Colloque « Proust écrivain »
organisé par Antoine Compagnon et Matthieu Vernet
les 19 et 20 janvier 2023, au Collège de France, amphi Budé
Gérard Genette résumait les trois mille pages d’À la recherche du temps perdu en une formule lapidaire : « Comment Marcel devient écrivain. » Pour conclure le centenaire de la mort du romancier, nous voudrions poser cette question : « Comment Proust devint-il écrivain ? »
Proust fut longtemps à la recherche de la forme appropriée à son idéal d’écriture. Ses tâtonnements se succédèrent, touchant presque toujours à une matière intime dont il entendait faire une œuvre essentielle. Des premières publications confidentielles dans les petites revues à la consécration internationale au début des années 1920, la conscience qu’il eut d’être écrivain n’a cessé d’évoluer. De même pour ses lecteurs, car publier dans La Revue blanche, Le Figaro, chez Bernard Grasset ou aux éditions de La Nouvelle Revue française, cela ne renvoie pas de lui la même image. Le Proust qui sollicite plusieurs maisons d’édition en même temps pour publier son Contre Sainte-Beuve, les Pastiches et divers articles, ou À la recherche du temps perdu en 1912, n’est pas celui qui choisit les sollicitations qu’il honorera parmi toutes celles dont il est l’objet entre 1920 et sa mort.
S’intéresser à sa manière d’être ou de devenir écrivain, cela implique aussi d’interroger les stratégies que Proust associe au statut d’écrivain à différents moments de sa carrière, et encore de prendre en considération la sociologie du milieu littéraire au tournant des siècles, l’institution et le fonctionnement du monde des lettres parisien, avant et après la Première Guerre mondiale. L’étude du prix Goncourt de 1919 a montré que Proust prit une part active aux campagnes de ses éditeurs. Tout au long de sa vie, depuis le lycée, Proust se soucia non seulement d’écrire mais aussi de publier, chercha à placer des livres qui n’existaient pas encore, ou à rééditer des livres déjà publiés, comme Les Plaisirs et les Jours ou Du côté de chez Swann. Les « passages obscènes » de son roman, qu’il annonce aux éventuels éditeurs en 1909, puis qui seront révélés lors de la parution de Sodome et Gomorrhe I en 1921, le poussent à inscrire son œuvre dans la tradition littéraire classique. Proust exerça une vigilance minutieuse sur l’accueil et la vente de ses livres, harcelant ses éditeurs, manœuvrant pour obtenir des articles et des entretiens, allant jusqu’à rédiger lui-même certains échos. Dans la galaxie de ses interlocuteurs, certains noms reviennent souvent, comme ceux de Robert Dreyfus, Georges de Lauris, Gaston Calmette, Alfred Vallette, Gaston Gallimard, Jacques Rivière…
L’écrivain est aussi une figure littéraire et romanesque sur laquelle Proust a beaucoup écrit, que ce soit dans des articles de critique, dans Jean Santeuil, dans les brouillons du Contre Sainte-Beuve, et bien sûr dans À la recherche du temps perdu. Le personnage de Bergotte, son apparition dans la genèse du roman, son rôle dans l’intrigue, ses succès et ses défaillances, tout cela nous renseigne sur l’idée que Proust se faisait de l’écrivain, de son emploi dans le monde et dans la littérature.
Quand prit-il conscience d’être écrivain, et quand d’être un grand écrivain ? Comment cette conscience se modifia-t-elle au cours de sa carrière d’écrivain ? Et comment la conscience de l’écrivain que fut Proust évolua-t-elle au cours des décennies qui suivirent sa mort, jusqu’à ce jour ?
Programme du colloque :
Jeudi 19 janvier 2023
9 h Introduction
9 h 15 Emmanuelle Kaës, « Proust à l’école »
10 h Christophe Pradeau, « L’apprentissage dans les revues »
10 h 45 Pause
11 h François Proulx, « Les amis d’écriture »
11 h 45 Gisèle Sapiro, « Académies, salons et greniers : le monde des lettres au temps de Proust »
Déjeuner (12 h 30 - 14 h 30)
14 h 30 Francesca Lorandini, « La mondanité littéraire »
15 h 15 Matthieu Vernet, « Proust et ses éditeurs »
16 h Pause
16 h 15 Françoise Leriche, « Comment Proust récrit la genèse de son œuvre et construit son propre mythe dans ses lettres »
17 h Jean-Yves Tadié, « Proust champion de la phrase courte »
Vendredi 20 janvier 2023
9 h Nathalie Mauriac Dyer, « Devant la porte qui s’ouvre sur son histoire »
9 h 45 Max McGuiness, « Proust et la bataille journalistique »
10 h 30 Pause
10 h 45 Adam Watt, « “Une sévère discipline intérieure” : l’écrivain après le prix Goncourt »
11 h 30 Elisabeth Ladenson, « Proust et les écrivaines »
Déjeuner (12 h 30 - 14 h)
14 h Paola Cattani, « “Botaniste” et “mystique” : la première réception de Proust en Europe »
14 h 45 Antoine Compagnon, « Mort à jamais ? »
15 h 30 Pause
16 h - 18 h Table ronde avec Nathalie Azoulai, Alain Finkielkraut, Yannick Haenel et Philippe Lançon