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Albert Camus et les vertiges du sacré

Albert Camus et les vertiges du sacré

Publié le par Charlotte Dufour (Source : Anne PROUTEAU)

APPEL A COMMUNICATION

"Albert Camus et les vertiges du sacré" (20-21 octobre 1016)

 

Présentation :

En définissant le numineux par l’alliance de la terreur et du sens révérenciel du mystère[1], Rudolf Otto mettait l’accent sur l’ambivalence constitutive du sacré. Cette ambivalence se retrouve chez Camus : l’esprit de révolte réplique à l’idée d’un écrasement de l’homme par des forces qui le débordent, mais l’œuvre n’ignore pas la fascination de ce débordement, même si le discours qui l’accompagne  le maintient résolument hors de la sphère du surnaturel. À première lecture, il semble que le rejet du sacré et de sa puissance d’écrasement se concentre dans la critique de l’esprit religieux et de ses transferts dans la sphère politique, tandis qu’une ivresse aux tonalités sacrées trouve pour terrain d’élection le chant de l’extase cosmique. La sacralisation du politique, autrement dit, susciterait une transcendance illusoire mais incarnée dans les figures bien réelles du césarisme et génératrice de dévouements aveugles et sanglants ; la sacralisation panthéiste des ivresses cosmiques cristalliserait en revanche les aspects bénéfiques d’une dilatation de l’être dans la lumière., qui participe de cette recherche constante de l’unité.

À bien y regarder cependant, la distinction entre un sacré pervers et un sacré dynamisant est plus complexe, contestant leur distribution en des sphères nettement délimitées. Camus n’ignore certes pas la grandeur ni la fécondité du don de soi, sacrificiel, à une cause et surtout à une communauté combattante, pas plus qu’il n’édulcore la violence brutale qui traverse l’accord aux forces cosmiques et les abandons euphoriques à la vie, l’ « affreuse et adorable vie » du Premier Homme. De surcroît, il semble que du sacré lui-même jaillisse le sens de la limite, le principe de mesure qui contrecarrent ses propres égarements : aux fureurs politiques et terroristes, la terreur révérencielle du sang versé oppose des interdits puissants, laissant entendre que la victoire de l’esprit de mesure est à chercher du côté d’un assainissement ou d’une réorientation du sens du sacré, plutôt que de son étouffement. Et il est assez visible que cette réorientation prend pour horizon un respect de l’homme qui attire de façon frappante le vocabulaire et les images du sacré lorsqu’il ose se nommer amour – dans l’approche, en particulier, du mystère douloureux de la figure maternelle. Au-delà (ou à cause) de cette figure tutélaire, chaque vie humaine semble revêtir un caractère sacré qui ne paraît pas négociable.

C’est donc l’articulation complexe et évolutive, au fil de l’œuvre, des représentations positives et négatives du sacré qu’il conviendra d’examiner.

Quelques pistes :

Une réflexion sur le sacré camusien conduit nécessairement à s’interroger sur sa relation à des notions apparentées, celle de transcendance, celle de mystique, ou encore de mystère…

Le rejet du surnaturel, tout d’abord, semble contradictoire avec la définition même du numineux, qui postule l’intuition d’une réalité « tout autre », irréductible à l’ordre de l’humain et à celui du cosmos. Mais la définition phénoménologique de la transcendance, qui renvoie à l’approche d’une réalité extérieure à la conscience, peut offrir une voie d’accès à la pensée d’une transcendance inscrite dans l’ordre même de l’humain et de la relation interhumaine – les travaux de Levinas sur le désir dit métaphysique peuvent être éclairants à ce sujet[2].  

Quant aux interrogations que soulève l’expression d’un sens du sacré dans un rapport au cosmos récusant tout autre perspective que l’immanence de la condition terrestre, elles peuvent être stimulées par les tentatives de définition d’une mystique « sauvage », au fil du siècle écoulé, depuis l’évocation par Romain Rolland d’un sentiment océanique jusqu’au livre récent de Michel Hulin[3] qui dégage les traits communs d’ « extases laïques », extérieures à un cadre religieux prédéfini et accompagnées de l’impression d’accéder au mystère du monde dans une forme de connaissance par participation.   

C’est dans un cadre, par essence fugitif, qu’est reçue l’expérience du sacré ; cette temporalité particulière en elle-même pourra se révéler une source féconde de réflexions et d’analyses.

Il conviendra également d’être attentif à la contextualisation de la sensibilité de Camus aux ambivalences du sacré : la genèse de cette sensibilité dans les premiers textes[4] , l’ancrage de ses réflexions et de sa création, romanesque et théâtrale, dans l’actualité convulsive du xxe siècle, ainsi que le déploiement dans son œuvre d’une vision de l’histoire invitent à aborder le problème de l’intrication de la violence et du sacré, dans sa double dimension historique et anthropologique.

Au cours des années cinquante, Camus, las des projets démonstratifs, souhaite envisager nouvellement la création ; les fragments des Carnets, dans cette période, témoigne des interrogations profondes qui animent alors l’écrivain au sujet du processus de l’écriture. Pourquoi écrire ? Comment écrire ? Le surgissement de l’œuvre littéraire s’apparente-t-il  à  une manifestation du sacré ?

À toutes ces questions se coordonnera l’analyse de la poétique du sacré dans l’œuvre camusienne :

Il peut être pertinent de considérer les formes que revêt cette relation (transcription scripturale)  du sacré. Comment qualifier la mise en texte, la mise en scène du sacré? Existent-ils des protagonistes, des figures du sacré ?

Comment ne pas évoquer aussi  le recours aux mythes – terrain privilégié de rencontre entre l’approche anthropologique et l’approche poétique. Si en effet, par définition, l’expérience affective du numineux échappe à l’ordre de la rationalité et de l’éthique,  quelles que soient les considérations secondes qui peuvent la ressaisir, elle sollicite l’approche par une pensée symbolique, qui en recueille les ambivalences et les obscurités. Or Camus ne se prive pas de puiser dans l’héritage de récits sacrés charriés au confluent des sources grecques et bibliques : le travail par lequel l’imagination poétique réactive la productivité symbolique qui les a engendrés méritera d’être observé, ainsi que le dialogue qu’il entretient avec l’effort de conceptualisation mené dans les essais philosophiques.

Enfin, ces analyses peuvent conduire à la reconsidération, par le biais du sacré, des influences avérées qu’imprimèrent sur Camus les présocratiques ou bien des romanciers admirés, tels Melville, Tolstoï ou encore Dostoïevski…

[1] Voir Rudolf Otto, Le Sacré (1917), Payot, coll. Petite Bibliothèque, 1995.

[2] Voir Emmanuel Levinas, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, La Haye, Nijhoff, 1961 ; Le Livre de Poche, 1990.

[3] Voir Michel Hulin, La Mystique sauvage. Aux antipodes de l’esprit (1993), 2e édition PUF, coll. Quadrige, 2014.

[4]  Voir Jacqueline Levi-Valensi, Albert Camus ou La naissance d'un romancier: (1930-1942), Gallimard 2006.

 

COMITE SCIENTIFIQUE :

  • Antoine Garapon, Magistrat, Secrétaire général de I’Institut des Hautes Études sur la Justice.
  • Raymond Gay-Crosier, Professeur émérite de Littérature française (University of Florida, États-Unis).
  • Hiroshi Mino, Professeur de Littérature française (Faculté des Lettres de l’Université de Nara-joshi, Japon), Vice-Président de la Société des Études Camusiennes.
  • Pierre-Louis Rey, Professeur émérite de Littérature française (Université Paris3-Sorbonne nouvelle).
  • Alain Schaffner, Professeur de Littérature française (Université Paris3-Sorbonne nouvelle).
  • Agnès Spiquel, Professeur émérite de Littérature française (Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis), Présidente de la Société des Études Camusiennes.

ORGANISATRICES :

Carole AUROY, Professeur de littérature française à l'université d'Angers

Anne PROUTEAU, Maître de conférences à l'Université catholique de l'ouest (Angers)

 

Merci d'envoyer votre proposition de communication avant le 30 mars 2016 aux adresses suivantes :

carole.auroy@univ-angers.fr

anne.prouteau@uco.fr