification comportementale en art dramatique (Paris)

Publié le par Romain Bionda (Source : Wilfried Bosch)

"FAIRE DE LA SCIENCE EN FAISANT DU THÉÂTRE : une approche de la modification comportementale en art dramatique."

                                     Par Wilfried Bosch

Discipline : Études Théâtrales.

Directeurs de thèse :    MM. le Professeur Katia Légeret et 

                                      M. le Professeur Philippe Tancelin.

Membres du Jury:         Monsieur Amos FERGOMBE

                                      Monsieur André HELBO

                                      Madame Martina BENAZZI

                                      Madame Nathalie COUTELET

Date prévue:                  Le   lundi 27 novembre 2017 à 14h00

Lieu:                              A  l'Université Paris VIIIBibliothèque 3ème étage - Salle 312

                                      (Accès par l’entrée du personnel face au Bâtiment B2)

 

RÉSUMÉ

Les arts et les sciences ont toujours pratiqué de subtils mélanges de savoirs et de savoir-faire. Il suffit de regarder le travail des grands peintres anatomistes de la Renaissance ou encore l’emploi des mathématiques par les musiciens les plus érudits pour s’en persuader. Désireux de réaliser les œuvres les plus remarquables en utilisant ce que la nature mettait à leur disposition, l’emploi de moyens scientifiques ou techniques avait pour objectif de « réduire » l’art à son principe naturel[1]. Ainsi, l’application d’un principe ou d’une loi – réduction de la nature –, devait permettre à l’artiste d’inventer, de créer, à partir de lois abstraites. Mais comme le souligne Edward Gordon Craig dans son argument pour une enquête sur l’absence de lois au théâtre[2], l’histoire de l’art dramatique ne témoigne pas de la même accroche scientifique. À défaut de preuves, d’écrits en attestant, nous pouvons cependant supposer que les élisabéthains ou les Grecs n’employaient pas moins des lois empiriques, dont nous sommes, dit-il, quand à l’effet quelles auraient eu sur les représentations, dans l’ignorance la plus totale[3]. De Craig indiquant cette recherche comme un devoir des générations futures[4], à Louis Jouvet disant : « on est obligé […] de faire de la science en faisant du théâtre[5] » ; en passant par Brecht ou Meyerhold, dont l’intérêt avéré pour les sciences objectives allait marquer les esthétiques respectives, nous pouvons constater que le théâtre du XXe siècle assume une relation avec la science sans pour autant, comme c’est le cas en peinture et en musique, affirmer une symbiose.  

L’objet de cette recherche en science de l’art est de questionner l’expérience esthétique du théâtre en matière de comportement humain et plus spécifiquement de modification comportementale. Directement en lien l’adaptation des individus à leurs contextes et en accord avec la sélection naturelle de Darwin, l’analyse des processus opérants sur le changement des conduites individuelles connaitra au XXe siècle, sous l’élan donné par des chercheurs tels que Pavlov, Thorndike, Watson puis Skinner, un réel développement scientifique. Nous empruntons les outils et savoirs de cette science, communément appelée science du comportement, afin de mener notre investigation. Cette dernière s’articule selon trois approches.

La première est une étude de terrain. Nous employons une méthodologie appelée « analyse descriptive » pour décrire les procédures de modifications comportementales d’après la pratique de trois directeurs d’acteurs de renommée internationale. Nous analysons les comportements qu’ils emploient pour diriger, à tour de rôle, dix jeunes acteurs[6] à partir d’une même œuvre : « La Mouette » d’Anton Tchekhov. Le caractère strictement factuel de cette approche propose une taxonomie des comportements des directeurs d’acteurs et permet de formuler, à partir des résultats, des hypothèses relatives aux diverses fonctions des comportements directifs dans un contexte de création esthétique et de construction du personnage. Les procédures et directives des metteurs en scènes sont ici appréhendées comme facteurs causaux partiels de la modification des comportements de l’acteur.

La seconde approche, propose principalement de voir comment l’émergence du behaviorisme et plus largement de ce que Vladimir Bekhterev[7] nomma la psychologie objective[8] allait, dans sa prise de distance avec une culture mentaliste, alimenter chez Bertolt Brecht le discours d’une fonction expérimentale du théâtre. Un théâtre de « l’âge scientifique[9] », évoqué comme scène de la recherche d’un changement du monde. En contraste avec la dimension matérialiste du théâtre brechtien, nous considérons en outre la vocation purement poétique de cet appel aux sciences par le « théâtre de sciences[10] », ainsi nommé par Michel Valmer. C’est-à-dire un théâtre sollicitant l’imaginaire du savoir scientifique plutôt que son contenu. Pour cela nous produisons l’analyse de « Mnémonic [11]», œuvre créée en 1999 au festival de Salzbourg par théâtre de Complicite, collectif dirigé par Simon McBurney.    

Enfin, la troisième approche aborde la question des processus de modification comportementale tels qu’ils sont décrits dans « La Mégère Apprivoisée » de William Shakespeare. Nous en rendons compte au moyen de l’analyse dramaturgique et de l’analyse descriptive (fonctionnelle) des comportements de la dite Mégère et de son « dresseur ». Notre outil d’analyse descriptive est à nouveau employé, mais cette fois afin de précisément rendre compte de la ressemblance saisissante, de longue date désignée par d’éminents experts du théâtre Shakespearien, entre les stratégies d’apprivoisement de Petruchio et les procédures des thérapies comportementales[12]. À partir des résultats obtenus, est initiée une discussion sur la relation symbiotique du théâtre avec un art du processus scientifique dont, quatre cents ans avant l’avènement de la science comportementale moderne, William Shakespeare aurait eu l’intuition.

 

[1] cf., RAMEAU, Jean-Philippe (1683-1764), Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels, Paris : De l'imprimerie de Jean-Baptiste-Christophe Ballard, 1722.

[2] CRAIG, Edward Gordon, Le théâtre en marche, traduction Maurice Beerblock, Paris : Gallimard, 1964, p.110

[3] CRAIG, Edward Gordon, Le théâtre en marche, traduction Maurice Beerblock, Paris : Gallimard, 1964, p.117

[4] Ibid., p.118

[5] JOUVET, Louis, Molière et la Comédie classique, Paris : NRF, 1965, p. 207.

[6] Tous issus du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (CNSAD)

[7] BECHTEREV, Vladimir (1857 - 1927), est un neurologue, neurophysiologiste et psychiatre russe.

[8] BECHTEREV, Vladimir, La psychologie objective, traduction N. Kostyleff, Paris : Éditions L’Harmattan, 2007, [1913], p. 23-25.

[9] BRECHT, L’art du Comédien, traduction J. Tailleur et G. Delfel, Paris : Éditions de L’Arche, 1999, p. 18.

[10] VALMER, Michel, Le théâtre de science, Paris : CNRS Éditions, 2005.

[11] COMPLICITE, Mnemonic, traduction Wilfried Bosch et Florient Azoulay, Paris : Les Éditions de la Table Ronde, 2012.

[12]BOYCE, Charles, Shakespeare A to Z, New York : Laurel, 1990, p. 626.