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"Hommage à Michel Crouzet (1928-2023)", par Didier Philippot (site de la SERD)

Publié le par Marc Escola

Hommage à Michel Crouzet (1928-2023)

Professeur émérite à la Sorbonne, Michel Crouzet s’est éteint le 29 septembre, dans sa quatre-vingt-seizième année.

Comment lui rendre hommage ? comment rendre justice à son œuvre critique, immense par son ampleur et remarquable par sa profondeur ? Pour l’évoquer comme elle le mérite, il ne suffit pas de décliner la liste impressionnante de ses articles et de ses livres. Comment dire son intimité exceptionnelle avec Stendhal, et avec l’œuvre de Stendhal, dont témoigne une vie consacrée à l’éditer, à le commenter, à l’enseigner, à le faire comprendre ? C’est, hélas !, cette mémoire sans équivalent qui disparaît avec lui : hormis Georges Blin et, pour l’érudition, Victor Del Litto, on n’avait jamais eu avant lui une telle science, une telle compréhension intime de la Stendhalie dans tous ses aspects et toutes ses dimensions. Il connaissait Stendhal par cœur, il était même pour beaucoup d’entre nous tout Stendhal, dans la lettre et dans l’esprit. 

Cet esprit de Stendhal, il s’était efforcé de le faire vivre, à travers l’Association Stendhal aujourd’hui et la revue HB qu’il avait fondées et qu’il animait ; mais aussi dans ses études magistrales qui semblaient envisager l’œuvre comme un tout, vouloir l’embrasser tout entière et dans chacun de ses aspects, avec un remarquable mélange de hauteur de vue et d’acuité, sans chercher pour autant à l’unifier, cette œuvre diverse, et pour une part fragmentaire, dans un discours univoque, sans failles ni aspérités. À lire Michel Crouzet, on avait l’impression d’une fouille méthodique et complète, fortement cohérente, genre par genre (le roman, la nouvelle, le récit de voyage, l’autobiographie), thème par thème, enjeu par enjeu, problème par problème, pour parler comme Georges Blin (l’esthétique, le langage, les apories du sincérisme, la politique, le romanesque, l’Italianité comme mythe littéraire, l’enchantement italien et son contraire, ou son envers, le désenchantement moderne, américain, etc.), à la fois archéologique ou généalogique dans sa remontée jusqu’aux fondements (l’Idéologie, l’utilitarisme, l’héritage rousseauiste prolongé et dépassé), et puissamment attachée à recomposer le « système Stendhal », sa vision du monde, sa philosophie, tout en se gardant de toute réduction des textes littéraires à une pensée explicite[1].

Que dire également des admirables éditions qu’il a données, au fil du temps, des romans de Stendhal, mais aussi des récits inachevés (Romans abandonnés), de Promenades dans Rome, de Racine et Shakespeare, l’une des dernières étant l’indépassable édition de La Chartreuse de Parmechez Paradigme, toutes témoignant d’une érudition historique impeccable et, pour les éditions de poche, d’une volonté de diffusion la plus large. On ne le dit pas assez : Michel Crouzet n’était pas seulement un grand critique, qui acceptait de prendre le risque de l’interprétation ; c’était un grand critique parce qu’il avait acquis, au contact des œuvres, une étroite intimité avec elles, par le travail serré de l’annotation, au plus près du texte, et pour s’être efforcé de résoudre, brillamment, les nombreux problèmes épineux que pose l’établissement des textes stendhaliens, comme Lucien Leuwen, ce roman de Stendhal qui existe et qui n’existe pas, et dont il a donné une édition au Livre de Poche, à la fois rigoureuse et accessible. On n’oubliera pas non plus ses magnifiques éditions de Hugo (Promontorium somnii et, tout dernièrement, William Shakespeare), de Gautier (Mademoiselle de Maupin, Les Jeunes-France, l’œuvre fantastique), des nouvelles de Mérimée, des Diaboliques de Barbey, de Manette Salomon, etc. C’était donc un éditeur hors pair, dont on admirait le génie de la note – la note-monde, microcosme concentré d’une érudition unique, ou lieu en expansion d’une exégèse marginale continue ; et dont on admirait aussi le génie de l’introduction lumineuse, souvent développée en un véritable essai, d’une incroyable densité, avec un sens aigu de la formule, capable de ramasser dans un mot l’essentiel d’une pensée. […]

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