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Les agendas d’écrivains : l’écrivain au fil des jours (Sorbonne Université)

Les agendas d’écrivains : l’écrivain au fil des jours (Sorbonne Université)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Pauline Flepp)

Appel à contributions pour le colloque international

Les agendas d’écrivains : l’écrivain au fil des jours

Sorbonne Université
10-11 octobre 2024

Le quotidien des écrivains a déjà été étudié à partir de la lecture attentive de leurs journaux, de leurs carnets ou de leurs correspondances, mais beaucoup plus rarement au prisme de ce support particulier d’archivage du présent que constitue l’agenda. Or le médium agenda ouvre de multiples perspectives, tant du point de vue factuel et documentaire que de celui d'une meilleure connaissance des attitudes de l'écrivain à l'égard de son œuvre et de l'environnement (littéraire ou quotidien) dans lequel elle se produit. Les travaux de Bernard Veck sur les agendas du poète Francis Ponge en témoignent, ainsi que la très riche introduction de Jacques Houriez dans son édition des Agendas de Chine de Paul Claudel. Des fonds d’archives comme ceux de l’IMEC ou de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet comportent plusieurs agendas qui, dans leur diversité, donnent bien à voir le parti qu’il y aurait à tirer d’une étude approfondie de ce médium pourtant souvent laissé de côté. C’est donc la tâche à laquelle ce colloque souhaite s’atteler. Sans prétendre épuiser toutes les possibilités de réflexions à partir de l’objet agenda – qui pourra retenir l’attention de chercheurs en littérature, en sciences sociales et en sciences de l’information et de la communication – nous proposons de premières pistes de réflexion que les communications pourront creuser :
 
Agendas et écritures de soi
 
Comment l’agenda participe-t-il du portrait, de la définition d’un individu ? Cette définition peut être liée au statut de créateur de l’écrivain, mais aussi (et la liste n’est bien sûr pas exhaustive) à son statut de lecteur (le relevé et le commentaire des lectures en cours ou à faire), de consommateur (les listes de course), ou encore de (télé)spectateur – ainsi Francis Ponge note-t-il tout ce qu’il voit à la télévision, avec des jugements catégoriques et lapidaires... Les notations discontinues que l’agenda intègre en son sein permettent en somme de saisir des instantanés de l’homme tout entier. Jacques Houriez souligne ainsi, dans sa présentation des Agendas de Chine de Claudel, combien ces derniers « laissent deviner la vie au quotidien d’un monde semi-colonial défunt, la vie du vice-consul et du poète-dramaturge Claudel, avec ses aspirations, ses incertitudes et son drame, ici montré sous des aspects que l’on ne peut ailleurs soupçonner[1] » – sans plus qu’il ne s’agisse de dissocier l’homme, le diplomate et le créateur. Des études filant la comparaison avec d’autres supports de l’écriture quotidienne, comme le journal et les carnets d’écrivains, seront bienvenues, l’agenda pouvant flirter avec ces pratiques, dans un va-et-vient entre des notes à caractère autobiographique, des notes pratiques (rendez-vous, choses à faire, listes d’achats, etc.) et des notes relevant d’un travail de création littéraire, ou le préparant.
 
L’intérêt génétique de l’agenda
 
Selon quelles modalités l’agenda participe-t-il du travail en cours ou à venir ? Il peut en effet encadrer l’écriture, la solliciter, l’accompagner, voire directement l’accueillir. Dans les agendas de Pierre Bonnard[2], parmi les rappel des rendez-vous, les listes de courses et les indications du temps du jour (« Cela me rappelle la lumière, et me suffit pour évoquer tout le déroulement d’une journée »), nous trouvons bien des réflexions de Bonnard sur son art, comme des aphorismes, ainsi qu’une multitude de croquis et de dessins, le tout montrant l’intrication étroite de la peinture et de la vie, avec un peintre qui est naturellement peintre, rien que peintre – de même que Francis Ponge est poète au quotidien. Il pourra donc s’agir de montrer comment une pareille intrication a également lieu dans des agendas d’écrivains : les agendas de jeunesse de Marcel Arland[3] comportent des fragments entiers de récits, devenant de véritables carnets d’écriture format de poche ; dans les agendas de Paul Claudel, plusieurs notes préparent les poèmes, en venant creuser une sensation.
 
Vie littéraire et vie d’écrivain
 
Les agendas sont bien sûr une mine d’or pour l’étude de la vie littéraire et d’une vie d’écrivain. Il y a les rendez-vous notés, les démarches à effectuer, toutes ces notations qui permettent de mieux cerner le paysage des différents milieux fréquentés (littéraires, artistiques, professionnels) et les amitiés marquantes. Dans une perspective sociologique, l’examen de la distribution du temps entre l’œuvre et l’autre vie ou l’autre métier sera une piste possible, dans le prolongement des travaux de Bernard Lahire[4]. L’agenda révèle en outre des préoccupations liées non seulement à l’écriture mais également à la publication de l’œuvre, et à ce qu’elle rapporte (les contrats à négocier, le compte des droits d’auteurs, etc.). Enfin, il y a ce quotidien de l’écrivain, déjà évoqué, quotidien qui doit aussi s’entendre en son sens le plus « plat », voire le plus trivial, avec tous « ces divers éléments qui composent l’ordinaire de la vie » – et comme Perec l’écrit dans Espèces d’espaces, en mentionnant d’ailleurs, parmi différents supports, un « feuillet d’agenda », « il y a peu d’événements qui ne laissent au moins une trace écrite »…
 
Laisser trace
 
L’idée de trace est centrale dès lors qu’on se penche sur le médium agenda ; l’étude d’un tel médium offrira donc la possibilité de construire une réflexion sur la question de la temporalité et de la mémoire, dans le prolongement, notamment, des travaux sur les écritures ordinaires. En effet, une des fonctions qui uniformise les écritures ordinaires est précisément la fonction de l’agenda : laisser trace. Les différentes temporalités de l’agenda peuvent ainsi être interrogées du point de vue de l’écriture : cette dernière se fait souvent dans l’instant présent, les intérêts et les impressions de l’écrivain étant pris sur le vif, avec une temporalité plus brute que celle du journal ; elle peut aussi être différée, rétroactive (noter, après coup, ce qui a été fait) ou prospective, tournée vers l’avenir (noter ce qui sera à faire, l’agenda constituant alors une mémoire extérieure). Il s’agira alors de creuser la question esquissée par Daniel Fabre des « relations fécondes de l’écriture, du temps et de la mémoire […], le témoignage de l’écrit, même réduit à sa plus simple expression, étant un moyen de structurer le temps qui passe, y compris quand il ne se passe pas grand-chose[5] ». À cet égard, on pourra d’ailleurs se demander ce qu’il en est de la pratique de l’agenda dans des moments collectifs ou personnels particulièrement intenses : est-il délaissé ou surinvesti ? que traduit-il de/dans ces moments de crises ? 
 
Reconfigurations numériques de la pratique de l’agenda
 
Si l’agenda subsiste aujourd’hui sous sa forme traditionnelle, il y a également toutes ces pratiques numériques qui ont des points de rencontre avec la pratique de l’agenda. La photolittérature donne notamment à voir toutes sortes de reconfigurations numériques de cette pratique : songeons aux fresques photographiques d’Éric Rondepierre, intitulées « Agendas », composées « de photos prises au jour le jour tout au long de l’année (entre 400 et 700) et d’un journal écrit incrusté dans l’image comme un parasite sur la peau des figures retenues et qui gêne leur reconnaissance[6] » ; ou encore au projet « Grains d’instants[7] », mené de 2013 à 2016, Christophe Grossi s’attachant à « remonter le temps en images » à partir de son premier instantané posté sur Instagram, « en reprenant ou en modifiant les légendes » afin de « voir ce que peut créer ce décalage spatio-temporel » – avec une volonté de tenir à distance le goût naturel de la publication numérique pour l’actualité. Il sera aussi possible, à travers une étude de sites d’écrivains, de réfléchir à la nouvelle gestion du temps dont témoignent les semainiers ou les agendas que l’on y trouve ; ces pratiques numériques de l’agenda témoignent d’une évolution du statut de l’écrivain, qui devient en quelque sorte son propre VRP, devant gérer non seulement son œuvre, mais aussi son temps, et ce d’une façon soudainement rendue particulièrement visible.   
 
Le champ des possibles pour les propositions est donc très vaste. Si le colloque pourra accueillir des communications adoptant une perspective monographique, avec un travail sur les agendas d’un écrivain précis, des entrées chronologiques ou thématiques seront également bienvenues. Une entrée chronologique possible serait ainsi de se plonger dans une année ou un événement, perçus à travers le prisme de plusieurs agendas. En ce qui concerne les entrées thématiques, elles sont nombreuses : la question du genre pourrait notamment être abordée à travers une étude des agendas du couple Mauriac, mis en regard dans les carnets « La vie apparente »[8] ; une proposition sur les agendas illustrés serait également stimulante, afin d’ouvrir la réflexion aux images, au-delà de la seule écriture. Des propositions de chercheurs en études théâtrales et en arts du spectacle seront vivement appréciées : le théâtre étant, par essence, un art collaboratif, il sera intéressant de voir comment les agendas en portent la trace et de pouvoir observer les étapes d’une création depuis les « coulisses ».
 
Comité scientifique :

Laurence Breysse-Chanet (Crimic, Sorbonne Université), Jean-Louis Jeannelle (Cellf, Sorbonne Université), David Martens (KU Leuven), Servanne Monjour (CELLF, Sorbonne Université) Gisèle Sapiro (EHESS)
 
Date limite d’envoi des propositions et modalités d’envoi 

Votre proposition (constituée d’un titre provisoire, un résumé d’environ 5000 caractères espaces compris et une courte notice bio-bibliographique) est à adresser conjointement à Pauline Flepp (pauline.flepp@gmail.com) et Laurie-Anne Laget (laurieannelaget@yahoo.fr) avant le 9 octobre 2023.
 
Bibliographie indicative (fonds d’archives et agendas publiés)
 
1) Liste (non exhaustive) de fonds d’archives comportant des agendas
 
Bibliothèque littéraire Jacques Doucet

Marcel Arland
Henri Calet
René Daumal
Paul Desjardins
Robert Desnos
Pierre Drieu La Rochelle
Paul Gadenne
Marie Laurencin
Jean-François Lyotard
Marcelin Pleynet
Claude Roy
Bernard Vargaftig
 
IMEC
 
Arthur Adamov
Pierre Albert-Birot
Georgette Camille
Anne Clancier
Catherine Clément
Françoise d'Eaubonne
Alain Decaux
Jacques Derrida
Georges Didi-Huberman
Max-Pol Fouchet
Gérard Guégan
Edgar Morin
Lucien Rebatet
Alain Robbe-Grillet
Frédérick Tristan...
 
Arsenal : Jacques Bens, Pierre Louÿs, Georges Perec, Marie de Régnier...
BNF : Apollinaire, Roland Barthes, Georges Bernanos, Jean-Richard Bloch, Jean et Jean-Pierre Giraudoux, Jean Guéhenno, Victor Hugo (carnets tenus par année), Jean Prévost, Raymond Roussel, Nathalie Sarraute, Paul Valéry...
 
2) Quelques agendas publiés

Paul Claudel, Les agendas de Chine, texte établi, présenté et annoté par Jacques Houriez, Lausanne, L’âge d’homme, 1991.
Pierre Drieu La Rochelle, Jouer Dantzig sur un match de football, éd. établie par Julien Hervier, Gallimard, coll. « Les Cahiers de La Nrf », 2021 [comporte notamment des transcriptions d’agendas].
Jean Follain, Agendas, 1926-1971, éd. établie et annotée par Claire Paulhan, Presses Pocket, coll. « Agora », 2019.
Pierre Bonnard, Pierre Bonnard au fil des jours. Agendas 1927-1946, Éditions L’Atelier contemporain, 2019.
 
[1] Paul Claudel, Les agendas de Chine, texte établi, présenté et annoté par Jacques Houriez, Lausanne, L’âge d’homme, 1991, p. 10.
[2] Pierre Bonnard, Agendas 1927-1946, Strasbourg, Éditions L’Atelier contemporain, 2019. 
[3] Fonds Marcel Arland, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, cote des agendas : ARL Pp 1 - ARL Pp 14. L’ayant-droit est décédé et ces agendas sont consultables à Doucet en signant une décharge de consultation.
[4] Bernard Lahire, La condition littéraire : la double vie des écrivains, Paris, La Découverte, 2006 
[5] Écritures ordinaires, sous la direction de Daniel Fabre, Paris, P.O.L., 1993.
[6] https://www.ericrondepierre.com/eric-rondepierre-agendas.html
[7] https://deboitements.net/spip.php?rubrique50
[8] Fonds François Mauriac, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, cotes : MRC 4037, MRC 4038, MRC 4056-4058 (transcription autographe par Jeanne Mauriac des événements notés dans ses agendas et dans ceux retrouvés de François Mauriac).