« Pour l’oiseau respirer, c’est chanter. »
Petite ornithologie des Pleurs
About birds in Tears
Quand, par un jour de pluie, un oiseau de passage
Jette au hasard un cri dans un chemin perdu,
Au fond des bois fleuris, dans son nid de feuillage,
Le rossignol pensif a parfois répondu.
Alfred de Musset, « À la même, sonnet » ([1847] 1976, p. 404)
L’eau, la terre et les vents, tout s’emplit d’harmonies.
Un jeune rossignol chante au fond de mon cœur.
Alfred de Musset, À quoi rêvent les jeunes filles ([1832] 2019, p. 139)
1Marceline Desbordes-Valmore a fait des Pleurs un nid d’oiseaux. Qu’ils convient un souvenir fugace, qu’ils soient messagers entre le ciel et la terre, qu’ils traversent un paysage ou fassent entendre la beauté de leur chant, les oiseaux font partie de l’espace lyrique des Pleurs. On dénombre en effet vingt-six occurrences du terme « oiseaux » dans le recueil – sont intégrées ici les différentes espèces mentionnées dans le recueil : rossignols, fauvettes, colombes, ramiers, hirondelles, alouettes. Ce chiffre est triplé si l’on ajoute la synecdoque des « ailes » ou des « plumes », voire la mention du « nid », si fréquente dans la poésie valmorienne1. Face à ce beau volucraire, les autres animaux sont en tout petit nombre : deux chiens, trois abeilles (présentes dans les exergues de Latouche, Hugo et Lamartine), deux insectes et une cigale.
2Les oiseaux sont à ce point nombreux qu’ils excèdent le seul tropisme thématique pour se constituer en un ensemble cohérent, qui dévoile un aspect singulier de l’inspiration valmorienne. En témoignent « Les Mots tristes », qui réunissent dans leurs vers une hirondelle, un cygne, un rossignol. Or selon l’hypothèse de Paule Petitier et d’Alain Vaillant, l’oiseau serait l’emblème du romantisme (Petitier et Vaillant, 2016, p. 337-352) ; il en serait l’animal tutélaire, figurerait ses aspirations et ses contradictions ; « il chante partout la nostalgie de l’absolu, l’amour impossible, la joie spontanée » (Vaillant, 2012, article « Oiseau »). Qu’en est-il de sa présence et de sa signification dans Les Pleurs ? Doit-on la relier à la veine romantique, autrement dit à une forme de stéréotypie et à l’usage bien connu de l’oiseau comme double lyrique du poète ? Y-a-t-il au contraire une singularité de l’oiseau dans Les Pleurs ? Étudier la présence ornithologique dans cette œuvre pose un certain nombre d’écueils herméneutiques car les oiseaux sont souvent des figures, au moins polymorphes, sinon doubles, et superposent plusieurs strates d’interprétation. Si on les considère traditionnellement comme des avatars du sujet lyrique, ils sont aussi des créatures autonomes, qui relèvent du monde sensible et font partie des paysages et des décors quotidiens. Mais leur présence est aussi porteuse d’une tradition allégorique, qu’elle soit littéraire, ou qu’elle s’intègre plus largement dans l’histoire culturelle des croyances et des symboles.
Avatars du sujet lyrique
3Si les oiseaux occupent l’horizon des Pleurs, certaines espèces précises ont les faveurs de la poète, qu’elles appartiennent au panorama mémoriel du recueil, ou soient métaphorisées par le régime discursif et lyrique : le rossignol, la fauvette, l’hirondelle, l’alouette, le ramier, et enfin la colombe forment un ensemble d’oiseaux dont la tradition littéraire est pluriséculaire. Ils ont tous en commun de s’être constitués en avatars du sujet lyrique, chaque oiseau évoquant un rapport symbolique à la vie, partant à l’écriture et à la création : la profondeur mélancolique du chant nocturne du rossignol, l’intimité mobile de l’hirondelle, qui tisse son nid au creux des avant-toits des maisons ; l’agilité sans pareille de la fauvette, qui dessine au ciel des lignes de vol qui résistent à tous les vents, toutes les tempêtes ; « l’alouette aux cieux » (« XLVIII. L’impossible », v. 2, GF, p. 175), enfin, la colombe et le ramier forment un couple sentimental (en outre le ramier est l’animal familier que pleure le petit garçon du « Premier Chagrin d’un enfant »). Leur personnification, leur caractérisation ou la comparaison qu’il suscite permettent de formuler une première hypothèse : l’oiseau valmorien est toujours à portée d’humanité et véhicule avec lui une réflexion sur la fugacité du temps et sur l’acte créateur.
4Dans l’article qu’il consacre à Marceline Desbordes-Valmore à l’occasion de la parution du recueil, Sainte-Beuve réinvestit l’assimilation de la poète à un oiseau, en l’occurrence à une fauvette, dans une perspective auctoriale et genrée :
Comme Lamartine, Mme Valmore n’eut de maître que le cœur et l’amour ; comme lui, elle ignore l’art, la composition, le plan ; mais elle est femme, elle est faible, elle n’a rien de l’ampleur ni de la volée du grand cygne ; elle s’écrie de sa branche comme la fauvette veuve (miserabile carmen !), elle pousse nuit et jour des chants aigus et saccadés comme la cigale sur l’épi. (Sainte-Beuve, 1833, p. 250)
5Or dans le recueil, la fauvette est associée à la figure de Louise Labé ; c’est avec le rossignol, dont la vocation lyrique est ancestrale (voir Bégou-Ball, 2009), que la poète entre en dialogue.
Le rossignol
6Le rossignol est l’oiseau-chanteur par excellence (voir Mathieu-Castellani, 2016), aussi n’est-il pas étonnant que Marceline Desbordes-Valmore en fasse un sujet lyrique dans quatre poèmes, voire cinq, si l’on admet que la périphrase « l’oiseau des nuits » (« XXXIX. Ma fille », v. 45, GF, p. 146) le désigne. Dans « Les Mots tristes », il est « le doux rossignol » (v. 111, GF, p. 61) ; il fournit le sujet central de la méditation du « Rossignol aveugle » ; dans « Aux mânes d’Edmond Géraud », il est le « rossignol ému » (v. 5, GF, p. 169), personnification qui corrobore l’hypothèse d’un avatar de la persona poétique, l’émotion étant l’état par lequel advient le chant élégiaque ; un rossignol « sombre » apparaît enfin dans « L’âme de Paganini » (v. 19, GF, p. 179), au sein d’une analogie qui établit un parallèle entre l’art virtuose du violoniste et l’oiseau chanteur. Marceline Desbordes-Valmore s’inscrit ici dans une tradition bien établie : de Saadi à Musset, en passant par Marie de France et Amable Tastu, le rossignol est le compagnon des poètes malheureux, le double de leur mélancolie. Au dénouement d’Histoire d’un merle blanc, le héros du récit envie le rossignol et lui demande quel est le secret de son bonheur. Or s’il vit par son chant, destin dénié au commun des mortels, mais non aux poètes, le rossignol n’est pas heureux car « il est amoureux de la rose » (Musset, [1842] 2010, p. 94), qui se ferme quand son chant s’élève dans la nuit. À l’instar de Musset, le rossignol de Marceline Desbordes-Valmore est condamné à la beauté vaine d’un chant cependant vital : « pour l’oiseau respirer, c’est chanter », écrit-elle dans « Le Rossignol aveugle » (v. 19, GF, p. 127). La formule est aisément transposable, puisque la vocation du poète consiste à donner vie à des mots, souffle à une mélodie. Bernardin de Saint-Pierre, dont Marceline Desbordes-Valmore est lectrice et qu’elle cite en exergue de « L’Impossible », établit lui aussi un parallèle entre la vocation de l’oiseau et celle du créateur :
Il se méfie du voisinage de l’homme, et cependant il se place toujours à la vue de son habitation et à la portée de son ouïe. Il chante alors un drame inconnu qui a son exorde, son exposition, ses récits, ses événements entremêlés, tantôt des sons de la joie la plus éclatante, tantôt de ressouvenirs amers et lamentables qu’il exprime par de longs soupirs (Bernardin de Saint-Pierre, [1784] 1843, p. 390).
7Cette assimilation du rossignol à l’écrivain sert d’exergue au poème d’Amable Tastu, « Le Rossignol », publié en 1826, que Marceline Desbordes-Valmore connaissait sans doute. Mais les yeux brûlés qui obligent l’oiseau à vivre dans une nuit factice, et par conséquent l’obligent à chanter nuit et jour, rappelle aussi la célèbre Ode to a nightingale de John Keats, publiée en 1819, dans laquelle le rossignol est également plongé avec le poète dans l’obscurité.
8Que faire de ce lieu commun de la poésie ? Marceline Desbordes-Valmore le remotive en créant un dialogue empathique avec celui qu’elle perçoit comme un être souffrant. La mutilation de l’oiseau, qui lui impose un chant continu, offre l’image d’une blessure dont on tire un chant de liberté. Car la cécité est aussi la marque d’une illumination intérieure, nécessaire pour faire advenir la beauté de « l’hymne désolée » (« XXXVI. Le rossignol aveugle », v. 77, GF, p. 130). Marceline Desbordes-Valmore poserait alors modestement son destin de poète dans l’ombre portée des sublimes aveugles, Homère et Milton. Plus prosaïquement, les premiers vers du « Rossignol aveugle » se fondent sur une réalité, peut-être même un souvenir. La meurtrissure de l’oiseau, en quoi l’on peut voir un effet saisissant et tragique, s’inspire aussi d’une pratique bien connue dans les campagnes, qui consiste à encager l’oiseau, à l’exposer au soleil pour provoquer la cécité qui le fera chanter (voir Arnault de Nobleville, 1751). En évoquant le rossignol aveugle, « ce pauvre exilé de l’air » (v. 1, GF, p. 126), c’est-à-dire empiégé dans une cage, Marceline Desbordes-Valmore insiste sur la beauté paradoxale d’un chant contraint, qui est l’expression la plus achevée de l’émotion, comme le suggère le « rossignol ému » du poème « Aux mânes d’Edmond Géraud » (v. 5, GF, p. 169). Or c’est parce qu’il est entravé qu’il fait entendre sa voix plaintive. Alter ego, double de la poète qui s’adresse à lui grâce à un tutoiement empathique et fraternel, le rossignol, lui aussi, est condamné à inventer sans cesse « d’autres accents » (« XXXVI. Le rossignol aveugle », v. 22, GF, p. 127) pour se faire entendre de Dieu et des hommes ; il forme finalement un duo avec la poète : « Allons ! nous voici deux à chanter devant lui. » (v. 58, ibid., p. 129). Comme le note Aurélie Foglia-Loiseleur, chez Lamartine « la figure du rossignol, donné et pris explicitement pour modèle, permet donc de comprendre ici le lyrisme comme expansion instinctive de l’être, pur mouvement d’extériorisation » (Loiseleur, 2006, p. 182), chez Desbordes-Valmore le rossignol invite au reploiement dans la nuit, au questionnement sur la souffrance qui produit la voix singulière des Pleurs ; « Le Rossignol aveugle » invite à questionner l’origine de l’élégie, en formulant un constat qu’énoncera bientôt un autre poète, en évoquant un oiseau christique : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux. » (Musset [1835] 1976, p. 247)
Éphémère, fugace
9Dans son compte-rendu critique des Pleurs, publié dans Le Semeur en 1833, Alexandre Vinet réfute vivement le rapprochement herméneutique (peut-être trop attendu ou trop évident) entre Marceline Desbordes-Valmore et le rossignol :
Mais de tout le recueil rien ne nous a frappé ni touché autant que l’élégie du Rossignol aveugle. Cela est si élevé, si grand, que nous cherchions toujours derrière le malheureux oiseau quelque être d’une autre espèce, dont il n’était, pensions nous, que l’image. Mais non, il ne s’agit que du rossignol ; c’est bien sur lui que le poète s’attendrit (Vinet, 1833, p. 456).
10L’oiseau vaut en effet aussi pour l’émotion simple que produisent sa vue ou son chant, pour l’attendrissement qu’il suscite, qu’il vive librement dans les airs ou blessé dans une cage. L’oiseau, dont le vol peut fasciner celui qui l’observe dans le ciel, participe d’un art du paysage, de l’esquisse, de la description des lieux2. Dans « Tristesse », il s’inscrit ainsi dans le décor, et fournit le détail indispensable pour produire l’effet d’intimité qui caractérise si souvent le recueil : « L’oiseau chantait, piquait le fruit mûr, et ses ailes / Frappaient l’ogive sombre avec un bruit joyeux » (v. 66-67, GF, p. 106). Ici l’oiseau est autonome, il fait partie de ces images simples en apparence, qui alluvionnent l’imaginaire du temps en le marquant d’un détail. L’oiseau confère en effet ses couleurs à l’instant, comme le suggère « Le Convoi d’un ange » :
Furtif comme l’oiseau sur nos toits entrevu,
Posé pour nous chanter son passage imprévu,
Dont la flèche invisible a détendu les ailes,
Et qui se traîne aux fleurs, et disparaît sous elles !
(v. 21-24, GF, p. 233)
11Associé à la fugacité et au plaisir de la surprise, « le furtif oiseau » (« XXXI. Sous une croix belge », v. 1, GF, p. 116) instaure une atmosphère de simplicité, qui marque les saisons et les jours ; Marceline Desbordes-Valmore réinvestit ici la tradition calendaire qui associe les oiseaux au retour des beaux jours : « Toujours de jeunes hirondelles / Au printemps descendront des cieux » (« VI. Le jumeau pleuré », v. 20-21, GF, p. 54). Ou encore : « Le rossignol ému, l’hirondelle hardie / Revenus au printemps sous l’ardoise ou les fleurs […] » (« XLVI. « Aux mânes d’Edmond Géraud », v. 5-6, GF, p. 169). L’action que produit l’oiseau dans le décor qu’il investit en fait une créature mobile, douée de création et de vie. L’oiseau valmorien est en effet souvent animé, qu’il brave la tempête dans « La Crainte » ou qu’il soit « l’oiseau plongeur » (« XXXVIII. À Monsieur Alphonse de Lamartine », v. 37, GF, p. 136) qu’on voit disparaître dans les eaux – sans doute ici l’image d’un cincle plongeur ; il sert de repoussoir quand il se pose sur un tombeau. Il fait revivre des ruines, le poème « Tristesse » annonçant peut-être « La Nichée sous le portail » des Contemplations :
Oh ! n’a-t-on pas détruit cette vigne oubliée, |
La couvée est dans la mousse (Hugo, [1856], 2008, p. 112 |
12L’oiseau fait partie des présences familières qui structurent l’imaginaire du recueil. Parce que sa présence est furtive, il offre une image des surprises qui animent l’existence. En somme, il fait partie des petites choses de la vie qui construisent une référentialité identifiable. L’oiseau se fait alors expression d’un microcosme sensible, à portée de regard et d’ouïe.
Oiseaux prophètes
13Parce que son royaume, comme celui des anges, est au ciel, l’oiseau est chargé d’une forte signification symbolique. Ainsi trouve-t-on dans le recueil plusieurs parallèles entre l’ange et l’oiseau ; « Le Jumeau pleuré » se construit, par exemple, sur l’analogie entre le « petit ange » et les « jeunes hirondelles » (v. 1 et 4, GF, p. 53). Une interprétation plus parabolique peut donc être proposée, qu’illustre un passage de l’Évangile de Luc : « Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux sous ? Cependant, aucun d’entre eux n’est oublié devant Dieu. » Modeste mais libre, l’oiseau valmorien n’a rien de mythique ni de mythologique – nul Phénix, nul Pélican christique, nulle chouette de Minerve ; surgi d’une réalité entrevue, il tire sa signification spirituelle et poétique d’une réalité quotidienne. Même la figure du rossignol, traditionnellement attachée au mythe de Philomèle, est remotivée par l’émotion pathétique que ressent le je lyrique à sa vue. La tradition d’humilité dans laquelle se situe la poète rappelle aussi la place des oiseaux dans la pensée chrétienne. Rappelons par exemple, et Marceline Desbordes-Valmore ne pouvait l’ignorer, que la beauté du chant du rossignol au cœur de la nuit en fait un symbole de joie chrétienne et d’espoir – dans la légende de Saint-François d’Assise, le chant du rossignol est une consolation au cœur de la nuit.
14L’expression « prophètes de passage » (ibid., v. 12, p. 54), que Marceline Desbordes-Valmore emploie dans « Le Jumeau pleuré », résume peut-être la rencontre entre la simplicité de l’oiseau et la fonction spirituelle qu’on lui alloue.
Toujours de jeunes hirondelles
Au printemps descendront des cieux,
Faisant passer devant vos yeux
Des souvenirs vivants, des charmes
Trempés d’espérance et de larmes,
Qui portent bonheur à l’exil. (ibid., v. 20-25)
15Les croyances populaires, comme le note Esther Pinon, font de l’hirondelle un porte-bonheur, l’annonce prochaine de la terre, mais aussi de l’exil (ibid., note 1). Annonciatrice de bonheur, elle est aussi présentée comme une messagère entre le ciel et la terre. Mais elle est aussi la vision fugitive qui rappelle de tristes souvenirs et hèle la mélancolie des abîmes de l’enfance. Rappelons ici qu’un chapitre de L’Atelier d’un peintre s’intitule « Le Nid d’hirondelle » ; le personnage d’Ondine se souvient d’un petit nid d’hirondelle sous le toit de la maison de ses parents, et que ceux-ci considéraient comme un porte-bonheur. Un jour d’orage, la mère quitte le nid, et le père tue ses petits en les jetant du nid. On retrouve assez souvent dans la poésie de Marceline Desbordes-Valmore l’association de l’hirondelle et de l’orage ; dans Les Pleurs, elle est présente dans « Minuit » :
Juge quand un orage éclate au haut des airs,
Quand j’entends l’hirondelle affronter les éclairs.
(v. 26-27, GF, p. 67)
16Plusieurs commentateurs y lisent une scène traumatique. Yves Bonnefoy commente cet épisode en quoi il voit une remémoration douloureuse (voir Bonnefoy, 2017).
17Finalement l’oiseau, hirondelle ou rossignol, permet de superposer croyances populaires, traditions littéraires, et animismes intimes construits à partir de l’expérience douloureuse. C’est pourquoi les oiseaux valmoriens, s’ils expriment l’aspiration à l’idéal qui traverse la poésie romantique, dépassent le cliché. Ils participent de la veine spirituelle du recueil, autant que de la réflexion sur la fonction de la poésie. Situé à l’intersection des deux ordres de réalité qui composent l’univers, le Ciel et la Terre, l’oiseau fait signe et sens vers la destinée humaine.
Conclusion
18À l’image des trilles profondes de L’Oiseau prophète des Scènes de la forêt de Robert Schumann (voir Fabre, 2018) ou des accents languissants du lied « Die Nachtigall » d’Alban Berg, l’oiseau valmorien est une figure essentielle du lyrisme personnel du recueil. Double de la poète, signe qui traverse le ciel, l’oiseau occupe une place choisie dans la poésie de Marceline Desbordes-Valmore, parce qu’il chante, parce qu’il évoque une image du passé, parce qu’il invite à la rêverie. Chant joyeux de la fauvette, sifflement matutinal de l’alouette, chant désespéré du rossignol, l’oiseau ouvre tous les possibles de la gamme poétique et musicale. Et cet art du vol et de la voix, que nul poète ne saurait égaler, demeure l’un des mystères de la Création, comme l’ont si bien compris Schumann et Olivier Messiaen3, qui ont tous deux tenté de retranscrire le chant des oiseaux. C’est pourquoi l’oiseau est peut-être l’emblème des Pleurs : il est à la fois charme et vie, beauté et altérité, douleur et consolation.