C’est un livre dont il est plus facile et plus tentant de dire ce qu’il n’est pas que ce qu’il est : d’abord parce qu’il est singulier, étrange et peut-être unique en son genre ; ensuite pour éviter à son lecteur d’être déçu pour de mauvaises raisons. Loin de lui tout « projet », tout « message », toute arrière-pensée. Il est tout entier à ce qu’il raconte, n’a pas le temps et l’espace de nous adresser des clins d’œil, et pour cause : ce qu’il relate est la vie même, dans ce qu’elle a de beau, d’embêtant et de déchirant. C’est un roman qui n’a pas d’autre beauté que de conter un destin qui nous touche ; mais cette beauté-là, il l’a toute. On ne peut mieux plaider en sa faveur qu’en demandant de lui faire confiance. Il le mérite, et on ne le regrettera pas.
Il ne faut pas chercher derrière le titre du roman de Marie-Anne Toulouse autre chose que ce qu’il annonce : la référence aux Liaisons dangereuses ne relève pas d’un hommage lointain ou d’un jeu érudit, et elle n’annonce pas non plus une relecture ou une déconstruction. Les Liaisons sont finies et ne seront pas rejouées. La marquise de Merteuil est défigurée, le vicomte de Valmont a péri. Madame de Rosemonde, dont nous nous souvenons – vaguement peut-être, là n’est pas l’essentiel – comme de la vénérable tante du vicomte, se raconte à la défunte présidente de Tourvel dans une lettre infinie que nul ne lira jamais. Ce n’est donc non plus pas la renaissance du roman épistolaire. C’est une « histoire », bel et bien : le récit d’une vie de femme, des premiers souvenirs d’enfance jusqu’aux limbes de la vieillesse ; le récit d’une jeunesse, d’une éducation, d’un passage au couvent, d’une entrée dans le monde, d’un mariage arrangé mais heureux ; enfin, et surtout, le récit d’une passion qui s’achèvera par la mort de l’amant et par la mort du monde.
Dans ce personnage de Laclos, dans la forme de la lettre, dans les archétypes littéraires et dans la langue du XVIIIe siècle, Marie-Anne Toulouse a trouvé la forme apte à restituer l’épaisseur d’une vie et, ce qui est plus, un sentiment du monde. On ne pourrait se tromper davantage qu’en voyant dans son livre un exercice de style, un pastiche littéraire, une réécriture qui chercherait à honorer ou subvertir des codes anciens. L’auteure n’affuble pas son texte d’une rhétorique maniériste ; elle parle cette langue teintée de celle de Laclos, Marivaux, Crébillon et Casanova comme une seconde langue maternelle – français écrit comme d’un pays étrange et familier qui le rend plus riche, plus subtil, plus profond et plus juste. Le XVIIIe siècle ici n’est pas un fard, un costume, en un mot un anachronisme ; il est un prisme, un véhicule. Madame de Rosemonde n’est pas un pantin littéraire, mais une femme de chair et d’os.
Extrait sur le site de l'éditeur…
Marie-Anne Arnaud Toulouse, née en 1950, agrégée et Docteur en Lettres, vit en Bourgogne. Elle est l’auteure d’une thèse consacrée à Julien Gracq et Jean Giono. Elle a contribué au Dictionnaire Giono (Classiques Garnier, 2016), à l’édition des Romans et récits de Romain Gary (Pléiade, 2019) et à L’Abécédaire de Romain Gary (Observatoire, 2022). Histoire de Madame de Rosemonde est son premier roman.
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On peut lire sur nonfiction.fr un article sur cet ouvrage :
"Madame de Rosemonde avant Les Liaisons dangereuses", par Anne Coudreuse (en ligne le 26 mars 2024).