Colloques en ligne

Nicolás Garayalde

La non-lecture, le con(tre)texte

1C’est par scrupules, au sens étymologique du terme, que je me vois obligé de confesser que je n’ai pas lu Le Page disgracié, alors qu’il s’agissait de lire cette œuvre pour partager une expérience singulière : celle de la lecture sans contexte. Une « expérience collective » indiquait l’appel à contribution, pour lire ensemble « un texte tout seul ». Pourtant, voyez, je suis venu partager cette « lecture collective » et j’en appelle à votre bienveillance face à cette double curiosité : quelqu’un venu d’une autre région du monde commence à vous dire dans un français approximatif qu’il est venu répondre à une expérience de lecture et que, cependant, il n’a pas lu le roman en question.

2Mais l’affaire ne s’arrête pas là : quelle expérience de lecture puis-je partager avec vous si dès le départ, je n’ai pas vécu la même expérience ? Je pourrais me taire et laisser croire, comme peut-être certains d’entre vous le font aujourd’hui, que j’ai lu Le Page disgracié. Il me suffirait d’employer une des techniques de non-lecture que Pierre Bayard développe dans son pseudo manuel appelé : Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? (2007).Je pourrais, par exemple, prendre le chemin le plus facile dans l’art du non-lire : parler du contexte de l’œuvre et capter votre attention avec des données historiques ou de longues digressions sur la question du genre. Je pourrais, sans doute vous conduire au roman picaresque espagnol que je connais dans une plus ample mesure et faire des prouesses de non-lecteur, sans dire, au sens strict, un seul mot du roman qui nous rassemble aujourd’hui. Mais c’est justement, comme on le sait, ce que cette réunion interdit. Il s’agit d’une « lecture collective » pour « lire sans contexte ». Cette consigne peut cela dit nous paraître un peu étrange. Comment est-il possible de penser une expérience collective de lecture sans faire référence au contexte ? Ce n’est pas justement le contexte qui offre la possibilité de l’émergence d’une « expérience collective ? »

3Supposons que l’on décide de diviser la notion de contexte et de parler d’un contexte de production et d’un autre de réception. Supposons – faisant un usage libre et quelque peu extensif de l’herméneutique de Hang-Georg Gadamer – que l’on comprenne l’expérience de la lecture comme une fusion de ces contextes. Quel contexte essayerait-on alors d’éliminer dans cette réunion ? Je crois que l’on serait d’accord pour dire qu’il s’agit du contexte de production. Mais il reste un inconvénient : qu’arrive-t-il de l’autre contexte ? Puisqu’il s’agit de « lire sans contexte », ne devrions-nous pas également nous débarrasser de celui de la réception ? Pourtant, il semblerait qu’au moment d’éliminer ce dernier, on élimine avec lui toute possibilité d’« expérience collective ». Et ce, même dans le cas improbable où l’on parviendrait à distinguer de manière claire, dans cette fusion, un contexte de l’autre. Ici réside un problème difficile à résoudre. J’y reviendrai dans un moment. Mais permettez-moi d’introduire une seconde difficulté, intimement liée à la première.

4J’ai confessé ma non-lecture et j’ai admis qu’il m’est difficile de partager avec vous une expérience de lecture d’un roman que je n’ai pas lu. Mais pour ma défense, j’en viens à me demander : Vous-mêmes, pouvez-vous partager cette expérience ? Ne va-t-on pas finalement assister, ces prochains jours à un dialogue de sourds ? C’est un problème, un problème épistémologique qui s’oriente moins à la possibilité de connaître qu’à celle de partager cette connaissance. Un problème que, pour être honnête, l’appel à participation à cette réunion mettait en évidence en gageant que le résultat de l’expérience conduirait à « quelques malentendus créateurs ». Cela constitue un des problèmes qui a le plus préoccupé les théoriciens de la réception, lorsque, adoptant des positions radicales sur l’importance du lecteur dans la production du sens, ils se voyaient objecter que quelque chose qui existe au-delà du sujet lecteur devait contrôler son interprétation pour qu’enfin elle ne soit pas délirante. Ce « quelque chose » était, pour les opposants aux théories de la réception, l’œuvre. Mais ceux qui continuaient à défendre l’importance du lecteur trouvèrent un autre « quelque chose » pour apaiser leurs détracteurs. Ce quelque chose fut, bien souvent, laissez-moi vous le dire, ce que l’on a évacué ici : le contexte. Et en ce point se rejoignent nos deux problèmes, que je formulerais de la manière suivante : Comment vivre une expérience collective sans un contexte de réception qui génère un espace suffisamment homogène pour partager une base commune ? En d’autres termes : Comment lire ensemble sans contexte ?

5Permettez-moi de vous donner un exemple à partir d’un livre, déjà classique de la théorie littéraire, du critique nord-américain Stanley Fish nommé Is there a text in this class ? (1980) Fish soutient que le lecteur est d’une importance fondamentale dans la production du sens non parce que les textes sont la source de l’interprétation mais au contraire parce que l’interprétation est la source des textes. Dans ce sens, il n’y a pas de texte sans lecteurs ou, pour le formuler dans des termes plus appropriés, sans conditions de lisibilité. Face à une œuvre nous ne devons pas nous demander : que signifie t- elle ? Mais plutôt Que fait-elle ? Parce que le texte n’est pas un objet, c’est un événement rendu possible par le lecteur et c’est cet événement même qui constitue le sens de l’œuvre. Remarquez que ce type de positionnement théorique a conduit quelques opposants à considérer que nous nous trouvons devant un cas de « supercherie de Cendrillon » : si le sens change en permanence, il n’y a pas moyen de faire la différence entre la véritable Cendrillon et les autres prétendantes. C’est à dire que s’il n’est pas possible de fixer une signification, parce que comme un événement, elle est en mouvement, les controverses n’ont plus lieu d’être. Fish se défend rapidement de cette supercherie et trouve un moyen de stabiliser l’indétermination du sens. Ce moyen, c’est la référence à un cadre institutionnel, à un contexte de normalisation, à, selon les termes de Fish, une communauté interprétative. Ainsi, il nous est possible de communiquer et de vivre l’expérience collective d’une lecture : mais nous avons besoin pour cela d’un cadre de référence, d’un contexte auquel nous soumettre. En cela, l’expérience de lire ensemble, sans contexte paraît assez improbable. C’est la communauté interprétative qui rend possible, selon Fish, une régulation de notre manière d’interpréter, de sorte que nous pouvons partager une expérience de lecture dans la mesure où nous partageons certains standards interprétatifs donnés par le contexte. Et cette régulation, est, en même temps, ce qui régule le fait que tout ne soit pas possible en termes d’interprétation.

6Mais revenons à notre exercice de lecture collective sans contexte. Nous avons parlé de la possibilité de diviser deux contextes et nous avons établi que celui de production pourrait, sans trop de difficultés, être éliminé. Il s’agit simplement de chercher une œuvre dont les traces de production ont disparues. Voilà Le Page disgracié. Et vous pourriez dire : « C’est seulement le contexte de production que nous voulons éliminer ! » Nous avons déjà prévenu de la difficulté que cela implique : difficulté que l’appel à participation lui-même reconnaissait en citant J.L Borges : « Tous les hommes qui répètent une ligne de William Shakespeare, sont William Shakespeare… ». C’est une phrase que Harold Bloom cite et commente dans The Anxiety of Influence (1997) lorsqu’il signale que « nous avons, presque tous, profondément assimilé le pouvoir des pièces de Shakespeare, la plupart du temps sans les avoir vues ni lues. » (1997 : xviii) L’assimilation de la force de Shakespeare ainsi que le fait que nous sommes Shakespeare en le reprenant, confirment l’impossibilité d’établir une limite claire entre l’horizon de production et l’horizon de réception. Chaque contexte de production est réactualisé et transformé par le contexte de réception de telle sorte que séparer l’un de l’autre constitue une opération absolument artificielle. Mais imaginons malgré tout, que cela soit possible et imaginons l’éventualité d’une œuvre comme celle qui nous rassemble aujourd’hui dans laquelle le contexte de production puisse être éliminé. Et imaginons que réellement, nous prenions au sérieux ce « lire ensemble sans contexte ». Nous revenons donc à la question : Pouvons-nous lire ensemble sans un contexte de réception ? Et est-il même possible de détacher ce contexte ?

7Si nous avons réussi à trouver une œuvre dont les conditions de production ont été effacées, pourquoi ne pourrions-nous pas trouver un groupe de lecteurs qui se dépouilleraient de leurs contextes de réception, une sorte de groupe de Robinsons, qui liraient Le Page disgracié en oubliant la communauté interprétative à laquelle ils appartiennent. Un groupe de lecteurs qui, décidés à partager une expérience de lecture sans contexte effaceraient toute trace de la communauté et maintiendraient seulement la grammaire comme espace commun de telle sorte qu’il leur serait tout de même possible de communiquer et de mener à terme ce travail collectif de lecture. Nous serions face à un groupe de sujets qui liraient un roman sans rien savoir de sa production dans un contexte dont ils ne connaîtraient que les règles minimum de langage ; une sorte de système qui, à l’encontre de la définition de Ferdinand de Saussure, concevrait la langue comme une nomenclature.

8Même dans ce cas-là, nous devrions prendre en compte le fait que nous opérerions ici une nouvelle division au sein du contexte de réception. Une division entre la communauté interprétative et ce que nous pourrions appeler l’identité interprétative. Une communauté interprétative, nous l’avons vu, serait un cadre partagé par un groupe de personnes au sein duquel se déroule l’apprentissage, la connaissance, ce serait un modèle qui régule le mode de lecture. En résumé, quelque chose de semblable à ce que Thomas Kuhn (1962) a appelé paradigme. Le plus important ici, c’est que dans l’histoire de la science, comme le signale Kuhn, les paradigmes ont changé et entre un paradigme et l’autre, il n’y a pas de possibilité de communication. C’est ce que Kuhn appelle le caractère incommensurable du paradigme. Et c’est la raison pour laquelle chaque moment historique a une manière particulière de récréer les œuvres littéraires, sans qu’aucune d’elles ne soient fausses ou vraies. L’existence d’un paradigme suppose un certain nombre d’accords de base, de conventions, qui permettent qu’un même groupe puisse se comprendre. Nous pourrions, de toute manière, imaginer une position de non-savoir, comme celle que Lacan exigeait des analystes. Prendre au pied de la lettre la doctrine freudienne et commencer l’analyse de chaque cas comme si c’était le premier. Nous serions ainsi en dehors de ce paradigme collectif, face au Page disgracié : non seulement nous ignorerions tout du contexte de production mais nous oublierions également, si c’était possible, tout notre savoir en tant que membre d’un paradigme, d’une communauté. Alors, peut-être, pourrions-nous lire tous ensemble, partageant ce non-savoir, sans contexte.

9Bien sûr, la communauté interprétative à laquelle nous adhérons, chaque individu se l’approprie d’une manière particulière. C’est quelque chose que les théories du contexte ont clairement explicité. Je m’en remets, par exemple, a Teun A.van Dijk quand il dit ; « un contexte tel que je le définis n’est pas seulement social (comme la situation sociale de la communication), mais également personnel et cognitif parce que chaque personne a sa propre interprétation de la situation sociale à laquelle il participe. » (van Dijk, 2001 : 79). Ainsi, chacun d’entre nous devrait éliminer la forme particulière avec laquelle il s’est approprié ce savoir contextuel partagé avec la communauté interprétative.

10Il s’agit de ce que Pierre Bayard appelle paradigme intérieur : « le paradigme intérieur serait constitué par un groupe de questions personnelles (et par l’articulation entre elles de ces questions), rejouées sur la scène de la recherche, et en modelant inconsciemment et de façon déterminante les directions majeures » (Bayard, 2014 : 162). Non seulement il y aurait une version du Page disgracié pour chaque communauté interprétative, pour chaque paradigme collectif, mais encore, au sein de ce paradigme, il y aurait des paradigmes intérieurs, qui appartiendraient à chaque sujet lecteur, comme le signalent d’ailleurs les organisateurs de cette réunion en disant que « Le Page disgracié de Jean Serroy est une histoire comique ; de Jacques Prévot, un roman libertin ; de Maurice Lever ou de Sandrine Berregard, une autobiographie ». Alors que nous étions sur le point de lire tous ensemble sans contexte, nous nous trouvons face au dernier bastion, à la dernière résistance. Mais il s’agit peut-être de la plus ardue. Parce que nous pourrions imaginer une position de lecture partagée, à partir d’une position de non-savoir contextuel, mais en réalité, cela frôle l’impossible. Nous pourrions imaginer nous défaire de notre savoir conscient particulier lié à notre appropriation individuelle de la communauté interprétative. Mais la notion de Bayard nous conduit à une nouvelle division, une division qui est constitutive du sujet : celle qui sépare le conscient de l’inconscient. Et le savoir en jeu dans le paradigme intérieur est, si l’on pense de nouveau à Jacques Lacan, un savoir non su. « L’hystérique souffre de réminiscences » disait Freud dans un de ses textes inauguraux. Et ce que cela veut dire c’est qu’il y a un savoir non su qui ne peut pas, pourtant, s’oublier. C’est le savoir de l’inconscient et c’est ce savoir qui fait appel au concept de paradigme intérieur. Comment oublier quelque chose que nous ne savons pas que nous savons ?

11Cela nous conduit à un dernier concept que je voudrais introduire : celui de contretexte. C’est une notion largement développée par Pierre Glaudes (1993), qui reprend la définition proposée par Anne Clancier : « Je nomme, provisoirement peut-être, mes réactions de lecteur et d’analyste du texte un contre-texte. Je ferai entrer dans cette catégorie toutes les réactions, quelles qu’elles soient, que l’on peut avoir devant l’œuvre d’un auteur : attrait, intérêt, ennui, irritation, dégoût, angoisse, etc. » (Glaudes, 1993 : 88). Glaudes signale que la définition de Clancier se restreint uniquement aux affects et considère donc nécessaire d’ajouter à sa propre définition, les représentations de l’inconscient. Nous adhérons tout à fait à cette formulation et pourtant, nous nous éloignons du point de vue de Glaudes en ce que nous ne prendrons pas en compte ce qu’il appelle, d’après la phrase déjà classique de Jean Bellemin-Noël (1996), l’inconscient du texte, et nous ne restreindrons pas non plus la notion à la critique psychanalytique. Pour rester seulement du côté du lecteur et pour souligner le problème qui nous occupe, je propose d’inscrire une parenthèse au milieu du mot contretexte, de sorte qu’apparaisse de manière évidente la présence du contexte dans le contre-texte, c’est à dire dans le texte résultant de la lecture.

12Le con(tre)texte ressemble ainsi beaucoup à la notion de paradigme intérieur. Il inclut le texte qui surgit de l’expérience de la lecture. Il est rendu possible seulement par un mécanisme transférentiel qui fait intervenir le savoir de l’inconscient. Ce qui est intéressant dans cette notion, à la différence de celle de Bayard, c’est qu’elle implique la condition de la lisibilité (le contexte inconscient de lisibilité) en même temps que le résultat de cette condition (le texte qui en surgit). Pierre Glaudes affirme lui-même que le contretexte cherche à être publié, c’est-à-dire à être partagé, ce qui implique une trame d’éléments de la conscience qui lui donnent logique et cohérence (quelque chose dont manque l’inconscient.) Comment donc, parvenir à un contre-texte sans contexte ? C’est-à-dire, comment retirer ces parenthèses que nous nous sommes sentis obligés d’inscrire pour pouvoir lire ensemble, partager notre expérience sans contexte ?

13Dans son livre sur Hamlet, Pierre Bayard introduit le problème suivant à propos de l’œuvre de Shakespeare : « Comment accéder à une œuvre à ce point recouverte de commentaires qu’elle finit par se confondre avec l’histoire de ses lectures ? » (2014 : 20) Ce que nous signalons, avec Bayard, c’est donc que la présence du contexte interdit, dès le départ, l’accès à la lecture d’Hamlet. Ce que nous lisons, en tout cas, ce n’est pas Hamlet, mais l’ensemble de ses contextes de réception ainsi que nos propres contextes particuliers. Ce qui donne comme résultat, un contretexte. La limite entre lire et non-lire Hamlet devient donc difficile à maintenir, car enfin, Que veut-on dire lorsqu’on dit « j’ai lu Hamlet » ? J’ai lu l’œuvre à travers certains contextes ? J’ai lu différents contextes d’Hamlet ? J’ai lu ma propre version d’Hamlet ? Ce à quoi conclut Bayard c’est à l’impossibilité de partager ensemble l’expérience de lecture, et qu’il est donc impossible d’accéder à l’œuvre même. Eliminer tout type de contexte semble une entreprise vraiment intéressante si elle pouvait nous conduire à lire tous ensemble en accédant au Page disgracié. Mais il nous resterait, dans cette situation imaginaire, à éliminer le contexte du paradigme intérieur, le contexte de l’inconscient.

14Imaginons ainsi un groupe de lecteurs face à un roman sans contexte de production qui oublieraient, dans leur désir d’éliminer le contexte de réception, la communauté interprétative à laquelle ils appartiennent, leur forme singulière de s’approprier consciemment cette communauté interprétative et le savoir inconscient qui constitue le paradigme intérieur. Ce serait un groupe de lecteurs qui conserveraient seulement - de telle sorte que la consigne de lire ensemble et partager l’expérience soit possible - les règles minimum de la langue.

15C’est possible ? Bien sûr ! Ce n’est pas cela, la célèbre « machine de Turing » qui permettait de développer une intelligence artificielle pouvant soutenir une conversation avec des humains par l’intermédiaire d’un ordinateur sans que ces humains ne se rendent compte qu’il s’agissait d’une machine ? Si cette comparaison est valide, on obtiendrait deux conséquences visibles. La première serait extrêmement osée et on pourrait la définir ainsi : le contexte humanise la lecture. On peut imaginer des machines lectrices qui, de fait, existent. Seulement que personne ne s’est occupé d’en développer une pour se spécialiser dans la littérature. La conséquence nous ramène une fois de plus au problème, à l’interrogation sur la possibilité de faire tous ensemble cette expérience artificielle de lecture. Parce que si l’innombrable quantité de contextes qui ont réactualisé Hamlet interdit le partage de l’expérience, ne se passerait-il pas la même chose dans le cas contraire : où toute trace de contexte serait éliminée ? Il suffit de penser à cette pièce imaginée par John Searle (1980) en réponse à Turing dans laquelle un Chinois qui ne sait pas un mot d’anglais peut converser avec un nord-américain à partir d’un manuel qui lui explique que dire en réponse à chaque intervention de son interlocuteur. La communication est, d’une certaine manière, nous dit Searle, possible. Et voilà ce petit homme chinois qui parle un anglais parfait avec l’homme nord-américain. Mais d’un autre point de vue, il n’y a pas de moyen de communication pour la bonne raison que le Chinois ne comprend pas ce qu’il entend ou dit.

16La lecture avec un contexte semble condamnée à un dialogue de sourds. Chaque lecture est traversée par ses propres paradigmes. Mais une lecture sans contexte semble condamnée au solipsisme du fou, à l’automatisation de la machine, à l’incompréhension d’un Chinois. Peut-être que la première nous conduit à un dialogue infini et toujours tronqué, mais à une lecture tout de même. Qui sait si sans contexte, on peut continuer à parler de lecture lorsqu’elle-même requiert une certaine compréhension et lorsque sa conséquence logique est la production d’un texte autre, d’un contretexte ? Dans ce sens, on pourrait peut-être lire cette phrase énigmatique de Roland Barthes dans Le Plaisir du Texte : « Tout écrivain dira donc : fou ne puis, sain ne daigne, névrosé je suis » (Barthes, 1973 : 13).