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Faut-il brûler un inédit de Nabokov ?

Faut-il brûler un inédit de Nabokov ?

Publié le par Arnauld Welfringer

Fallait-il brûler les nombreux textes non publiés de Kafka, selon son voeu ? La question n'a pu se poser qu'une fois déjà tranchée, dans l'après-coup de cette publication même, qui révélait à la fois l'existence même de l'oeuvre (et de son auteur) et ce voeu de destruction. S'agissant en revanche d'un écrivain aussi fameux que Vladimir Nabokov, le débat est ouvert au sujet de son ultime roman, inachevé, The Original of Laura, dont son auteur avait également demandé à ce qu'il soit détruit après sa mort, et qui néanmoins repose toujours dans le coffre d'une banque suisse. Dans un article paru dans la revue américaine Slate et traduit sur le site Rue 89, Ron Rosenbaum expose le cas de conscience qui se pose au fils (et dernier héritier) de Nabokov, Dimitri ; on peut lire également le billet que consacre Pierre Assouline à cette délicate question.

Au-delà de la question du respect des dernières volontés d'un défunt, se posent ici, comme dans le cas de Kafka, des questions plus théoriques quant à l'autorité de l'auteur sur son oeuvre et sur les limites mêmes de cette oeuvre ; mais surtout, on remarquera que dans l'affaire Laura, l'exécuteur testamentaire semble reculer devant la publication autant pour respecter le souhait de son père que par crainte de ceux qu'il appelle les "lolitologues", interprètes et suffisant lecteurs plus ou moins bien intentionnés à l'en croire. Devant cette crainte, et à défaut d'influer sur la décision, on pourra relire, plus encore que Lolita, un autre roman de Nabokov, Feu pâle. On s'en souvient, ce roman donne à lire l'oeuvre de John Shade publiée de façon posthume par Charles Kinbote, dont le commentaire proliférant, délirant et romanesque supplante et s'approprie le texte commenté, dans un vertigineux conflit d'autorité entre l'auteur défunt et son éditeur-commentateur. La moralité de cette fable théorique, qui doit aujourd'hui donner à penser à Dimitri Nabokov, c'est Kinbote qui la formule lui-même à la fin de sa préface au texte de Shade : "Pour le meilleur ou pour le pire, c'est le commentateur qui a le dernier mot". Fallait-il pour autant brûler le texte de Shade ? On se serait alors privé des délices du commentaire de Kinbote...