La collection « Karōshi » s’ouvre avec Les Mains rouges de Jean-Christophe Vermot-Gauchy, qu’on pourrait lire comme un équivalent contemporain du Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau. Sauf qu’il ne s’agit plus d’une fiction domestique mais d’un vrai journal et que c’est un homme de ménage bien réel qui écrit, comédien, metteur en scène que les conditions sociales ont contraint à abandonner provisoirement son activité.
"Depuis quelque temps, on parle beaucoup d’« enquêtes littéraires », de « littérature de terrain ». On imagine alors volontiers l’écrivain en explorateur suprasensible, capable, par son style, sa poésie, de révéler de l’inaperçu social. On compare ses moyens, la nature des vérités qu’il nous transmet, à ceux que nous devons aux sciences humaines. Les Mains rouges, si elles constituent effectivement un témoignage inédit sur le travail à domicile et, certainement, un aperçu sociologique saisissant de « ce que les riches pensent des pauvres », rompt cependant avec ces logiques et ces préjugés. Dans ce texte, nous ne sommes plus devant l’expression d’un artiste ou d’un savant qui aurait décidé, mû par je ne sais quelle libido sciendi, de s’immerger dans un espace choisi d’avance pour l’observer et le décrire. Nous lisons quelque chose comme un écrit de survie, une forme d’expression que le travail lui-même aurait induite, non pas pour « en sortir », y échapper fût-ce provisoirement, par la magie lénifiante de l’écriture, mais au contraire pour tenir, pour continuer, s’y maintenir de gré ou de force. En sorte qu’il soit possible de dire que Les Mains rouges fait bien plus que décrire certaines conditions par lesquelles se réalise l’asservissement, pointer ces vocables ou ces tournures verbales qui, une fois échangées, intoxiquent et font céder l’esprit. Un·e auteur·ice qui décrit, pointe, cadre, dans un documentaire, par exemple, bénéficie encore de cette liberté de considérer et de sélectionner les éléments qu’il présente. Ici, nous sommes face à quelque chose comme un « rapport immédiat » de souffrance sociale, dont chaque geste constitutif est déterminé par ce sentiment ; nous lisons une écriture obligée par la situation de travail, dictée par les dominations qui s’y exercent, et qu’on peut considérer comme leur émanation directe et brute." — Christophe Hanna.