Essai
Nouvelle parution
John E. Jackson, De l'expérience poétique

John E. Jackson, De l'expérience poétique

Publié le par Marc Escola

Depuis le jour où, adolescent, il a été saisi par un sonnet de Baudelaire, John E. Jackson n’a cessé de s’interroger sur ce qu’est la poésie dans l’espoir d’en dégager les qualités distinctives chez des écrivains que tout oppose a priori. Qu’y a-t-il en effet de commun, notre émotion de lecteur mise à part, entre les chansons du troubadour Jaufré Rudel et le minimalisme inquiet d’un Samuel Beckett ? entre François Villon, celui de la « ballade pour prier Nostre-Dame », et un Paul Celan qui, écrivant après Auschwitz, profère une sorte de louange à Personne ? et même entre Sapho et Labé, Ronsard et Rückert, Racine et Goethe, Hölderlin et Dante, Eliot, Apollinaire, Shakespeare, Bonnefoy ou Mallarmé ? Aussi familier que Jackson soit de cette constellation de poètes, l’énigme foncière de la poésie lui résiste ; elle mérite néanmoins qu’il y ait consacré le gros de ses efforts d’interprète, ne serait-ce que pour reconnaître l’énormité de la dette affective contractée auprès de ces œuvres qui l’ont accompagné toute sa vie. Dans les différents chapitres de ce nouvel essai, Jackson appréhende plusieurs facettes du mystère.

Dans le premier, intitulé « Musiques du sens », il fait l’hypothèse que la musique des mots prend le relais de notre désir de compréhension frustré « en instituant des modes de signification qui révèlent des dimensions allusives ou imageantes du langage que la parole ordinaire a tendance à recouvrir ou à masquer ». Dans un deuxième chapitre, convaincu qu’un poète est avant tout une voix, il s’efforce de la définir : « elle n’est pas, ou pas seulement, une façon de parler, elle est l’accent particulier qu’une dimension presque insaisissable donne à cette façon, une modulation qui fait frémir les mots mais sans se laisser réduire à eux ». Il constate ensuite que la poésie, aussi bien médiévale que moderne, a toujours eu besoin des dieux, et se penche sur les raisons de ce nécessaire souci de la transcendance avant d’aborder la question difficile de la réalité que le poème est en mesure de cerner. Bien loin d’être un pur miroir de la psyché de son auteur, la poésie se nourrit pour lui « d’une ambition ontologique qu’il convient d’analyser même si c’est pour reconnaître en elle le caractère inachevable d’une dialectique de l’objectif et du subjectif ».

Cet essai vaut par aussi pour l’émouvante profession de foi critique à laquelle Jackson se livre in fine ; cet art de la lecture qu’il défend exige précision et respect de la parole du poète : « Ce qu’il importe de se rappeler quand on cherche à interpréter de la poésie, c’est que celle-ci, quand elle est authentique, n’est jamais que la recherche d’une réalité ou d’une vérité dont son auteur dispose d’autant moins qu’il n’a, précisément, que son poème pour la chercher lui-même. ‘‘La réalité, écrivait Paul Celan, n’est pas. La réalité demande à être cherchée et conquise.’’ L’acte de l’interprétation ne peut être, au mieux, qu’une tentative seconde. »