Questions de société

"Encadrer des thèses : d’abord, ne pas nuire. État d’un champ de recherche", par M. Houssay-Holzschuch, R. Le Goix et C. Noûs (revue EchoGeo)

Publié le par Vincent Ferré

"Encadrer des thèses : d’abord, ne pas nuire. (1) État d’un champ de recherche"

par Myriam Houssay-Holzschuch, Renaud Le Goix et Camille Noûs

Résumé :

La relation entre l’encadrant·e et le·la doctorant·e est une dimension importante de notre activité professionnelle, et pourtant peu analysée. Cette première contribution ouvre une réflexion sur le vocabulaire (directeur·ice, encadrant·e, patron·ne, supervisor…), les textes réglementaires (arrêté de 2016, qui redéfinit profondément ses modalités), la littérature scientifique existante, et l’importance qu’il y a d’inscrire la thèse dans une trajectoire professionnelle.
Une deuxième contribution (à suivre) partira d’une expérience réflexive sur nos pratiques pédagogiques d’encadrant·e, à des fins de partage et discussion au sein du système français d’enseignement supérieur et de recherche. Les difficultés et dysfonctionnements existant dans la relation d’encadrement de thèse nous imposent, éthiquement et politiquement, de construire une proposition pédagogique et professionnelle, partant de cas concrets, explicitant des situations effectivement rencontrées, pour fournir des ressources et un horizon normatif pour le travail d’encadrement. L’implication de l’encadrant·e est essentielle pour améliorer les conditions de la thèse. C’est pourquoi nous proposons un premier référentiel des tâches concrètes de l’encadrant·e : enseigner et accompagner, soutenir et supporter, socialiser dans une communauté scientifique et disciplinaire en géographie, et fournir les ressources en mentor.

Plan de l'article

Introduction

Les mots pour le dire

Des analyses venues du management

Le doctorat, un apprentissage : les apports de la Scholarship of Teaching and Learning

Relations de pouvoir : des référentiels critiques, féministes et du care

Haut de page

§1 " Comme dirait l’oncle de Peter Parker, “with great power come great responsibilities”. Or, “[t]he power that you as a supervisor have over a student or postdoc is immense” (Anonyme 2017). Pourtant, la relation entre l’encadrant·e et le·a doctorant·e, dont on connaît l’intensité et l’impact (y compris dévastateur quand elle se passe mal) est peu analysée en France. Elle ne fait pas l’objet d’une formation systématique de l’encadrant·e malgré les recommandations (Inspection générale de l’Éducation 2020) ou de cadrage autre que réglementaire (voir Encadré 1). Le fonctionnement institutionnel et nos pratiques professionnelles la maintiennent dans un espace flou de relations à la fois hiérarchiques et personnelles, de temps de travail non comptabilisé, de pratiques pédagogiques discrètes et non incluses dans les services d’enseignement. Il s’agit pourtant d’enseignement : nous passons du temps avec des étudiant·es pour qu’iels accèdent à un diplôme et à une qualification professionnelle. Il s’agit aussi de recherche et les doctorant·es fournissent une partie essentielle de l’effort de recherche, ce sont aussi des collègues. Il est question d’insertion dans une équipe, d’accueil en laboratoire, de conditions matérielles. 

[...]
§3 L’objectif de cette contribution en deux parties est de faire un retour réflexif sur nos pratiques pédagogiques d’encadrement doctoral, à des fins de partage et de discussion au sein du système français d’enseignement supérieur et de recherche (ESR) : les contextes institutionnels et les conceptions de l’encadrement sont éminemment nationaux. Dans ce premier article, nous faisons part de la rencontre entre cette expérience et, d’une part la littérature académique, notamment dans le champ du management, des sciences de l’éducation, et des géographies féministes ; d’autre part, les principes éthiques d’enseignement et de mentorat qu’il nous semble nécessaire de clarifier. 

[...]
Note : Avant d’entrer dans cet état de la question, nous précisons d’où nous parlons et sur quelle expérience. Sans que ce soit une démarche systématiquement auto-ethnographique (Ellis, Adams, et Bochner 2011), nous assumons une position qui relève du retour d’expérience (RETEX), telle qu’elle se pratique dans de nombreux champs professionnels et en pédagogie du supérieur (voir par exemple Orjuela et al., 2013; Debski et Lenoir, 2017). Notre pratique comprend une trentaine d’encadrements de thèses et d’HDR (au total des deux auteur·es), plusieurs comités de thèse et Comités de Suivi Individualisé (CSI), de multiples M2 accompagnés vers le projet de thèse, un mentorat informel de nombreux jeunes collègues dans et au-delà de nos laboratoires respectifs. Le volet de l’évaluation comprend des centaines de dossiers expertisés en comités de sélection, à la section 23 du CNU (deux mandatures CNU chacun·e), des évaluations HCERES où l’un de nous a systématiquement été chargé de l’entretien à huis clos des doctorant·es ; ou encore pour l’autre au CoNRS section 39, à la Commission Scientifique Consultative 4 de l’IRD. Enfin, notre bac à sable réflexif commun, depuis six ans, comprend une codirection et la co-organisation depuis 2018 d’une semaine annuelle de retraite d’écriture destinée aux personnes que nous accompagnons. Par ailleurs, une partie de nos constats et réflexions s’appuie sur des échanges de long terme avec des collègues encadrants de plusieurs pays et disciplines relevant des STEM et LSHS, dont une partie sont réunis notamment sous les hashtags #Menthonnex, #AcWri et #SupervizingDecently sur Twitter. Ces expériences constituent le matériau à partir duquel nous écrivons. Enfin, nos Padawans ont relu et corrigé ce texte sur lequel iels ont eu un droit de veto.

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