S. Dournel (dir.), Mais que reste-t-il de nos métaphores ? La métaphore à l’épreuve de la littérature contemporaine
Compte rendu publié dans Acta fabula (mai 2023, vol. 24, n° 5) : "L'enseigne métaphorique", par Christine Jérusalem
Que reste-t-il de nos amours, de nos métaphores, de notre amour de la métaphore ? Celui de l’Écrivain, dont la postérité portera aux nues les fusées figurales. Celui, inspiré par le premier, du modeste mais ambitieux littérateur pour qui la figure - c’est certain - ouvrira grand les portes de la terre promise. Ou celui du lecteur qui, parcourant ses premières lignes, attend l’instant où la linéarité des mots, du sens et le défilé prévisible des signifiants seront enfin rompus pour - il le sait - annoncer l’entrée en littérature. Cette attente, ce désir, ce culte, sont-ils voués au même sort que l’automne amoureux chanté par Trenet ? Ou la question se résout-elle simplement, avec Ferré, en un définitif mais si naturel « avec le temps, va, tout s’en va » ?
Immémorial, le lien qui unit métaphore et littérature semble pourtant, avec superbe, ignorer les urgences du tempus fugit, l’inéluctable du memento mori et jusqu’à toute idée de finitude; d’autant que la métaphore - juste retour - semble investie du pouvoir de « donner au style une sorte d’éternité ».
C’est que la métaphore séduit, aimante, fascine. Figure à la fois de la liaison et de la rupture, de l’association comme du transfert, elle est une figure qui va plus loin que la figure. Elle est, par définition et par excellence, « transport », metaphora. La littérature exploite avec avidité ses potentialités, sa force impressive, émotive, esthétique. Si la perméabilisation progressive des grands genres institués, l’émergence de nouveaux – autobiographie, autofiction, nouvelle –, la surexposition médiatique de la chanson – et notamment de la chanson dite « à texte » –, n’ont pas démenti le succès de cette figure-reine, c’est peut-être qu’elle permet également d’exaucer un vœu simple, premier, et définitoire de la création littéraire. Par les reconfigurations qu’elle autorise, la métaphore est une lecture du monde, et par là une modalité d’accès privilégiée à la subjectivité de celui qui l’énonce, à son mode d’appréhension de l’existant, qu’il soit protagoniste, auteur, narrateur ou sujet lyrique. Exposés en surface du discours, la métaphore et ses échos n’affirment ainsi – de manière ostentatoire, presque péremptoire – qu’une seule chose : que le réel peut être envisagé autrement. Il s’agit dans cet ouvrage de susciter, à l’aune d’une figure aussi ancienne que la littérature elle-même, une épistémologie de celle de ce siècle, d’en dresser un état des lieux afin d’évaluer ce que la métaphore « fait » à la littérature, et ce qu’en retour la littérature « fait » à – et de – la métaphore.