Mars 1772. L’innocent M. Thomas, académicien distingué, publie un Essai sur le caractère, les mœurs et l’esprit des femmes qui déclenche chez ses contemporains – notamment chez Diderot et Mme d’Epinay – une vive polémique. La question, en effet, est d’importance : la femme est-elle le produit de son éducation, ou bien est-elle prioritairement façonnée par les lois de la Nature ? Inauguré à l’aube de la Révolution, ce débat entre les points de vue culturaliste et essentialiste a connu la fortune que l’on sait. Il a entraîné dans son sillage une autre interrogation à la pertinence toujours brûlante : la femme est-elle la semblable de l’homme ou reste-t-elle à jamais l’Autre, désirée en même temps que crainte ? Sous le titre Qu'est-ce qu'une femme ? 1772-1774, Élisabeth Badinter a réuni dans un volume de la collection Champs-Flammarion le texte de A.-L. Thomas et les commentaires qu’en firent Diderot et Mme d’Epinay, en les accompagnant d'un essai qui en analyse les implications et la portée pour les lecteurs d’aujourd’hui. Fabula vous invite à feuilleter l'ouvrage…
Pour ne pas être en reste, la même Élisabeth Badinter présente dans la même collection un recueil de Paroles d'hommes (1790-1793). Condorcet, Prudhomme, Guyomar… Rares ont été toutefois les hommes de la Révolution qui s’intéressèrent au sort des femmes. Et s’ils modifièrent de façon décisive leur statut juridique, ils furent, à l’exception de quelques-uns, beaucoup moins préoccupés par leurs droits civiques. La plupart se réclamaient de l’ idéologie républicaine, fondée sur la liberté et l’égalité des citoyens. Mais, pour la grande majorité d’entre eux, à commencer par Rousseau, la femme devait "se borner au gouvernement domestique, ne point se mêler du dehors". À les lire, on voit bien à quel point la proximité, la similitude et la confrontation des sexes leur faisaient horreur. 1789-2022 : deux cents ans plus tard, si les femmes sont devenues des citoyennes à part entière, le combat pour la reconnaissance continue. Elisabeth Badinter donne à comprendre les causes profondes, philosophiques aussi bien qu’événementielles, de cette longue glaciation dans l’évolution de nos moeurs et le rôle mal connu qu’y ont joué les révolutionnaires. Fabula vous invite également à feuilleter ce deuxième titre…
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La Petite Bibliothèque des éditions Payot & Rivages rééditent dans le même temps l'essai de Louise Dupin, Des femmes. Discours préliminaire : contemporaine d’Olympe de Gouges, invisibilisée par son mari et restée dans l’ombre des trois penseurs auxquels elle eut affaire — Montesquieu, Rousseau et Voltaire —, Louise Dupin (1706-1799) tenait pourtant, à Paris, l’un des plus fameux salons littéraires et philosophiques de son époque. Elle dénonçait les violences faites aux femmes, militait pour l’égalité professionnelle et l’accès des femmes à la politique, pour le divorce, pour la transmission du nom de la mère aux enfants, et critiquait le manque de considération envers les femmes dans les écrits des plus grands auteurs depuis l’Antiquité. Rousseau tomba amoureux d’elle, Louise Dupin l'éconduit puis l'engagea comme secrétaire. Ensemble, à Paris ou au château de Chenonceau, dont elle était propriétaire, ils travaillèrent à un grand livre féministe. Le résultat, ce sont des milliers de pages qui finiront, au XXe siècle, dispersées dans toute l’Europe et en Amérique. En les traquant pour les rassembler, Frédéric Marty a retrouvé un manuscrit resté totalement inédit, formant comme une longue introduction à son grand-œuvre, où sont formulées les idées de Louise Dupin sur l’égalité des sexes.