Rhétorique de l'amour. Construire l'adhésion dans les royaumes hispaniques et en Italie à l'époque moderne (Caen)
Rhétorique de l'amour
Construire l'adhésion politique dans les royaumes hispaniques et en Italie (Moyen-Âge et Époque moderne)
Volet I: Université d'Artois novembre 2023 (Moyen Âge)
Volet II: Université Caen Normandie mai 2024 (époque moderne)
« Las cosas que los onbres aman deseanlas ver, y quando las veen han placer de verlas, y porque los Reynos e Reyes representan una sola persona, el Reyno, el cuerpo, y el Rey, la cabeça dél, han de amar a los Reynos los Reyes como asy mismos, y el Rey que esto no hace, ny puede ny debe tener nonbre de Rey… », ainsi commence le célèbre discours de l’évêque de Badajoz. Don Pedro Ruiz de la Mota y rappelle de manière appuyée le principe fondateur des relations entre le roi et ses sujets basé sur l’amour réciproque. Ce sentiment partagé assure en effet la paix et l’union dans le corps de l’État, sous l’autorité acceptée du souverain, et permet de se projeter collectivement dans un avenir politique prospère. La théorie de l’amour qui inspire cette déclaration au nom du roi Charles 1er aux sujets castillans, lors des Cortes de Saint-Jacques de Compostelle en mars 1520, répond au principe de la verticalité qui, selon Carlos Heusch, détermine l’amour religieux et politique depuis les théoriciens de l’Espagne médiévale[1]. À la différence de l’amour « horizontal » entre des personnes de même rang ou de même culture, dans un rapport d’égalité, l’amour politique se caractérise par son asymétrie : toute proportion gardée -gare à l’hérésie-, l’amour entre Dieu et ses serviteurs fonde un modèle d’exemplarité amoureuse. Le roi, parce qu’il les aime, demande en retour l’amour de ses sujets qu’il sert en régnant et en attendant d’être servi à son tour dans une interaction qui, par son égale proportion, conditionne l’ordre dans la couronne. En ce sens, le roi a besoin des liens de fidélité et de loyauté avec les sujets qui permettent de garantir la stabilité politique. La confiance dans sa parole, garante de son action, rend possible son bon gouvernement. La visée morale justifiant théoriquement la politique chrétienne impose alors une relation qui excède les simples limites du respect et de l’estime réciproque. Car le gouvernant doit veiller au bien-être de ses gouvernés et œuvrer dans une reconnaissance pleine et entière non seulement de sa légalité mais, surtout, de sa légitimité royale. L’adhésion au roi, à sa personne, à son pouvoir traduit outre la reconnaissance de son droit naturel à occuper le trône, sa capacité notoire de se projeter intellectuellement et spirituellement dans la conduite de la monarchie. Elle est au cœur de l’amour politique car elle suppose la compréhension mutuelle et partant l’engagement de chacun et de chacune dans la communauté monarchique.
Cet attachement réciproque ne se limite d’ailleurs pas seulement à la dimension humaine, il touche également à l’espace effectif/affectif sur lequel agit le pouvoir. L’amour de la terre où l’on vit ensemble participe de l’amour politique : la patrie sert de ferment entre les acteurs sociaux y connaissant des expériences humaines à différentes échelles. Sa défense suppose que l’on veille, certes, à sa protection et à sa préservation, par les armes s’il le faut, mais il s’agit aussi d’y maintenir l’équilibre des forces qui s’y est établie dans un temps plus ou moins long. L’esprit de conservation prime dans une organisation sociale et politique où, idéalement, du plus haut au plus bas, on cherche à concilier intérêts individuels et collectifs au bénéfice du plus grand nombre.
De même que la fluctuation des relations politiques amène inéluctablement à une manifestation du désamour politique. L’évolution de l’harmonie de la communauté monarchique influe directement dans sa traduction par les mots. La question se pose alors de savoir si le recours au vocabulaire amoureux existe également dans sa négation, pour dire le délitement de l’affection et la sécheresse des cœurs. La variabilité des relations politiques à laquelle est soumise chaque période historique induit sinon des ruptures du moins des inflexions dans l’adhésion politique. Celles-ci expliquent l’usage de l’expression de l’amour politique, soit pour réaffirmer le lien amoureux quand il est fragilisé ou même absent (c’est le cas du discours de Mota cité plus haut), soit pour l’exalter dans un contexte de triomphe collectif et de sentiment patriotique fort. À l ‘inverse, dans certaines circonstances, la crainte voire la rancœur peuvent générer des sentiments de haine envers le monarque et l’institution royale qu’il incarne.
La rhétorique de l’amour émanant de ces relations du roi à ses royaumes se dévoile ainsi à travers de nombreux textes de l’Espagne et de l’Europe moderne, elle s’illustre dans des prises de parole, sous des formes diverses -comme dans des discours plus théoriques ou historiques- que la rencontre cherchera à sonder pour dégager les caractéristiques et les enjeux temporels qu’elle sous-tend dans les différents espaces monarchiques espagnols et européens. La comparaison des usages discursifs, des stratégies langagières mises en œuvre pour exprimer l’amour, permettra d’évaluer ce qui relève de la culture humaniste commune, du topoï littéraire et politique, et ce qui, en revanche, se construit à partir de positionnements singuliers dans des contextes historiques déterminés.
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Organisatrices :
Paloma Bravo (Pr Civilisation et littérature espagnoles des XVIe et XVIIe siècles, U. Sorbonne Nouvelle, LECEMO-EA3979)
Alexandra Merle (Pr, Civilisation et littérature espagnoles des XVIe-XVIIIe siècles, U. Caen Normandie-ERLIS)
Sarah Voinier (Pr, Civilisation et littérature espagnoles des XVIe et XVIIe siècles, U. d’Artois, Textes et Cultures-UR4028)
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[1] Carlos Heusch (dir.), Cahiers d’Études Hispaniques Médiévales, n°38, ENS Editions, 2015, p.8 et dans le même numéro, « Polysémie de l’amour dans le Moyen Âge ibérique », p.13-27.