
Traduit de l’anglais, annoté et postfacé par Lionel Leforestier
« Je ne dirai pas que « le monde », comme nous le nommons d’habitude, devient plus attachant, mais que l’univers le devient, attentifs que nous sommes désormais à la prodigieuse multiplication de nos relations possibles avec lui, relations vagues encore, sans doute, aussi indéfinies qu’elles sont édifiantes ou excitantes pour la pensée, à une échelle qui dépasse notre usage ou notre emploi actuels, nous emplissant toutefois d’une vision illimitée de l’être. » (Henry James)
Questionné en 1910 sur les chances d’une vie future, Henry James livre dans cet essai, traduit pour la première fois dans notre langue, une méditation qui éclaire aussi sa tâche de romancier, conçue comme une remontée, selon ses termes, vers des « sources supérieures ». Confronté aux négations matérialistes, ramassées dans l’image désespérante du « cerveau de laboratoire », il découvre dans le caractère expansif de la conscience un gage possible de survie. Si fragile soit la preuve, elle justifie l’art, qui se révèle exigence d’élucidation, comme la vie présente : le « beau risque » mérite d’être couru.
Reconnu comme l’un des grands précurseurs du roman moderne (de Portrait de femme aux Ambassadeurs en passant par Les Ailes de la colombe), Henry James (1843-1916) fut aussi un critique abondant, dont l’œuvre considérable a pu être placée sous l’emblème de la « religion de la conscience ».
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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un billet de Pierre Senges sur cet ouvrage :
Selon une légende adéquate, Henry James aurait dit, à l’approche de la mort : « la voilà donc enfin cette chose distinguée » – distinguée et absconse, intraitable et narquoise. Il a dû être pris de court, comme tout le monde, ce n’était pas faute de s’être préparé à cette fin, ou au moins d’y avoir réfléchi. En 1910, six ans avant cette rencontre décisive, le magazine Harper’s Bazar, pas encore riche de ses deux a, commandait à Henry James une méditation sur la vie après la mort, publiée à l’automne en deux livraisons, entre une page consacrée aux Chic French Hats for Winter et une autre aux Gowns for the House.
Y a-t-il une vie après la mort ? se demande James, parmi chapeaux et robes du soir, dans ce texte fascinant traduit en français pour la première fois, bien dans sa manière (la dernière) : minutieux, assidu, soucieux d’être complet par honnêteté intellectuelle et pour les besoins de l’art, toujours avec pondération. Bien entendu, cette méditation sur la mort (« la question la plus intéressante au monde dès lors qu’elle se déploie avec toute l’intensité dont elle est capable ») se compose de ligne en ligne comme un essai sur la vie, puis comme son éloge. James s’adresse aux « êtres de quelque sensibilité », leur disant : peu importe l’issue, il faut avoir été, de ce côté-ci de la frontière, attentif à la vie, digne d’elle, hospitalier à ses effets comme elle est hospitalière à nos agissements. La mort comme néant ou comme suite vaut si nous avons bien rempli notre « bagage de connaissances, de joies et de souffrances ».
Dans une postface éclairante, où les énigmes de James sont étudiées à leur tour, Lionel Leforestier rappelle les circonstances de l’essai, dans la continuité des récits (The Middle Years, Les Ambassadeurs) et en dialogue avec William James, « l’aîné idéal ». Comme toujours chez Henry, l’intelligence favorise l’émotion au lieu de la mettre à distance ; elle lui permet de remplacer ici l’espérance par le désir, faisant de ce livre une clé de sa littérature. — Pierre Senges