Édition
Nouvelle parution
Fernando Pessoa, Ultimatum

Fernando Pessoa, Ultimatum

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne

Hommes, nations, desseins, tout est nul !

Faillite de tout à cause de tous !

Faillite de tous à cause de tout !

Complètement, totalement, intégralement :

                                   MERDE !

L’Europe a soif de création, elle a faim de Futur ! 

Les théories politiques et esthétiques, entièrement originales et nouvelles, que je propose dans cette proclamation sont, pour une raison logique, entièrement irrationnelles, exactement comme la vie. —Alvaro de Campos 

Paru en 1917, Ultimatum est le dernier poème que Fernando Pessoa écrit sous le nom d’Alvaro de Campos avant de plonger son hétéronyme dans un long silence qui prendra fin avec notamment la parution du célèbre Bureau de tabac en 1928. Dans ce réquisitoire féroce, Alvaro de Campos livre une charge violente contre son époque plongée dans la dégénérescence de la politique, de la religion et de l’art. « Époque de laquais » dit-il, ravagée par la guerre qui déchire l’Europe, sur laquelle règne la médiocrité et la bassesse dans un « maëlstrom de thé tiède ». Dans un même élan, sont jetés à la poubelle de l’histoire aussi bien d’Annunzio que Bergson, Maeterlinck, Kipling, Yeats, Rostand, Shaw, Wells… mais aussi les révolutionnaires prolétaires, les eugénistes, les végétariens et plus généralement tout l’occident à qui est adressé cet Ultimatum sonore et salvateur contre une Europe en mal de vision, de poésie et de grandeur. « L’Europe en a assez de n’être que le faubourg d’elle-même » écrit Alvaro de Campos, qui réclame un Homère pour cette ère des machines qui le fascine, lui l’ingénieur mécanique et naval et qui en appelle à une ambition de civilisation nouvelle, certes « imparfaite » mais magnifique, une aspiration à la « taille exacte du possible ».

Que l’homme soit à la hauteur de son époque qui ouvre sur des possibles infinis. C’est que l’humain n’a pas su adapter sa sensibilité à cette nouvelle ère de progrès et d’invention, et l’avatar de Pessoa d’en appeler à une adaptation artificielle, par un acte de « chirurgie sociologique », visant à éliminer les acquis du christianisme : dogme de l’individualité et de l’objectivisme personnel. Dans un mouvement surprenant, Pessoa semble faire ici en creux l’éloge des hétéronymes – exhortant les poètes à passer de « je suis moi » à « je suis tous les autres » – tout autant qu’il en appelle à une esthétique nouvelle à l’opposé même des aspirations lyriques d’Alvaro de Campos à l’œuvre dans ses Odes. Renverser les démocraties épuisées, désavouer la vérité philosophique, les convictions intimes, la liberté d’expression, au profit de l’expression d’une moyenne entre tous les hommes, prônant l’avènement fiévreux d’une « monarchie scientifique », et d’une « humanité mathématique et parfaite ».

Le regard tourné vers l’Atlantique, Alvaro de Campos adresse aux hommes et aux nations dans cet Ultimatum qui est son « chant du cygne » comme le souligne Pierre Hourcade dans sa préface, un « merde » tonitruant, provocateur, et profondément salvateur.

Édition bilingue

Traduction nouvelle par Jean-Louis Giovannoni, Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin

Préface de Pierre Hourcade.

On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :

"Quand la violence devient discours", par Louis Pailloux (en ligne le 4 juillet 2023).

On considère souvent qu’Álvaro de Campos est le plus « moderniste » et le plus « audacieux » des doubles de Fernando Pessoa. La nouvelle traduction de son célèbre poème final Ultimatum constitue l’occasion de se replonger dans une œuvre majeure de la poésie lusophone, d’en saisir la violence et d’en dépasser les lectures univoques.