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Hommages à Michel Crouzet (1928-2023), par Michel Arrous & Didier Philippot

Hommages à Michel Crouzet (1928-2023), par Michel Arrous & Didier Philippot

Publié le par Marc Escola

Hommage à Michel Crouzet (1928-2023), par Michel Arrous

Michel Crouzet, qui a quitté les siens, ses amis et ses proches le 29 septembre, dans sa quatre-vingt-seizième année, occupe dans les études littéraires du XIX ͤ siècle une place éminente, celle d’un grand professeur au style unique (à Lille, Amiens puis Paris-Sorbonne), d’un maître exemplaire et bienveillant dont la générosité intellectuelle et humaine était immense. Dans la lignée de G. Blin et de J. Starobinski, il a mené sur Stendhal et le romantisme un énorme travail dont la cohérence et la profondeur ont été dès longtemps reconnues. Son positionnement dans le champ critique et sa démarche témoignent d’une liberté souveraine face à l’instrumentalisation de la littérature, qu’il s’agisse de l’approche structurale des textes, de la « psychocritique », des applications de la théorie freudienne ou de la « nouvelle critique », pour ne rien dire de « la mort de l’auteur » ; il n’a pas cédé au « démon de la théorie ». Combat contre la doxa moderniste dans laquelle il voyait une  entreprise de déculturation, son itinéraire intellectuel, marqué par le phénomène de décadence et de déclin de la littérature ou de la culture qu’il induit, Michel Crouzet l’a évoqué au cours d’un entretien avec les éditeurs du volume d’hommage La pensée du paradoxe. Approches du romantisme (PUPS,2006). Le travail du critique et du penseur, Pierre Laforgue l’a parfaitement évoqué dans « Stendhal, le romantisme et la modernité. Sur l’œuvre de Michel Crouzet » (HB, n° 18, 2014).  

Dans l’ensemble monumental de son œuvre, on peut distinguer un premier massif, la thèse « Littérature et politique chez Stendhal » soutenue à l’Université de Paris-Sorbonne en mai 1979, d’une dimension inusitée (dix parties)  et dont la publication se fit en ordre dispersé. Rappelons Stendhal et le langage (Gallimard, 1981) sur le nominalisme stendhalien, Stendhal et l’italianité (José Corti, 1982, réédition augmentée, Champion, 2006), La Vie de Henry Brulard, ou l’enfance de la révolte (José Corti,1982, nouvelle édition chez Eurédit, 2014), la Poétique de Stendhal. Essai sur la genèse du romantisme (Flammarion,1983 et 1986,  Slatkine Reprints, 2009), Raison et déraison chez Stendhal : de l’idéologie à l’esthétique (Peter Lang, 1984) où est interprétée l’adhésion « passionnelle » du Beyliste à l’idéologie de Tracy, enfin Nature et société chez Stendhal. La révolte romantique (P. U. Lille,1985), première partie de la thèse consacrée à la dette de Stendhal à l’égard de Rousseau. Tout aussi impressionnant par son ampleur, le second massif compte bien des cimes  : d’abord, en 1990,  la magistrale biographie Stendhal ou Monsieur. Moi-même  (Flammarion, réédition1999, nouvelle version chez Kimé en 2012) ; suivent entre 1995 et 1999 trois essais sur le romanesque stendhalien, et deux ouvrages sur la place de l’Amérique dans l’univers de Stendhal : Stendhal et l’Amérique (De Falois, 2008), Stendhal et le désenchantement du monde (Garnier, 2011). Dans  ce diptyque, on voit l’« Américain virtuel » que fut Stendhal, entre admiration et aversion, aux prises avec la modernité, face à l’Amérique où règne l’utilitarisme. Ces ouvrages désormais classiques témoignent d’une connaissance intime des textes ; s’y ajoutent de nombreuses et rigoureuses éditions des œuvres de Stendhal : Chroniques italiennes (Armand Colin,1960), Romans abandonnés (10/18,1968, nouvelle édition augmentée en 2018 chez Eurédit), Lucien Leuwen (Garnier-Flammarion,1982, LGF, 2007), D’un nouveau complot contre les industriels, suivi de « Stendhal et la querelle de l’industrialisme » (La Chasse au snark, 2001), La Chartreuse de Parme (édition critique, Paradigme, 2007), Racine et Shakespeare (Champion, 2006), mais aussi de W. Scott (« Walter Scott et la réinvention du roman », préface aux romans écossais, Robert Laffont, 1981), P.-L. Courier, Mérimée, Gautier, Barbey d’Aurevilly, les frères Goncourt, Hugo (Le Promontoire du songe, Les Belles Lettres, 1993 ; William Shakespeare, Folio, 2018). Dans la bibliographie de Michel Crouzet d’une douzaine de pages, il y a   des recueils comme le Parcours dix-neuviémiste (Eurédit, 2012) où sont rassemblées des études sur Courier, Latouche, Musset, Gautier, Nerval, Flaubert, Hugo, les Goncourt, Barbey d’Aurevilly, Maupassant, Bourget. Il faudrait   aussi évoquer son constant souci de faire vivre le stendhalisme, par des colloques, des conférences, et la direction de la revue HB qu’il fonda en 1997, ainsi que l’association Stendhal Aujourd’hui qu’il anima avec une vigueur toujours renouvelée.

Ceux qui ont écouté sa parole, ceux qui ont lu ses pages sur l’énergétique et le sublime stendhaliens ou sur la pensée romantique dans sa totalité esthétique, philosophique et anthropologique, tous ceux qui grâce à lui ont compris que « la littérature est au cœur de la vérité » saluent sa mémoire.  — Michel Arrous

On peut lire aussi sur le site de la SERD l'hommage de Didier Philippot

Professeur émérite à la Sorbonne, Michel Crouzet s’est éteint le 29 septembre, dans sa quatre-vingt-seizième année.

Comment lui rendre hommage ? comment rendre justice à son œuvre critique, immense par son ampleur et remarquable par sa profondeur ? Pour l’évoquer comme elle le mérite, il ne suffit pas de décliner la liste impressionnante de ses articles et de ses livres. Comment dire son intimité exceptionnelle avec Stendhal, et avec l’œuvre de Stendhal, dont témoigne une vie consacrée à l’éditer, à le commenter, à l’enseigner, à le faire comprendre ? C’est, hélas !, cette mémoire sans équivalent qui disparaît avec lui : hormis Georges Blin et, pour l’érudition, Victor Del Litto, on n’avait jamais eu avant lui une telle science, une telle compréhension intime de la Stendhalie dans tous ses aspects et toutes ses dimensions. Il connaissait Stendhal par cœur, il était même pour beaucoup d’entre nous tout Stendhal, dans la lettre et dans l’esprit. […]

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