Essai
Nouvelle parution
Eddy Dufourmont, Rousseau et la première philosophie de la liberté en Asie : Nakae Chômin, traducteur du républicanisme français (1874-1890)

Eddy Dufourmont, Rousseau et la première philosophie de la liberté en Asie : Nakae Chômin, traducteur du républicanisme français (1874-1890)

Publié le par Marc Escola (Source : Eddy Dufourmont)

Qu’est-ce que la liberté, l’égalité et la démocratie ? Pourquoi faut-il être libre ?

En Asie, les Japonais des années 1870-1880 ont été les premiers à se poser ces questions. L’établissement d’un régime impérial autoritaire n’était pas une fatalité et le Mouvement pour la liberté et les droits du peuple animait les premières revendications démocratiques, dans un contexte de découverte enthousiaste de la culture et des institutions européennes. L’une des grandes figures de ce mouvement, Nakae Chômin (1847-1901), fut surnommé le « Rousseau de l’Orient » par son introduction de Rousseau et ses écrits défendant la liberté et la démocratie, le pacifisme ou encore l’abolition de la peine de mort. Mais il fut aussi le traducteur et l’introduction du républicanisme français, entreprise peu connue, qui visa à formuler une version japonaise du socialisme libéral. Cette tentative fut sous-tendue par une introduction de la philosophie européenne dont Chômin fut le pionnier.

Dans la perspective de l’histoire intellectuelle et du transfert culturel, à travers une démarche nouvelle, l’examen de l’œuvre de traduction de Chômin et de ses élèves, le présent ouvrage se propose d’analyser les modalités de cette introduction, le rôle de la traduction des républicains français, et d’inscrire celle-ci dans son contexte politique, philosophique et social. C’est toute la complexité de l’invention de la démocratie en Asie qui se révèle ainsi, puisque les débats qui animèrent le Japon des années 1870-1880 furent la matrice de toute la culture politique moderne du continent.

Eddy Dufourmont est maître de conférences HDR à l’Université Bordeaux Montaigne. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et traductions portant sur les idées politiques du Japon moderne et contemporain.

Sommaire

Introduction : Nakae Chômin, pour saisir les idées démocratiques en mouvement
1.    Le carrefour de la circulation des idées démocratiques en Asie de l’Est : le Japon du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple (1874-1890) et le rôle des journalistes-publicistes
2.    Comment analyser l’invention de la liberté chez Chômin et sa trajectoire comme médiateur ? Questions de méthode
3.    De nouvelles sources pour une nouvelle approche : contre l’« influence », valoriser la traduction, la médiation et la circulation transnationale des idées chez Chômin
L’histoire des idées au Japon et l’historiographie du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple
De nouvelles sources : les sources républicaines françaises de Chômin
La convergence de notre approche et de l’évolution historiographique

                             PREMIERE PARTIE
             La naissance de la démocratie en Asie : le Mouvement pour la liberté et les droits du peuple

Chapitre 1. La découverte de la philosophie dans le Japon des années 1870-1880.
1.1 L’introduction de la philosophie par la première génération des Lumières japonaises (1868-1875)
1.2 Le mouvement de traduction : une diffusion lente de la philosophie européenne
1.3 L’émergence d’un enseignement de la philosophie

Chapitre 2. Vouloir la liberté sans la connaître, les premiers discours sur les droits politiques

2.1 L’introduction des concepts de liberté, de loi et de droit sous l’égide de la philosophie anglophone
Les années 1850-1860 : Nishi Amane et Tsuda Mamichi
L’introduction des droits naturels au début des années 1870 : Fukuzawa Yukichi et les autres intellectuels de la Meirokusha
L’introduction des concepts de loi et de droit : de l’engouement pour le positivisme à celui pour Bentham

2.2 « Les droits attribués par le Ciel » : la lente naissance de la philosophie de la liberté des minkenka

Faire la révolution sans savoir ce qu’est la liberté : les premières années du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple
Le développement du discours sur les « droits attribués par le Ciel » entre 1874 et 1881
Les droits attribués par le Ciel face à la vague spencerienne à partir de 1881

2.3 La naissance difficile d’un espace public : les formes de la mobilisation et le cadre répressif

Les enzetsu (conférences) et tôron (débats) : le développement de l’art oratoire
Les kessha (associations)
La censure et l’appareil répressif du gouvernement des oligarques

Chapitre 3. Chômin, publiciste et philosophe minkenka : le cadre de sa trajectoire intellectuelle

3.1    L’âge des leaders d’opinion

La naissance du journalisme dans les années 1870-1880
Une conception du philosophe reprise de la France
L’héritage de l’époque d’Edo

 3.2 Les moyens matériels de Chômin : revues et maison d’édition

Le lieu de formation d’une équipe autour de Chômin : l’École des études françaises
Les revues de traduction : (Ôbei) seiri sôdan et autres
La maison d’édition : Nihon shuppan

3.3 Les moyens financiers et sociaux de Chômin, du fief de Tosa au Conseil des Anciens

                                              DEUXIEME PARTIE
Entre spiritualisme et matérialisme, une invention éclectique de la liberté

Chapitre 1. Spiritualisme ou matérialisme ? Chômin et la conception d’une philosophie rousseauiste pour le Japon

1.1    L’appropriation de la philosophie chez Chômin
Vitam impedere vero: un doute méthodique pour affirmer la vérité dans un monde nouveau
Un point commun des républicains français : rationalisme et rejet des religions.
Spiritualisme et matérialisme, une division binaire du champ philosophique héritée de la France
La synthèse comme méthode : la marque de l’éclectisme cousinien

1.2 La formation de l’homme libre chez Chômin, au prisme de Rousseau et contre le confucianisme
Des traductions et des sources affirmant la liberté individuelle
Prendre les hommes pour ce qu’ils sont : jinshin 人心, le « cœur humain », et la perfectibilité
Prendre les hommes pour ce qu’ils sont (2) : l’union de l’intérêt (ri 利) et de la justice (gi 義)
Une conception républicaine de la liberté et de la loi chez Chômin, à travers Philipp Pettit

Chapitre 2. Comment fonder la liberté ? L’application de l’éclectisme cousinien

2.1 Le siège de la liberté morale : cœur ou cerveau ? L’apport de la psychologie associationiste d’Alexander Bain, de Kant et du « spiritualisme officiel français »
Sensibilité, intelligence et volonté. Derrière Rousseau, l’usage de la psychologie écossaise pour définir la liberté
Définir la liberté morale : l’apport du « spiritualisme officiel français »
Le néo-kantisme au service de la République
Le détournement du confucianisme dans la traduction de La Morale dans la démocratie de Jules Barni
2.2. L’équidistance entre spiritualisme et matérialisme : rigi ou la naturalisation de la liberté
La liberté morale de Rousseau face au défi matérialiste ? L’apport de Véron et Lefèvre, la leçon d’Acollas
Kant, Rousseau et Mencius : la notion de rigi 理義, outil de la conciliation du spiritualisme et du matérialisme
Rigi et chikei dans la traduction de La Morale dans la démocratie de Jules Barni : la rencontre du néokantisme et du matérialisme évolutionniste au prisme du Mencius
L’idée-force selon Chômin. Un éclectisme comme équidistance entre spiritualisme et matérialisme, proche de Gabriel Compayré et d’Alfred Fouillée

Conclusion. Nakae Chômin, un moment dans la diffusion mondiale des Lumières