Questions de société
Tribune des 400 femmes pour les femmes en hommage à Cécile Poisson, enseignante-chercheuse, assassinée le lundi 20 mars 2023 (Le Monde)

Tribune des 400 femmes pour les femmes en hommage à Cécile Poisson, enseignante-chercheuse, assassinée le lundi 20 mars 2023 (Le Monde)

Publié le par Fabula (Source : Dominique Dupart)

Tribune des 400 femmes pour les femmes en hommage à Cécile Poisson, Mcf Littérature, assassinée le lundi 20 mars 2023. 

#MeTooUniversité #MetooLitt #MeTooLittérature France

Un collectif de plus de 400 écrivaines, éditrices et enseignantes-chercheuses, rassemblant notamment Annie Ernaux et Vanessa Springora, dénonce, dans une tribune au Monde datée du 7 mars 2024, la persistance des agressions sexuelles et des viols dans le monde littéraire et dans les études de lettres, et appelle à l’organisation d’Etats généraux pour les femmes.

"Toutes, nous les connaissons toutes, toutes ces histoires qui circulent quand même, en dépit du silence, entre chercheuses, entre enseignantes, entre étudiantes, entre éditrices, entre écrivaines, entre artistes, collègues, amies, à l’université, dans les maisons d’édition, dans les festivals de littérature, dans le monde des arts.  Des histoires comme on se donne des nouvelles des dernières victimes recensées,  des dernières injustices accomplies.

Jamais la littérature n’a adouci les mœurs : dans les Départements de Littérature, dans les laboratoires, dans les UFR,  mais aussi dans toute l’université, dans les bureaux des maisons d’édition, dans toutes les coulisses possibles de l’écriture littéraire et scientifique, dans les coulisses de la création. Dans les couples aussi. La condamnation du professeur émérite, spécialiste du lyrisme et poète, Jean-Michel Maulpoix [Prix Goncourt de poésie 2022, auteur Gallimard]  à dix-huit mois de prison avec sursis pour « préjudice » infligé à son épouse,  rencontrée quand elle était étudiante,  chercheuse et enseignante en Lettres, confirme que ni la littérature, ni l’université, ne sauvent les femmes. 

Depuis que nous sommes étudiantes, depuis que nous sommes doctorantes, depuis que nous sommes enseignantes, depuis que nous sommes assistantes d’édition, éditrices, écrivaines, chercheuses, artistes, depuis que nous sommes vacataires, précaires,  depuis que nous sommes jeunes ou vieilles. 

À chaque étape, nous avons subi ou pris connaissance d’injustices, d’agressions, de viols, d’intimidations, de silences imposés, menaces,  brutalités, opérations en tous genres qui rabaissent,  de vols de savoirs, de chantages, de destructions d’œuvres, même.

De l’impunité sous toutes ses formes.

De l’impunité, au résultat, de proclamés « Lettrés » ou « Diplômés » qui se comportent souvent comme des prédateurs, presque toujours comme des êtres supérieurs. 

On peut remplir des pages et des pages avec toutes ces histoires.

La hiérarchie se marie parfaitement avec sexisme et misogynie. 

Il y a les insultes balancées par un poète institutionnel et il y a les ralentissements de carrière, les opérations de séduction misérables, à tous les âges, pour monnayer les postes, les contrats, les avancements.  

Mais alors, avec #Metoo, en littérature, à l’Université, dans l’Edition, rien n’a changé ? 

Rien n’a changé dans ce petit monde académique des Lettres, dans le milieu littéraire et éditorial qui cohabite avec lui dans l’amour des livres, de la science, des arts, dans l’université en entier ? Rien n’a changé dans ce pays dont le président, sans honte, à la télévision, soutient un présumé innocent violeur et agresseur multirécidiviste ? 

Si. 

Quelque chose a changé dans cette si masculine République des Lettres. 

Certaines histoires sont si fracassantes qu’elles en deviennent forcément publiques, spectaculairement. Il n’est plus possible de nier. Ce qui se passe dans le milieu du cinéma se passe aussi ailleurs… à l’université…dans les écoles, dans les maisons d’édition… dans le monde des arts…Partout ? Qui se souvient du féminicide d’Hélène Rytmann par le philosophe Louis Althusser ?

Cécile Poisson, nous voulons aujourd’hui te rendre hommage. 

Pour que ta mémoire et ton souvenir nous aident à ne plus nous laisser violenter d’une manière ou d’une autre.

Au nom des femmes.

Cécile, tu étais enseignante-chercheuse en Lettres, spécialiste des mythes en littérature, sentinelle « Égalité » dans ton université.

Cette année, tu aurais eu 49 ans. 

Tu as été assassinée, le lundi 20 mars 2023, par un homme « cultivé », « diplômé », tout ce qu’il faut sur le CV, ton mari : un assassin surtout.

Ton féminicide a fracassé les murs en béton de l’université au sein de laquelle les femmes sont souvent agressées sexuellement, menacées de chantage, violentées d’une manière ou d’une autre, plagiées, discriminées, sous emprise, sans que leurs aîné.es toujours les soutiennent. 

Face à ces crimes, face à tous ces témoignages d’injustice, nous avons le sentiment que l’omerta règne en puissance. Les agresseurs se font passer pour des victimes. Ainsi se poursuit la violence en refusant la reconnaissance. 

Toutes, nous les connaissons ceux qui agissent pour le pire. 

Si tu parles, t’es morte dans le milieu. Ta carrière est morte. Ta réputation est morte. Morte pour de vrai ou morte pour de faux, tu es morte. 

Aujourd’hui, #noustoutes, nous signons sans peur, en notre seul nom,  un appel à l’organisation d’États-généraux pour les Femmes dans l’Université, dans l’Édition, dans la Littérature. 

Et nous appelons nos amies historiennes, philosophes, scientifiques, sociologues, artistes, à nous rejoindre : pour que #MetooUniversité, #MetooLittérature, #MetooPhilosophie #MetooArts, #MetooSciences,  inventent  un autre monde aussi : sans déni, sans injustice, sans prédation."

Liste des signataires…

— 

Premières signataires Enseignantes-chercheuses

Martine Delvaux, Université du Québec 

Camille Froidevaux-Metterie, Université de Reims 

Charlotte Lacoste, Collectif de lutte contre le harcèlement à l'Université (Cha-U.fr),  

Université de Lorraine

Marielle Macé, EHESS

Laure Murat, UCLA

Christine Planté, Université Lumière-Lyon 2 

Tiphaine Samoyault, EHESS

Gisèle Sapiro, EHESS

Jennifer Tamas, Rutgers University 

Premières signataires Autrices

Marianne Alphant

Marie Darrieussecq [Prix Médicis 2013] 

Hélène Devynck [Impunité, 2013] 

Annie Ernaux, [Prix Nobel Littérature 2022] 

Liliane Giraudon

Leslie Kaplan 

Kaoutar Harchi

Camille Kouchner [La Familia grande, 2021]

Lola Lafon 

Léonora Miano [Prix Goncourt Lycéens 2006]

Nathalie Quintane 

Lydie Salvayre [ Prix Goncourt 2014]

Vanessa Springora [Le Consentement, 2020]

Laura Vazquez [Prix Goncourt Poésie 2023] 

Alice Zeniter [Prix Goncourt Lycéens 2017]

Tribune à l’initiative de :

Alice de Charentenay, Université Paris I 

Dominique Dupart, autrice, Université de Lille

Aurélie Foglia, autrice, Université Sorbonne Nouvelle 

Marie Fontana, Paris, Lycée Lamartine

Sophie Hache, Université de Lille

Christine Marcandier, Université Aix-Marseille

Magali Nachtergael, Université Bordeaux Montaigne 

Adrienne Petit, Université de Lille 

Emilie Picherot, Université de Lille

Lise Wajeman, Paris-Cité.