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Au coeur des savoirs : dialogue entre Histoire et Littérature en Espagne aux XVIème et XVIIème siècles

Au coeur des savoirs : dialogue entre Histoire et Littérature en Espagne aux XVIème et XVIIème siècles

Publié le par Marion Moreau (Source : Laboratoire LISAA EA 4120)

Au coeur des savoirs : dialogue entre Histoire et Littérature en Espagne aux XVIème et XVIIème siècles

Journée d'étude

10 octobre 2013

Université Paris-Est Marne-la-Vallée - 4ème étage du bâtiment copernic

 

L’intérêt qu’au cours de ces dernières décennies suscitent les relations entre Histoire et Littérature témoigne de la pertinence d’une réflexion qui, tout en reconnaissant la spécificité de deux pratiques scripturales n’en reconnaît pas moins leur porosité. Dès l’Antiquité, Aristote, et avant lui Hérodote mais surtout Thucydide, ont exprimé cette quête de vérité qui a amené à distinguer deux types d’écriture. Histoire et poésie[1] s’érigent toutefois comme deux champs, non pas tant d’un savoir distinct que d’une écriture obéissant à des lois et à des finalités différentes. En effet, l’opposition entre vérité et mensonge est inopérante à cet égard. Pour Thomas d’Aquin, on pouvait trouver dans le discours de fiction aliqua figura veritatis. Ainsi, les dernières décennies du XXe siècle ont vu paraître un certain nombre de travaux qui, de Paul Veyne (Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1971) à Paul Ricœur (Temps et récit, Paris, Seuil, 1983) pour ne citer que deux grands noms de la pensée critique, ont interrogé d’une manière jugée provocatrice en ses débuts, les relations entre histoire et littérature. À l’heure actuelle, Carlo Ginzburg (À distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire, Paris, Gallimard, 2001) est un des principaux continuateurs de cette réflexion. Ce sont également ces relations entre histoire et fiction dans le domaine littéraire, cinématographique et musical qu’une équipe du LISAA a interrogé à l’occasion d’un colloque en 2010.

Explorer les relations qu’en Espagne entretiennent Histoire et Littérature s’avère particulièrement fécond. La parution de l’ouvrage de Dominique de Courcelles Écrire l’histoire, écrire des histoires dans le monde hispanique (Paris, Vrin, 2008) témoigne de la pertinence de cette réflexion dans le cadre hispanique. Depuis l’Espagne wisigothique, l’histoire est avant tout une pratique d’écriture où le passé fait l’objet d’une mise en intrigue que l’on observe en différents lieux et dans des textes relevant de genres forts différents. Le discours littéraire est par conséquent le seul à pouvoir se charger d’une contre histoire face à un discours essentiellement apologétique et légitimant. Les grands bouleversements historiques, géopolitiques, les profonds changements qui affectent la péninsule dès la fin du XVe siècle ont trouvé un écho retentissant dans le domaine des Arts et des Lettres. Dans le cadre de son séminaire de recherche « Littérature et événement » (Paris IV, CLEA, 2008-2011), Mercedes Blanco a examiné la mise en forme de l’événement historique dans les textes littéraires d’une part, mais aussi les effets de l’histoire dans la littérature. Notre journée d’études s’inscrit donc dans le droit fil de ces recherches et nous nous proposons d’interroger à notre tour à cette occasion les modalités d’un débat qui nous invite à considérer l’écriture de l’histoire à la croisée du discours littéraire et du discours historique.

La nécessité d’un discours de vérité historique ne saurait être dissociée de la naissance de la littérature. L’exploitation faite par la littérature d’un certain nombre d’événements (soulèvement des Comunidades en Castille, sac de Rome, expulsion des morisques …) atteste la fécondité d’une relation qui ne révèle pas tant l’empire de l’Histoire sur la Littérature que la capacité narrative de la matière historique. Qu’il s’agisse d’événements, de personnages, de types historiques, d’intrigue, la littérature confirme une dette qui signe l’identité des Lettres hispaniques, dont la littérature picaresque est sans nul doute la meilleure expression. La relation entre Histoire et Littérature favorise ainsi un processus de perméabilité des discours dont la frontière peut être plus ou moins visible en fonction des intérêts qui y président. Elle est l’expression d’une expérience humaine qui s’attache à offrir selon la manière de l’auteur (historien ou artiste) un spectacle du monde et de ses valeurs, esthétiques, idéologiques, politiques …

Nous souhaitons au cours de cette journée d’études, privilégier le dialogue qui unit les deux discours afin de mieux apprécier la fécondité d’une pratique discursive qui permet d’éclairer sous un jour nouveau l’émergence de la conscience du sujet et de sa modernité. Ainsi notre réflexion portera sur des aspects complémentaires de ce dialogue. Comment la confrontation entre Histoire et Poésie s’exprime dans les textes, quelle incidence va-t-elle revêtir dans la naissance des genres littéraires ? Comment, d’autre part, la mise en récit de l’histoire participe de la formation d’une conscience non seulement nationale, mais aussi individuelle et artistique ? D’un point de vue formel, on se proposera d’étudier les différents procédés de mise en discours de la matière historique ainsi que les dispositifs permettant son inscription dans un autre type de discours. En outre, tout comme le discours historique use de procédés littéraires au moyen desquels il se soustrait à ce que nous appelons désormais littérature, il pourra être intéressant d’identifier les stratagèmes auxquels les auteurs du Siècle d’or recouraient pour tisser ensemble histoire et discours de fiction.