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Événements & colloques

"Impossibles écritures du réel. Un monologue intérieur", conf. de Francine Cicurel (séminaire "L'écriture de la pensée", François Noudelmann & Bruno Clément, Sorbonne & en ligne)

Publié le par Marc Escola (Source : Bruno CLEMENT)

La prochaine sséance de notre séminaire se tiendra

le vendredi 24 mai de 15h à 17h

4 rue des Irlandais 75005, Paris (salle ATHENA)

Nous recevrons ce jour-là Francine CICUREL, Professeure émérite Université Sorbonne nouvelle.

La séance pourrra aussi être suiuvie en ligne (lien à activer: https://nyu.zoom.us/j/92082492586)


 
Présentation de la séance par Francine Cicurel

Impossibles écritures du réel ? Un colloque intérieur

Savons-nous ce qu'est le réel ? Une perception de l'autre, une perception de soi ? Un contexte visuel et auditif, un évènement ? Des pensées fugitives (ou non) ou des sous-conversations comme aime à les écrire Nathalie Sarraute ? Comment la littérature peut-elle englober, capter, décrire, évoquer des éléments qui sont concomitants alors qu'elle est linéaire ? C'est la question que nous allons nous poser en nous appuyant sur les propos de Milan Kundera à propos de la création artistique, sur la théorie de la mémoire involontaire de Marcel Proust, sur le statut pragmatique de la fiction selon John Searle ou encore sur les écrits du philosophe Jacques Schlanger à propos de la naissance des idées.

Cette interrogation est inspirée par l'écriture d'un livre publié en avril 2023 dont le titre est : Et comment leur diras-tu ? Colloque intérieur (Éditions du Palio) composé de récits courts qui abordent la question de la transmission - possible ? douloureuse ? - , du lien avec la mère, avec l'enfant, de la disparition et de la réapparition par l'écriture de ceux qui nous ont quittés. Ces récits constituent comme des "évènements de mémoire" ou des " biographèmes" selon le néologisme de Roland Barthes.

Grandes lignes de l'exposé :

Un "évènement de parole"
Détour par la fiction
Littérature non fictionnelle et démarche ethnographique
De l'activité idéelle au processus de verbalisation
Kundera: un "château de l'inoubliable".
L'association et la mémoire involontaire chez Proust
"Les vertus du minuscule" (Bruno Clément)
 
J'aurais besoin que vous ayez cet extrait de La recherche du temps perdu de Proust sous les yeux même si vous connaissez ce passage sur la fameuse madeleine
 
« Il y avait déjà̀ bien des années que, de Combray, tout ce qui n'était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n'existait plus pour moi, quand un jour d'hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j'avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d'abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à̀ ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté́ illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle? Que signifiait-elle? Où l'appréhender? [...]
 
Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.
Et dès que j'eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux) aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s'appliquer au petit pavillon donnant sur le jardin [...] ». PROUST M. Du côté de chez Swann, (pp.45-47).

MITTERAND H., « Retour d’un refoulé : le biographique » (pp. 21-41), à propos du biographème : « Seul ce fragment d’existence, repêché par le souvenir ou la rêverie, livré dans le brut de sa gangue, est pour Barthes authentique et significatif, tandis que la reconstitution narrative sur le long cours serait condamnée à fournir une vision mensongère, arrangée, fardée, empoissée et empoisonnée à la fois par les conventions du récit et par les stéréotypes de la doxa »


 
Bibliographie
 
BANGE P., « Argumentation et fiction », l’Argumentation, Presses universitaires de Lyon, 1981.
BUZZATI D., Le K , Laffont, 1967 (Arnoldo Mondadori Editoré 1975).
CICUREL F. & AGUILAR J. (dir.),  Pensée enseignante et didactique des langues, Recherches &Applications n°56, CLE International, 2014.
CARRERE  E., Entretien avec Nelly Kaprielan, Éditions de la Bibliothèque publique d'information, openeditions Books, 2010.
DURKHEIM E.,  L’évolution pédagogique en France, Quadrige Puf,  1938/2014.
FINK I., Le jardin à la dérive, Maren Sell, 1983.
GOODMAN N., Langages de l’art, Éditions Jacqueline Chambon, 1968, trad. fr. 1990.
JABLONKA Y. , Le troisième continent ou la littérature du réel, 2023, Seuil.
KUNDERA M., Le Rideau, Gallimard, 2006.
MITTERAND H., « Retour d’un refoulé : le biographique », dans Le Roman à l'œuvre. Genèse, motifs et valeurs, dir. par Mitterand H., Presses Universitaires de France, 1998.
PROUST  M., A la recherche du temps perdu, La Pléiade, 1968.
SEARLE J., « Le statut pragmatique de la fiction», dans Sens et Expression, Les éditions de Minuit, 1982 (trad.fr.).
SCHLANGER J., Le jeu des idées, Hermann, 2010.
TEBOUL J., « Deux écritures du réel ? », Journal des anthropologues, 148-149, 2017, p.63-82.