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L’émancipation par la traduction ? Trajectoires féminines en Europe centrale et orientale, XIXe- XXIe s. (Paris Sorbonne)

L’émancipation par la traduction ? Trajectoires féminines en Europe centrale et orientale, XIXe- XXIe s. (Paris Sorbonne)

Publié le par Marc Escola (Source : Agnieszka Sobolewska)

L’émancipation par la traduction ?

Trajectoires féminines en Europe centrale et orientale (XIXe- XXIe siècle)

Le colloque s'inscrit dans le cycle Femmes et choc(s) d'émancipation du CIRCE / Eur'ORBEM, développé depuis 2022 en partenariat avec le CEFRES.

Organisatrices : Cécile Gauthier, Malgorzata Smorag-Goldberg et Agnieszka Sobolewska

 Les personnes extérieures à Sorbonne Université doivent s’inscrire auprès d’Aurélie Rouget-Garma pour accéder à la Maison de la Recherche le jeudi 17 octobre. 

aurelie.rouget-garma@sorbonne-universite.fr

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Invisibles et invisibilisées, marginales et marginalisées, subalternes, inférieures, ancillaires, non fiables, si ce n’est infidèles… Autant de qualificatifs qui ont longtemps pu être appliqués aux femmes comme aux traductions. Prenant le contrepied de ces représentations, on se propose de réfléchir à la traduction (en tant que théorie, métier, pratique, voire acte de création) comme possible instrument d’émancipation pour les femmes en Europe centrale et orientale, du XIXe siècle à nos jours. 

Au XIXe siècle, le rôle crucial joué dans l’essor des langues et des littératures nationales par la traduction lui confère une forme de légitimité, qui pourrait croiser la mission dévolue aux femmes d’éducatrices de la nation, de gardiennes de la langue, qu’elles ont le devoir de transmettre à l’échelle individuelle (familiale) et collective (nationale). Mais se voient-elles, en traduisant, cantonnées à une pratique en quelque sorte d’intérêt général, ou bassement alimentaire, et en outre (partiellement) imitative ? Ou bien cette pratique est-elle susceptible de favoriser l’émancipation ? La question pourra être envisagée selon plusieurs angles, non exclusifs les uns des autres :

L’émancipation économique :

L’émergence des femmes traductrices est corrélée à l’essor de l’enseignement dispensé aux jeunes filles, sur les plans qualitatif et quantitatif. Or ces connaissances acquises ont pu être mobilisées par la suite comme moyen de subsistance : parmi les carrières et métiers envisageables pour les femmes qui souhaitaient ou devaient gagner leur vie, la pratique de la traduction tenait une place non négligeable. Si, du fait de son statut subalterne (attesté notamment par la fréquente omission, dans les publications, des noms des traducteurs et traductrices), ce choix (contraint ?) pourrait ne faire que confirmer la minoration de la condition féminine, elle a pu cependant – du moins est-ce une hypothèse – servir les femmes dans leur quête d’indépendance financière (même partielle), préalable requis à leur émancipation. 

L’émancipation intellectuelle :

Cette question implique d’observer précisément les trajectoires de traductrices (c’est-à-dire aussi bien leur pratique effective, que les éventuels commentaires et témoignages sur cette pratique), mais également, à une plus large échelle, de dégager les grandes lignes d’une histoire des traductrices : qui étaient-elles ? quelles œuvres, quels auteurs et quelles autrices traduisaient-elles ? quels genres (littéraires, sciences humaines, textes engagés, militants) ? selon quelles modalités et critères ? Signaient-elles elles-mêmes leurs textes (quand ceux-ci étaient signés) ou avaient-elles besoin d’un pseudonyme, d’une signature masculine, d’une caution intellectuelle masculine ? Enfin, en quoi cette pratique a-t-elle pu favoriser une émancipation sur le plan intellectuel ? A-t-elle entraîné l’appropriation de nouvelles idées et de nouvelles formes, encouragé des prises de conscience et de parole, des positionnements publics, généré la constitution de réseaux ? Sur ce point les mouvements pour l’émancipation féminine ont-ils pu rejoindre d’autres combats, notamment ceux liés aux revendications nationales et linguistiques ?

Une attention particulière sera accordée à la traduction des textes fondateurs pour l’émancipation des femmes en Europe centrale et orientale : quels sont ces textes ? En quelle langue ont-ils été écrits, puis lus ? Comment ont-ils circulé, et quels sont les transferts culturels à l’œuvre dans cette circulation ?

On inclura aussi à notre réflexion le phénomène d’autotraduction et les manières dont ses pratiques contribuent à identifier, à circonscrire et à dépasser les contradictions liées à la multiappartenance et aux risques de dislocation du moi, consécutifs au plurilinguisme. L’auto-traduction est-elle l’une des modalités de l’écriture par lesquelles se manifeste la multi-appartenance des écrivaines plurilingues ? Dans quelle mesure constitue-t-elle pour les femmes un outil d’empowerment, de pouvoir d’agir, aussi bien pour promouvoir leurs propres écrits que pour contrôler leurs stratégies identitaires et politiques, en modifiant leurs textes d’une langue à l’autre, dans un continuum de réécriture, en fonction du public cible ? Ce qui nous conduira à aborder la question du statut des langues mises en regard - par exemple entre l’allemand d’un côté et le tchèque, le polonais ou l’ukrainien de l’autre - et de leur valeur sur les « marchés linguistiques », particulièrement pertinente pour l’espace austro-hongrois. 

L’émancipation artistique :

Précisément parce que le plus souvent elle n’était pas considérée comme une pratique noble, la traduction a-t-elle pu, à l’instar de certains genres populaires, constituer un terrain d’action autorisé et privilégié pour des femmes instruites et plurilingues ? A-t-elle accompagné des processus de création littéraire propre, chez des femmes encouragées à prendre la plume par leur pratique de la traduction ? Ceux-ci se sont-ils combinés à elle ? Substitués ? Le passage à l’écriture personnelle (à la création artistique) s’effectue-t-il dans la langue source ou cible de leurs pratiques de traduction ? Y a-t-il eu des évolutions, des changements de langue de création pour des raisons idéologiques, identitaires (défense de la langue qui devient constitutive de l’identité) ?

On veillera cependant à ne pas réduire la traduction à un simple marchepied pour la création, ce qui ne ferait que reconduire le discours d’ancillarité auquel elle a longtemps été assujettie. On remarque du reste que beaucoup d’écrivains ont eux aussi traduit, dans un dialogue fructueux entre traduction et création, ce qui incite à s’interroger sur de semblables phénomènes de fécondation mutuelle chez des écrivaines. 

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