Ce livre traite de recherches scéniques qui invitent les spectateurs à questionner des concepts et des comportements de pensée. Il tente d’examiner comment elles peuvent être conçues comme critiques alors qu’en l’absence de fable, elles abandonnent le désir de critique dialectique d’obédience brechtienne ou piscatorienne. Il semble que les spectacles proposent des entrelacements de démarches d’inspiration kantienne ou plutôt postfondamentaliste, navigant entre une critique-crise et une pensée affirmationniste. Ces démarches semblent par ailleurs habitées par le désir de toucher. Abdiquant l’idée de se saisir des comportements de pensée avec assurance, elles se conjuguent à un usage singulier de la langue qu’on peut appeler « poétique ».
Les scènes et les textes s’ouvrent et appellent les spectateurs à s’engager sur une scène de la pensée morcelée. Un tel usage du langage tend à faire des spectacles le lieu d’une critique qui rassemble des « objets qui nous sont chers » (Latour), ou d’une critique par résonance (Hartmut Rosa). Plus qu’à des concepts, ils appellent peut-être les contemporains à se pencher sur « ce qui les fait penser » (Stengers) en revenant sur le désir ou la mélancolie, le rapport aux traces et aux voix, des objets mythiques et des corps non utopiques. Ils fraient la voie à des modes de dire et de faire sens profondément relationnels, ancrés dans une expérience
Éliane Beaufils est maître de conférences en arts du spectacle à l'université de Paris 8.