Édition établie, présentée et annotée par Pierre Glaudes.
Joseph de Maistre : Quatre chapitres sur la Russie (la liberté ; la science ; la religion ; l’illuminisme, suivi d’un appendice et d’une conclusion) – première édition depuis 1859, basée sur le manuscrit de l’auteur (si l’on excepte l’édition des « Œuvres complètes » parues chez Vitte, 1884, t. VIII, p. 279-360) – édition établie, présentée et annotée par Pierre Glaudes (directeur, entre autres, de l’édition des Œuvres de Maistre chez Bouquins-Laffont, dans lequel ce texte ne figure pas).
Ennemi déclaré des Lumières, Joseph de Maistre (1753-1821) développa une philosophie de l’autorité, dénonçant l’illusion des droits de l’homme et de la démocratie (ce qui peut légitimement révolter une conscience moderne) : Les Soirées de Saint-Pétersbourg, Considérations sur la France, etc. Mais à en croire les meilleurs esprits, les raisons de le lire ne manquent pas. Si Paul Valéry le lisait pour « la saveur de son écriture » (causticité, imagination, acuité intellectuelle, style admirable), Cioran en proposait un usage thérapeutique : il s’agit de parier ironiquement sur les excès d’un dogmatisme « aussi habile à compromettre ce qu’il aime que ce qu’il déteste ». Une autre raison consiste à chercher dans son œuvre un révélateur, au sens chimique du terme. C’est ce que suggère George Steiner lorsqu’il affirme que ce penseur est « un prophète, qu’il annonce le malaise idéologique de la modernité en montrant la violence inscrite dès l’origine dans l’émancipation révolutionnaire ». Dans un style admirable, il prédit notamment qu’il existe une « exacte corrélation entre le déclin individuel ou national et l’énervation ou l’obscurcissement de la parole » : « Sa critique des Lumières et de la Révolution française, et sa conviction que tous les programmes mélioristes et populistes de l’action politique conduiraient à la tyrannie et à l’asservissement bureaucratique, demeurent un défi à toutes les écoles de doctrine libérale ou libertaire. » (George Steiner)
Ce livre ne regarde pas exclusivement la Russie et les premières années du XIXe siècle, années de guerres embrasant une partie de l’Europe… Aujourd’hui, alors que la guerre entre l’Ukraine et la Russie met l’ancien empire des tsars au premier plan de l’actualité internationale, et que la société russe semble s’être tournée vers le conservatisme anti-occidental et les valeurs traditionnelles, dans la nostalgie de son rêve impérial, une nouvelle édition de ces Quatre chapitres sur la Russie nous a paru s’imposer. D’aucuns y verront peut-être un témoignage irremplaçable sur la situation politique de ce grand pays au début du XIXe siècle, et y apercevront, au prisme de la pensée maistrienne, les tentations et les déchirements qu’il porte déjà en germe.
Composés à Saint-Pétersbourg à la fin de l’année 1811, les quatre volets de ce Mémoire sont l’un des ouvrages de Maistre où sa philosophie de l’autorité est présentée dans les termes les plus radicaux. Œuvre de circonstance destinée à rester confidentielle, elle n’en demeure pas moins une réflexion intraitable sur la guerre menée contre la souveraineté et la société elle-même.