Questions de société

"Évincé pour avoir signé la pétition sur l'histoire-géo", L'Humanité, le 17/12/09

Publié le par Bérenger Boulay

Évincé pour avoir signé la pétition sur l'histoire-géo !

L'Humanité, le 17 décembre 2009, Laurent Mouloud

Prof agrégé, Éric Godelier a été rayé des listes d'experts de l'Éducation nationale sur ordre du cabinet de Luc Chatel.

Chacun le sait : laliberté d'expression n'est pas le sport favori du régime en place.Procès en rafale pour « atteinte » à l'image présidentielle, préfetmuté pour n'avoir pas su faire taire des syndicalistes au passage deNicolas Sarkozy, appel à un « droit de réserve » pour les écrivainsjugés trop critiques… On ne compte plus les velléités du pouvoir pourmuseler toute forme de contestation. À cette longue chroniqueinachevée, le ministre Luc Chatel vient d'ajouter une nouvelle page desplus pathétiques.La « victime » ? Éric Godelier, président du département des« humanités et sciences sociales » de l'École polytechnique. Comme l'arévélé hier le site Internet de l'hebdomadaire Marianne, ce professeuragrégé des universités a été rayé de la liste des experts chargés parl'éducation nationale de réfléchir à la réforme des enseignementsd'économie et de gestion au lycée. Sa faute ? Avoir signé la pétitioncontre la suppression des cours d'histoire-géographie en terminale S…Début décembre, Éric Godelier avait pourtant été sollicité en bonne etdue forme, comme régulièrement ces dernières années, par l'inspectiongénérale qui organise et pilote ce genre d'expertise. « Elle m'aproposé de participer à un groupe de quatre experts chargés de fairedes propositions de réforme pour le mois de janvier. La premièreréunion était fixée au 14 décembre. » Il ne la verra jamais.Le vendredi 11 décembre, Éric Godelier reçoit un coup de fil embarrasséde l'inspection générale. « Elle m'informe que le cabinet de monsieurle ministre Luc Chatel, ayant vu mon nom sur la liste des signatairesde la pétition, demande que je sois exclu du groupe d'experts. Ellem'explique aussi que le cabinet reprend en main le pilotage du grouped'experts et a décidé de nommer un de mes collègues pour meremplacer. » Fermez le ban.Contacté hier après-midi, le cabinet de Luc Chatel n'a pas trouvé letemps de nous répondre. Qu'importe, face à cette censure à la foispuérile et politique, Éric Godelier refuse de se lancer dans unequelconque polémique. Mais il ne veut pas, non plus, taire cettemésaventure hautement symbolique. « Mon cas particulier n'a aucuneimportance en soi. Le problème, explique-t-il, c'est que cette histoires'inscrit sur une liste assez longue et significative pour en devenirpréoccupante. On peut voir dans mon affaire une forme d'autoritarisme,se substituant à la démocratie universitaire et à la libertéintellectuelle qui traditionnellement y prévaut. »Ironie du sort : il y a un an, dans cette même École polytechnique, peuaprès que son service d'ordre eut évacué les pancartes desenseignants-chercheurs en grève, Nicolas Sarkozy avait prononcé undiscours exaltant la… diversité.

Laurent Mouloud