
Le numéro vient rendre hommage à un grand intellectuel qui a accompagné la revue et l'association pendant plusieurs décennies et nous a quittés en 2023 : Jacques Julliard, historien engagé, directeur de recherches à l’École des hautes études en sciences sociales, homme de revue, grand journaliste au Nouvel Observateur puis à Marianne, syndicaliste, un intellectuel qui fut aussi un politique parmi les principaux acteurs de ce que l’on a appelé la deuxième gauche. Mais au-delà de la place importante que Jacques Julliard a occupée dans le monde intellectuel et politique, il fut aussi un ami. Un ami de notre association. Un ami de plusieurs d’entre nous. Et un ami de Charles Péguy.
Ce numéro témoigne de cette amitié par le texte que lui consacre l’historien Christophe Prochasson qui fut son élève et qui rappelle l’apport de Jacques Julliard aux études historiques contemporaines à travers son séminaire que nous avons eu la chance de suivre dans les années quatre-vingt-dix à l’École, comme l’on disait alors. C’est aussi l’occasion de proposer des lectures critiques de son œuvre comme le font Denis Labouret et Dominique Ancelet-Netter en revenant sur les textes que Jacques Julliard a consacrés à Charles de Gaulle ou au Diable, à Dieu et à l’argent.
Jacques Julliard était péguyste, tellement péguyste. Dans la grande constellation des auteurs qui ont accompagné sa vie, que ce soit Fernand Pelloutier, Georges Sorel, Simone Weil, Georges Bernanos, Paul Claudel ou Pascal, Péguy tient sans doute une place particulière. Et ce numéro l’illustre parfaitement avec la publication de deux textes que Jacques Julliard avait bien voulu nous offrir autour de cette figure si centrale pour lui. Si nous devions revenir simplement sur ce que Jacques Julliard a pu nous apporter, on dira avant tout qu’il croyait à la force des idées, à leur capacité à changer le monde sans que l’on ne sache jamais par quelle voie secrète elles pouvaient pénétrer les esprits, influencer l’ordre des choses, et finalement bouleverser l’histoire. Jacques Julliard croyait à l’enseignement, à la transmission, à l’école. Il refusait le dogmatisme au nom de la liberté, de la vérité et du plaisir d’échanger, ce que caractérisait son art de la conversation. Aucune grande question n’a échappé à sa sagacité et à sa curiosité d’esprit. La liberté de penser le mal, l’argent, le pouvoir, et la politique, Dieu aussi. Et après tout, il y avait chez lui une manière de résoudre tout cela autour d’une chose, sans doute la plus essentielle : la littérature, passion qu’il partageait avec son épouse Suzanne Julliard, grande professeure de lettres, qui nous a laissé deux anthologies de référence, l’une consacrée à la prose et l’autre à la poésie [1]. Si l’on devait résumer la pensée, l’action, l’œuvre et finalement la vie de Jacques Julliard, exercice bien ambitieux, on pourrait dire qu’à la manière d’un Pascal ou d’un Péguy il fut avant tout un moraliste, c’està-dire un homme qui non seulement avait le don de l’observation, la lucidité et le discernement nécessaire pour découvrir et comprendre comment fonctionne la société et surtout comment agissent les hommes qui la constituent. Mais cela ne saurait suffire. Encore faut-il disposer de l’art d’écrire. Jacques Julliard avait ce talent. C’est qu’il s’inscrivait dans cette lignée rare des écrivains capables d’allier la pensée et le style. Et c’est pourquoi nous avions le devoir, et finalement le plaisir de lui rendre ici hommage afin que son œuvre puisse continuer à nous aider à mieux penser ce que nous sommes les uns et les autres.
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Date de mise en ligne : 04/06/2025