
« Un désir éperdu de langue »[1]
La langue de Marie-Hélène Lafon
Après les recueils de contributions consacrés à « la langue » de Sylvie Germain (EUD, 2010), à celle de Laurent Mauvignier (EUD, 2012), d’Éric Chevillard (EUD, 2013), de Jean Rouaud (EUD, 2015), de Maylis de Kerangal (EUD, 2017), de Marie Darrieussecq (EUD, 2019), de Léonor de Récondo (EUD, 2021) de Régis Jauffret (2023), de Bernard Noël (à paraître en 2024), nous souhaitons poursuivre notre investigation du matériau langagier, dans ses réalisations et ses singularisations littéraires les plus contemporaines, avec l’œuvre de Marie-Hélène Lafon, à la « plume remarquable »[2].
Elle a reçu le prix Renaudot en en 2020 pour Histoire du fils après avoir reçu dès 2001 pour son premier roman Le Soir du chien le prix Renaudot des lycéens.
Entre temps, des romans et des nouvelles, multiplement récompensés, tous publiés aux éditions Buchet-Chastel. L’un d’eux, L’Annonce, paru en 2009, a été adapté pour la télévision. Ces dix romans et quelques recueils de nouvelles ont pour point commun de tous se situer dans le Cantal, territoire où a grandi l’écrivaine et qui y revient toujours. « C’est un fond dont je ne me suis jamais départie, et le travail d’écriture, depuis plus de vingt ans, m’y confronte constamment », affirme-t-elle dans un entretien.[3]
« Il suffit de quelques lignes pour identifier ce style. Précis, bref, un sujet par phrase, la langue du quotidien, ni comparaisons ni métaphores, le ton toujours retenu, façon d'éviter les malentendus de la subjectivité et du pathos. Ce qui se dit ici relève en effet d'une stricte volonté d'économie et de contrôle. Le plaisir des mots, mais une évidente méfiance devant de possibles sorties du chemin prévu », note Jean-Claude Lebrun[4].
« Acharnée à fouiller le terreau des origines dans une écriture d'un rigoureux classicisme, elle construit un ensemble d'une forte cohérence, en lequel rien de moins qu'une œuvre se donne à reconnaître. […] Outre la proximité géographique, la puissance de la vision et la maturité du style situent sans conteste Marie-Hélène Lafon dans les parages élevés de Pierre Bergounioux, Pierre Michon et du Richard Millet de la trilogie corrézienne. »[5]
« Entrer dans la phrase de Marie-Hélène Lafon, c’est s’enrouler dans une spirale moelleuse ; avancer, par suspension et roulis, sous le ressac de personnages lignée ; sinuer dans les méandres d’une dynastie, les Santoire, nom, aussi, d’une rivière. »[6]
Outre cette terre rude et aride, source de ses romans, ce qui est relevé chez Marie-Hélène Lafon, c’est son style, sa puissance suggestive, son énergie, son efficace ou encore l’enroulé de sa phrase. Les Pays en 2012 reçoit ainsi le prix du style. Sa manière d’écrire est souvent relayée par la critique : toute « de délicatesse romanesque, admirablement paradoxale [où] l’intime se fait universel, le détour ravageur, le tacite affolant. »[7] « Son écriture, note Antoine Perraud, précise et poétique, sinueuse et pourtant raide, harponne sans le moindre dialogue : ‘Ce n'est pas dans mes moyens. Ça sonne faux.’ Notre femme de lettres a longtemps prétendu que la cause en était son aversion pour les tirets, les guillemets, toute cette « quincaillerie en forme d'horreur typographique ».[8]) « C 'est un travail sur les mots, lit-on encore dans le Figaro. On écoute une histoire, une belle histoire, on l'écoute en peu de mots, en des mots choisis, qui semblent gagner sur le silence »[9].
Comment donc caractériser précisément le « style remarquable » si aisément identifiable de cette « écrivaine « insulaire », à la « grammaire du monde »[10] si singulière , mue par le « souci de l’épure »[11]? Qu’est-ce donc que ce « travail sur les mots » ? Comment s’organise sa phrase ? Et comment rapporte-t-elle les propos si le dialogue en discours direct est proscrit ? Quelle portée esthétique peut avoir ce « goût éperdu » pour le subjectif plus que parfait que cette « travailleuse du verbe » reconnaît avoir dans une série d’entretiens avec Pauline Maucort[12] sur France Culture ?
C’est ce que nous tenterons de découvrir lors du colloque organisée les 27 et 28 mai 2024 à l’Université Paris Cité (UFR Lac), en collaboration avec l’Université de Bourgogne (CPTC), afin de décrire, d’analyser, dans une perspective stylistique et linguistique, la langue et le rapport à la langue de cette écrivaine « insulaire ». Les actes de la journée seront publiés ultérieurement.
Les propositions (un titre et quelques lignes de présentation) de communication et/ ou de contribution écrite devront parvenir avant le 15 octobre 2023 par courrier électronique aux adresses suivantes :
Cécile Narjoux (cecile.narjoux@u-paris.fr)
Sandrine Vaudrey-Luigi (sandrine.vaudrey-luigi@u-bourgogne.fr)
Emily Lombardero (emily.lombardero@u-paris.fr)
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[1] Marie-Hélène Lafon, Le Pays d’en haut, entretien avec Fabrice Lardreau, Arthaud, 2019.
[2] Lire Magazine, 1er décembre 2022, p. 118.
[3] Marie-Hélène Lafon, Le Pays d’en haut, op. cit.
[4] Jean-Claude Lebrun, L’Humanité, 28 sept 2017.
[5] Jean-Claude Lebrun, L’Humanité, 15 nov 2012.
[6] Juliette Einhorn, « La terre fertile de Marie-Hélène Lafon », Le Monde des livres, 13 janvier 2023.
[7] Le Monde des Livres, vendredi 13 janvier 2023
[8] (« Marie-Hélène Lafon, insulaire en son Cantal », La Croix, 27 août 2020
[9] Le Figaro, 30 nov 2020.
[10] Marie-Hélène Lafon, Le Pays d’en haut, op. cit.
[11] Ibid.
[12] « Marie-Hélène Lafon, travailleuse du verbe », À voix nue, série d’entretiens de Marie-Hélène Lafon avec Pauline Maucourt, France Culture, 18-22 septembre 2023.