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Compte rendu du colloque Le Portrait (EHESS, fév. 2004).

Compte rendu du colloque Le Portrait (EHESS, fév. 2004).

Publié le par Marc Escola (Source : M. Parise)



Le portrait individuel : réflexions autour d'une forme de représentation du XIIIe au XVe siècle.

Colloque international.

École des Hautes Études en Sciences Sociales.

Paris, 6-7 février 2004.



Compte-rendu par Maddalena Parise, EHESS, Paris



Le colloque, qui a eu lieu grâce au soutien du Centre Allemand d'Histoire de l'Art et de la Fondation Maisons des Sciences de l'Homme de Paris et l'école doctorale Bild. Körper. Medium. Eine Anthropologie Perspektive (Karlsruhe) est le deuxième volet d'une série de manifestations franco-allemandes organisées par cette même école doctorale qui se proposent d'étudier les représentations du corps humain et, pour ce cas spécifique, de chercher à en éclairer " les champs sémantiques " au Moyen ge. Le portrait n'est donc pas examiné uniquement dans sa forme spécifique, mais aussi dans sa relation aux images du corps et de ses fonctions.



Ces deux journées d'étude ont été l'occasion pour réexaminer de près les problèmes fondamentaux liés à l'origine du portrait individuel. La proposition d'une différente orientation des études sur le portrait et la mise en question de son interprétation traditionnelle comme genre spécifique de la Renaissance, ont été le but principal de l'organisateur du colloque Dominic OLARIU (EHESS, Paris), intention explicitée dans le titre même du colloque. Au lieu d'établir une nouvelle date d'origine ou une définition univoque du " portrait individuel ", on a cherché à ouvrir la discussion à un éventail plus large de problèmes, et notamment on a voulu examiner en général les conditions de possibilité de la représentation de l'individu au moyen age. Pourrait-on définir les représentations de l'individu au moyen age comme de véritables " portraits physionomiques " ? Dans quelle mesure les statues funéraires de papes ou de hauts dignitaires, qui reproduisent dans le moindre détail les traits des dépouilles, pourront être définies comme des portraits ? Pourrait-on concilier l'idée d'individu qu'on a au moyen age avec la définition du portrait comme affirmation du caractère (de la psychologie) de l'individu ? Ne serait-ce plutôt cette définition à devoir être différemment questionnée? Voici seulement quelques-unes des questions posées au cours du colloque.



Les intervenants ont accepté le défi de Dominic Olariu et ont fait face aux problématiques soulevées. Plus précisément, la constatation d'une présence des " représentations ressemblantes et individuelles " en Italie dès la fin du XIIIe siècle a imposé de redessiner la carte des significations du mot portrait. On s'est trouvé face à l'exigence d'élargir les limites trop étroites qui ont souvent défini ce genre artistique et qui l'ont réduit à la forme spécifique de représentation picturale des traits du visage, lieu privilégié de l'expression des " moti dell'anima " (pars pro toto souvent isolée de la représentation du corps). Le mot " portrait " devrait, alors, inclure une gamme plus ample des significations qui puisse accueillir aussi ces formes nées avant " l'ère de l'art " (Hans Belting Image et culte. Une histoire de l'image avant l'époque de l'art, Paris, 1998 [1990] ) et qui sont, en première instance, caractérisées par leur fonction religieuse : reliques, statues, icônes. Le problème de la ressemblance (similitudo) a traversé le colloque : terme complexe qu'on ne peut pas réduire à des définitions schématiques, il implique les deux idées différentes d'une " représentation fiable " des traits du visage du modèle (avec la reconnaissance de la personne portraiturée), et d'une représentation par les biais de l'aspect extérieur, des moti dell'anima ou, mieux, de l'aspect intérieur du personnage (qui ne correspond pas forcément à ces moti).



La quasi totalité des relations, caractérisées par une grande variété de méthodologies et d'approches, ont différemment " décomposé " ce qu'on peut définir le paradigme même du portrait, c'est à dire la célèbre définition de John Pope Hennessy : un portrait est la représentation (et plus précisément la représentation picturale) du caractère d'un individu (the depiction of an individual in his own character) (John Pope-Hennessy, The Portraits in the Renaissance, The A. W. Mellon Lectures in the Fine Arts, 1963, Bolingen Series, XXXV, 12, Princeton University Press, New Jersey, 1963, p. XI). C'est l'idée de similitude (ressemblance) qui est la plus remise en question. Si alors selon Pope Hennessy, prolongeant une tradition qui dès Vasari arrive jusqu'à Burkhardt, la ressemblance est principalement celle du caractère de l'individu, l'époque du moyen age oblige à revoir cette hypothèse. Une première série d'interventions s'est alors rapprochée du thème de la ressemblance et de ses implications religieuses au moyen-âge. Ces questions ont été examinées à partir d'une grande variété de matériels (masques-reliquaires, sculptures en cire, enluminures, peinture, sculpture).. Jean-Claude Schmitt parcourt l'histoire du mot portrait et nous rappelle que le mot français portraire (dont la première apparition date du moyen age) signifia premièrement et plus en général, " ressembler à " (on dit " faire le portrait d'un arbre ou d'un paysage "). La complexité alors que ce terme peut avoir dans une époque dans laquelle la similitudo est surtout similitudo Dei est analysé ensuite par Jean-Claude Schmitt : l'homme a été fait à image et ressemblance de Dieu, mais dans l'imperfection de la ressemblance. La similitude, l'homme l'a perdue dans le pêché et doit la récupérer dans son irréductible dissemblance. L'hypothèse de la présence (ou non) de portraits ressemblants au moyen âge ne peut pas donc être séparée d'un examen attentif des implications de la théologie médiévale ; implications que Schmitt explore dans leur lien avec les questions anthropologiques de la mémoire et de la mort.



Beate Fricke revient sur les thèmes de la représentation du visage dans un contexte religieux et analyse originalement le " moment de conjonction " que les image des saints et le portrait autonome trouvent dans la forme spécifique des têtes reliquaires (surtout des femmes) au XIII siècle. Le critère d'identité qui a le primat dans la représentation du saint, semble être garanti par la coïncidence du masque avec la " véritable " image du saint, c'est-à-dire sa relique. Les traits individualisés qu'on peut repérer dans telle sorte d'images leur ressemblance avec le modèle peuvent, en quelque sorte, " faciliter " la communication de la vera imago. Beate Fricke souligne qu'on ne peut parler de " portrait d'une sainte individualité " que dans le cas où l'image du saint soit capable de visualiser en même temps ses qualités spirituelles aussi bien que son aspect matériel. Ensuite Albert Châtelet examine lui aussi de près la question du portrait dans un contexte religieux, par le cas spécifique des véritables " substituts " (d'habitude statues en cire ou en métal) envoyés par les dévots in absentia dans les lieux de pèlerinage. Une pratique qui, témoignée dès le haut moyen âge, permet à Châtelet de formuler l'hypothèse d'une proximité de cette pratique avec les traditionnels panneaux de dévotion : eux aussi aptes à " assurer " la permanence de la prière, pendant l'absence du personnage. Consacrée à l'examen des portraits de Boniface VIII, la relation de Agostino Paravicini Bagliani montre comment l'intérêt du pape pour la diffusion et la mémoire de sa propre image jusqu'à en être accusé d'idolâtrie s'était en quelque sorte " matérialisé " d'une façon originale dans la tridimensionnalité de la sculpture (et non plus dans la traditionnelle bidimensionnalité picturale).



Comme nous l'avons vu, sculptures, effigies en cire, reliquaires religieux, illustrations de manuscrits (ces derniers examinés dans les détails par Eberhard König) ouvrent l'éventail du support du portrait en époque médiévale. Hans Belting, qui revient à l'image picturale, semble plus prudent par rapport à la présence du portrait individuel en époque médiévale. Belting, tout en soulignant que la caractéristique de ce dernier est son autonomie, nous rappelle qu'au moyen âge, si on veut parler de portrait, celui-ci était principalement dépendant des systèmes de représentation préexistants (la sculpture funéraire, la peinture murale etc.). Seulement quand le portrait se détache du contexte d'autres représentations il assume, alors, la forme spécifique et autonome du " portrait individuel ". La naissance du portrait comme objet spécifique est exemplifiée par Belting à travers les portraits de Van Eyck avec une attention particulière au rapport entre les inscriptions et les images qui - dans certains de ces portraits - contribuent ensemble à créer l'identité du modèle. Identité construite aussi à travers la relation que en ce cas spécifique le portrait entretient avec le blason du personnage, et qui aboutit à la création d'un rapport complexe entre ce que Belting a défini le " visage dynastique " et le " visage individuel " du personnage. Les portraits de Van Eyck ont été en outre attentivement analysés par Norbert Schneider qui en a exploré le rôle de témoignage d'un acte juridique et par Gregor Wedekind.



Une deuxième série d'interventions a considéré plus directement les questions liées au rapport étroit entre ressemblance et reconnaissance : notamment la question si ce ne serait plutôt pas le critère de reconnaissance qui devrait guider l'hypothèse de la présence des portraits individuels dans l'époque du moyen âge. L'hypothèse convaincante de Dominic Olariu, en partie déjà résumée, est enrichie par le témoignage des sources et par la présence des sculptures ressemblantes dès la fin du XIIIe siècle. Olariu introduit depuis la source de Pietro d'Abano, la notion de reconnaissance comme " élément capital des portraits ". L'examen du cas spécifique de la statue de la reine de France Isabelle d'Aragon, document visuel auquel l'auteur donne autant de valeur que les documents écrits les plus accrédités, semble confirmer l'hypothèse de l'auteur. La reproduction exacte des traits du visage de la reine - jusqu'au détail de la tuméfaction du visage provoquée par la chute de cheval qui provoque la mort de la reine (1271) semble en outre constituer un élément en faveur de la présence au moyen âge de la pratique du masque funéraire, présence qui, souvent contestée pour la période comprise entre la fin de l'antiquité et le début du Quattrocento, démontre, comme le rappelle Olariu, " l'intérêt pour la reproduction réaliste du visage ". Enrico Castelnuovo partage l'idée d'une présence des portraits individuels en époque médiévale ; l'auteur revient à la source de Pietro d'Abano dont il isole les deux thèmes de la représentation du caractère psychologique et du caractère physiognomonique à travers la dispositio du sujet. En traversant la légende du premier portrait ressemblant (celui de Dante peint par Giotto), Castelnuovo en révèle ses présupposés : c'est à dire la construction vasarienne de Giotto peintre des portraits. Une série d'images inédites et très convaincantes comme les tondi qui représentent des portraits fortement individualisés et qui encadrent le Banquet d'Erode de la Chapelle Peruzzi, enrichit l'hypothèse de Castelnuovo avec un exemple concret ; de tels portraits, qui ne participent pas au programme iconographique de la chapelle, accompagnent les autres exemples mentionnés par l'auteur (comme le portrait d'Enrico Scrovegni ou de Tebaldo Pontano) et témoignent en quelque sorte de la présence de portraits autonomes dans une époque antérieure aux exemples du Quattrocento. Le thème de la reconnaissance a été exploré sous un autre angle d'observation par Anika Disse qui examine le cas particulier du portrait de Boccaccio, constitué par les textes aussi bien que par les images. Si la tradition " littéraire " de la physionomie de l'écrivain contribue en partie à la création de celle que l'auteur définie sa " ressemblance fictive " (construction d'une physionomie " idéale " qui influence de sa part la productions d'images) d'autre part l' " identité " du personnage est restitué aussi bien par les images avec des critères indépendants des documents littéraires. L'identification se produit donc plus à travers la création d'une gestualité que par une ressemblance présupposée des traits du visage. Liée au rapport texte-image a été aussi la relation de Gerhard Wolf, lequel analyse dans les détails le problème du portrait chez Dante. La relation de Paul T. Werner ajoute une importante tesselle aux problèmes de la création de l'identité et de la ressemblance avec l'exemple du portrait de Katerina l'Africaine de Dürer. L'auteur souligne comment Dürer s'inspire d'un répertoire iconographique bien codifié dans la tentative de restituer à travers le modelé du visage surtout cet aspect qui relève de son " origine ". Les difficultés rencontrées par Dürer à représenter le visage d'une femme africaine conduisent le peintre vers la figuration d'une identité fictive, plus proche du portrait conventionnel et du stéréotype que du portrait ressemblant.



Dans son intervention, consacré aussi aux problématiques de la ressemblance, Danièle Cohn s'est distinguée par une approche spécifiquement philosophique qui démontre l'actualité des questions soulevées dans le colloque aussi par rapport à une époque beaucoup plus récente. Par le biais d'une relecture du motif de Narcisse, Danièle Cohn souligne comment même dans l'époque de J-J. Rousseau, où l'identité de l'individu semble être définitivement construite, les problèmes de la construction de l'identité soient encore si problématiques. Qu'est-ce qui constitue une identité figurale ? Le cas concret de la série de portraits que Rembrandt a peint tout au long de sa vie nous montre comment chaque élément de la série semble faire référence en premier lieu à un type commun ; comme si continue Danièle Cohn " la construction de l'individu avait besoin d'une identité typique ", comme s'il fallait avant ressembler à un type et après à nous-même. Le problème de la ressemblance pourrait alors être un peu plus clair en le considérant, selon l'auteur, comme le résultat d'une " force dynamique d'ordre morphologique " (vitale) plus proche des " ressemblances de famille " que de l'identité (mortifère). La relation de Danièle Cohn semble " conclure " emblématiquement ces journées d'études tout en proposant la " modernité " et l'actualité des questions ouvertes par le colloque. Si le mérite de ces jours a donc été celui d'ouvrir la discussion, il a aussi créé en quelque sorte une attente par rapport à une suite éventuelle qui puisse rendre compte en pleine conscience des problématiques traités à travers la lecture de l'art contemporaine.





Les enregistrements du colloque pourront être retrouvés sur internet, sur les pages de la MSH (www.msh-paris.fr) et www.netzpannung.org. Une publication des actes du colloque est prévue pour la fin de l'année.