Sigmund Freud a souffert d’un cancer qui détruisait sa mâchoire. Les seize dernières années de sa vie, il a dû porter une lourde prothèse ; censée l’aider à parler, elle lui blessait la bouche et restait souvent bloquée. Ainsi, celui qui avait inventé un dispositif pariant sur les mots pour libérer l’homme, celui-là se trouvait empêché de parler. C’est un fait mal connu, y compris des psychanalystes.
Depuis ma pratique du divan, je m’interroge sur la place que les intelligences artificielles prennent sur les territoires de la parole. Nous utilisons de plus en plus souvent un jargon technique : notre bouche est pleine de mots informatisés, de termes froids et blessants. J’ai fait la connaissance d’un ingénieur de recherche qui travaille chez Google sur la simulation de la parole. Il m’a raconté son métier, je lui ai parlé du mien. Pour comprendre, j’ai appris à programmer un réseau de neurones artificiels. Je vais vous raconter ma rencontre avec les savants fous de la parole, avec les Frankenstein du langage que nous sommes tous devenus. — Y. D.