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Devenirs de la mélancolie

Devenirs de la mélancolie

Publié le par Université de Lausanne

À l'initiative d' Astrid Chevance et Anaëlle Touboul, la Fondation Singer Polignac accueille le 5 octobre prochain le colloque pluridisciplinaire "Devenirs de la mélancolie" intégralement retransmis en ligne. De la bile noire d’Hippocrate au soleil noir de Nerval, de la Melancholia des gravures d’Albrecht Dürer à celle du cinéma de Lars Von Trier, les territoires de la mélancolie sont vastes et arpentés par de nombreux artistes, écrivains, religieux ou savants, qui donnent sens à cette expérience aux côtés de ceux qui l’éprouvent. Esthétisée, spiritualisée ou médicalisée, la mélancolie en appelle à tous nos savoirs et nos faires pour ne pas rester pétrifié à son contact…

Sous le titre Nostalgie, Thomas Dodman fait de son côté l'Histoire d'une émotion mortelle (Seuil) : au début du XIXe siècle, on "avait" la nostalgie comme on avait le typhus, et on en mourait souvent. Si la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, encore faudrait-il savoir ce qu’elle fut : désignée dès 1688 comme "mal du pays", brûlant désir de rentrer chez soi, la nostalgie touchait surtout les soldats, les colons, les esclaves ou les travailleurs migrants, tous expatriés à mesure que le monde s’élargissait, avec la conquête de nouveaux continents, les guerres impériales et l’expansion coloniale. Elle y fit parfois plus de morts que la violence des combats.… S’appuyant autant sur l’histoire de la médecine et de la psychiatrie, que sur les témoignages des conscrits napoléoniens ou les études sur la "nostalgie africaine" des colons français en Algérie, Thomas Dodman donne une profondeur historique à ce qui est aujourd’hui un sentiment bénin inhérent à l’espèce humaine. Pourquoi a-t-elle cessé d’être une maladie ? Comment cette pathologie de l’espace est-elle devenue, au tournant du XXe siècle, recherche du temps perdu ? L’enquête ouvre alors des pistes pour comprendre les inquiétudes que suscitent la modernité, le cosmopolitisme et l’émergence d’un capitalisme bientôt triomphant.

Signalons à cette occasion le catalogue de l’exposition présentée à la Bibliothèque nationale de France l'hiver dernier : Baudelaire. La modernité mélancolique, sous la direction de Jean-Marc Chatelain. Épreuves corrigées de la première édition des Fleurs du Mal, manuscrit autographe de Mon cœur mis à nu, estampes de Meryon, autoportraits ou encore portraits par Nadar invitent à une immersion dans l’univers du poète…

Et rappelons l'essai de Judith Butler, déjà salué par Fabula : La vie psychique du pouvoir. L'assujetissement en théories dans une traduction procurée par B. Matthieussent pour les éd. Amsterdma. Judith Butler s’y emploie à déplier l'ambivalence constitutive du sujet, soumis ou assujetti à un pouvoir extérieur à lui, qui fonctionne simultanément comme sa condition de possibilité, laquelle fait ensuite l’objet d’une occultation et d’un déni. Comment le sujet pourrait-il dès lors affirmer son autonomie et se constituer pleinement comme soi ? En mêlant la théorie sociale, la philosophie et la psychanalyse, en faisant dialoguer des frères ennemis – Hegel et Nietzsche, Freud et Foucault, Hegel et Althusser –, elle étudie les tours et détours empruntés par la formation du psychisme, le rapport du sujet à soi et, enfin, la constitution "mélancolique" de l’identité de genre. Fabula vous invite à (re)découvrir des extraits de l'ouvrage…

On trouvera au sommaire de septembre de notre revue des parutions Acta fabula un compte rendu de l'essai de Hourya Bentouhami, Judith Butler. Race, genre et mélancolie, (éd. Asterdam toujours) : "Judith Butler face aux incohérences du monde", Sana M'Selmi…

Illustr. : Vilhelm Hammershoi, La danse de la poussière dans les rayons du soleil, 1900, Ordrupgaard Museum, Copenhagen.