Colloques en ligne

Olivier Millet

La Grèce de Garnier : Hippolyte et La Troade

1La tragédie est, à ma connaissance, le seul genre poétique dont les poètes humanistes français de la Renaissance disent non seulement qu’il est ressuscité, mais qu’il ressuscite l’Antiquité elle-même avec ses grands personnages. Rendue concrète et vivante, en chair et en os, devant les spectateurs, elle s’offre à voir et à entendre dans le monde contemporain, dans son temps et dans son espace. Nos deux pièces grecques de Garnier au programme (auxquelles il faudrait ajouter son Antigone) nous transportent de fait dans cet univers disparu et exotique pour en tirer de forts effets poétiques1. En insistant sur les modèles grecs du genre, les poèmes liminaires qui accompagnent le texte de Garnier dans les éditions anciennes2 désignent ce monde grec, ensuite passé par la latinité de Sénèque le tragique (comme ils le rappellent également), à notre attention de lecteurs et de spectateurs modernes. Nous signalerons d’abord la question de l’époque (héroïco-mythique) représentée dans les deux pièces, avant d’examiner chacune de ce point de vue, surtout du point de vue de l’espace représenté et évoqué, et les effets poétiques que l’auteur tire de ses sujets helléniques.

2La conception du déroulement historique du temps humain est conforme, dans nos deux pièces, à la fois à la mythologie antique et à la représentation générale du cours de l’histoire universelle que l’on se faisait dans la culture gréco-romaine. On suppose la succession (selon une conception d’origine grecque transmise à Rome par Varron3) de trois « Âges », Âge divin ou obscur (jusqu’au premier déluge), Âge fabuleux ou héroïque, et enfin temps historique (qui commence pour les Grecs avec la première olympiade, au VIIIe siècle avant Jésus-Christ). Or cette tripartition recouvre en partie, dans La Troade, le mythe des Âges successifs liés à la symbolique des métaux, répartition des Âges attestée depuis Hésiode (Théogonie), de l’âge d’or à l’âge de fer, comme on peut le voir dans LaTroade (v. 1777 sq. et 2299 sq.) Chez Hésiode, un Âge des héros (qui va jusqu’à la prise de Troie) s’intercale entre l’Âge d’airain et l’Âge de fer, ce qui permet la surimposition des deux schémas. A travers la succession de ces Âges (que ce soit celle des trois Âges, ou, comme dans ces deux passages de LaTroade, celle du mythe hésiodien des Âges métalliques et de l’Âge des héros), on glisse du temps des dieux (et de la justice) à celui des héros (qui est encore mythologique), puis des héros à l’histoire proprement dite, qui pourrait alors correspondre (dans le schéma des Âges symbolisés par les métaux) à l’âge de fer, à savoir le temps historique et présent. Celui-ci ne commence dans la culture grecque, avec la première olympiade, qu’environ quatre siècles après la guerre de Troie (généralement située au XIIe siècle), que l’œuvre d’Homère commémore. Mais la superposition du schéma hésiodien tend à faire correspondre l’Âge de fer avec le début du temps historique présent. C’est ainsi que dans La Troade (v. 1793 sq.) est évoqué le passage de l’Âge d’or (ou de ses formes déjà dégradées des Âges d’argent et de bronze) à l’Âge de fer : un coupable originel apparaît alors (équivalent mythologique d’Adam, et auteur du « péché » originel païen), Tiphys, l’inventeur de la navigation4. Cela a permis à Pâris, le fils de Priam et d’Hécube, de passer la mer pour enlever Hélène, avec les suites de ce drame : « La Grece repassa la mer acheminée / Apportant le brandon / Qui vient d’enflamber Troye, et l’ardeur obstinée / Du feu de Cupidon » (LT, 1801-1804). La source (et l’enjeu, typiquement grec) du drame, c’est cette maîtrise (criminelle) de la mer. Sauf qu’Hécube a déclaré (LT, 61-665) que c’est elle la responsable de la destruction de Troie puisqu’elle a enfanté (c’est implicite dans notre texte) ce même Pâris, dont le devin avait, annoncé, selon la légende, qu’il devait apporter le brandon qui détruirait Troie. Hécube revendique ainsi sa propre culpabilité pour en quelque sorte s’attribuer personnellement l’origine du désastre. Or la guerre de Troie et ses suites constituent un tournant majeur dans la culture gréco-romaine, notamment parce qu’Énée, le rescapé troyen, va fonder en Italie la future Rome, donnée mythologique considérée comme crédible dans la tradition romaine. Enfin, Garnier assume, dans la dédicace de sa pièce, la tradition française qui faisait d’un autre rescapé troyen, Francus, l’ancêtre lointain de la monarchie française. On peut donc dire que, du point de vue romain mais aussi français, la guerre de Troie nous fait entrer dans les temps « historiques », ceux de la mémoire politique de la cité, même si ceux-ci ne commencent à proprement parler pour les Grecs qu’avec la première olympiade.

3Par contraste, dans Hippolyte, l’Âge héroïque ou mythique est encore entièrement confondu avec la mythologie ; c’est l’époque des fondateurs des cités, comme Égée, ou Thésée, lui-même compagnon d’un héros comme Hercule, et capable de descendre aux enfers et d’en revenir. Rappelons qu’Égée descend de Pélops, lui-même fils de Zeus (Jupiter), et que Phèdre descend de Minos, lui-même fils de Zeus. Les relations de Thésée et de Phèdre ont lieu dans la descendance analogue de deux branches « jupitériennes ». Cette Grèce héroïque est en train d’inaugurer, dans La Troade les temps historiques. Certes, dans La Troade, les dieux y engendrent encore des héros, comme on le voit dans le discours de Pyrrhe qui rappelle (v. 1497 sq.) l’origine divine de son père Achille, né de Thétis. Mais justement, Achille est mort, et Pyrrhe est presque une caricature de la fière sauvagerie héroïque de son père ; on entre dans une société humaine, trop humaine, distincte de celle des âges anciens. Le vers 688 de La Troade rappelle une antiquité immémoriale, où les dieux agissaient sur terre parmi les humains, par exemple en construisant Troie. Je dirais qu’il existe entre nos deux pièces une forte dénivellation dans le rapport au temps mythico-héroïque, comme le manifeste le statut différent du merveilleux.

4Il est réalisé sur scène dans Hippolyte (avec la scène protatique de l’ombre d’Égée), mais seulement évoqué (sans être montré) dans La Troade (p. 413), alors même que, dans les deux pièces, il y a bien de part et d’autre des rêves prémonitoires, mais dont le statut est très différent. Dans La Troade, l’ouverture de la terre laissant venir les enfers sur terre est une malédiction qu’Andromaque souhaite aux Grecs sur le mode de l’irréel, pas une réalité scénique (LT, 743 sq.). Garnier ne retient pas, dans le chœur de La Troade (acte i) racontant l’épisode du cheval de Troie, le récit que donne Virgile (dans Enéide II) de l’épisode de Laocoon et de ses fils, dévorés par des dragons marins, prodige qui avait achevé de persuader les Troyens de faire entrer le cheval dans leur ville. Le merveilleux est donc limité, dans La Troade, à des songes, à une vision rapportée (acte iii, apparition de l’ombre d’Achille en songe à Hécube – 1256 sq. –, et aux Grecs, mais dans la bouche de Talthybie, 1287), à des prophéties (dans la bouche d’Hécube et de Cassandre), phénomènes qui n’existent qu’à travers la subjectivité des personnes ou des groupes concernés, et qui pourraient être mis au compte de la superstition. Certes, le songe d’Hécube voyant l’ombre d’Achille, et l’apparition de celui-ci aux Grecs correspondent à l’apparition de l’ombre d’Égée et au songe d’Hippolyte dans Hippolyte ; mais comme spectateurs nous ne voyons pas, dans La Troade, cette ombre d’Achille : la scène reste purement humaine. Inversement, quand Andromaque invoque l’ombre d’Hector (LT, 996) pour qu’il vienne au secours d’Astyanax, cette apostrophe et cet appel au secours restent vains. La Troade témoigne donc d’un monde gréco-troyen déjà engagé dans l’histoire (ou ayant tendance à se dégager du fabuleux), alors qu’Hippolyte atteste un monde créto-athénien plus archaïque et, de ce point de vue, plus mythique.

5Concentrons-nous d’abord sur la Grèce d’Hippolyte. Alors que Racine situera à Trézène l’action de sa Phèdre, Garnier retient, comme lieu de l’action, Athènes, donnée fondamentale de la pièce (dès la scène protatique) dans son opposition à la Crète, île originaire de Phèdre (v. 74 et 78). C’est Athènes qu’Égée apostrophe, « Ville cécropienne » (v. 13), dans cette scène protatique originale, comme lieu d’où il s’est précipité dans les flots à cause de la négligence de son fils Thésée de retour de Crète. Pallas Athéna a été incapable, dans le passé, de protéger sa ville contre le destin, cette Athènes qui n’était du vivant de Garnier, je le rappelle, qu’une humble bourgade de l’empire ottoman. « Tandis que j’ay vescu, je t’ay vu, ma Cité, / Tousjours porter au col une captivité » (v. 25-26) : ces vers qui font allusion à la soumission d’Athènes à la Crète du Minotaure pouvaient également évoquer, pour les contemporains de Garnier, notons-le au passage, au-delà du passé d’Athènes, son avenir déplorable et moderne de pays soumis au XVIe siècle à l’empire ottoman. Le chœur inventé par Garnier, à la fin de l’acte iii, invoque Pallas Athéna (appelée également Minerve) en la suppliant vainement de protéger sa ville. Éleusis, proche d’Athènes, et où l’on rendait un culte à Cérès-Déméter, est mentionnée par Thésée pour désigner le passage des ans et un rassurant ordre cosmique que tout dément dans la pièce. Athènes et sa mythologie sont ainsi, dans la pièce, mais aussi pour les contemporains de Garnier, des illusions de civilisation, de providence divine, d’ordre et de paix.

6La Crète, elle, est le pays du « monstre Mi-taureau » (v. 34), qui va revenir sous une autre forme symbolique dans la pièce, pour tuer Hippolyte et annuler ainsi, d’une certaine manière, l’exploit de son père Thésée dans le labyrinthe crétois : « Ce monstre pour lequel ce poil gris qui s’allonge / espars dessus mes yeux, se dresse quand j’y songe », déclare de manière prophétique Égée (v. 39-40). Et c’est la Crète que Phèdre apostrophe et invoque comme une déesse au début de l’acte 2, en tant que « Roine de la mer » et « mère des Dieux ». Visiblement, c’est Garnier qui lui confère ce dernier attribut, lequel appartenait dans la mythologie et le culte antiques à une déesse et non à une terre, Cybèle, la grande déesse mère des dieux, d’origine orientale. La qualité de « mère des dieux » n’apparaît pas dans le texte de Sénèque qui inspire Garnier. Ainsi la mythologie principielle, dans son principe religieux et maternel, est du côté de la Crète, de Phèdre et du mal. Garnier rappelle d’autre part, dans le même passage, que la Crète a « reçu naissant le grand moteur des cieux » : c’est une allusion, également propre à Garnier, au mythe suivant. Quand Rhea accoucha de Zeus, la Mère Terre (Gaia) le cacha dans une grotte, sur le plateau de Lassithi, en Crète. Cronos (dont le nom grec est Saturne ; la Crète est de fait appelée « demeure de Saturne », v. 385), croyant dévorer Zeus, n’avala en fait qu’une pierre que lui donna Rhea pour le tromper et sauver son fils. Zeus fut alors nourri par la nymphe Adrasteia, sa sœur Io et la chèvre Amalthée. Garnier attribue ainsi à la Crète une identité de terre originaire des divinités païennes dans leur ensemble, du côté féminin (comme « mère des Dieux ») et du côté masculin (avec Zeus-Jupiter). Or Thésée, quand il invoque Neptune à l’acte iv contre son fils Hippolyte, qualifie cette divinité de « sacré geniteur des hommes et des dieux » (v. 1743), épithète à juste titre inconnue de la tradition classique (c’est plutôt un titre de Jupiter, cf. Enéide I, v. 229), alors que le Thésée de Sénèque n’utilise pour désigner la divinité qu’il supplie alors que l’épithète de regnator freti (« empereur des flots »). Il y a donc, chez Garnier, une opposition genrée entre la Crète « mère de Dieux », dans la bouche de Phèdre, et le Neptune vengeur, « geniteur des hommes et des dieux » dans celle de Thésée. Crète contre Athènes (Neptune est aussi une divinité protectrice d’Athènes), mais aussi dieu contre dieu, la géographie mythologique et les passions se recoupent de manière antithétique. A moins que ces vers 1743-1744 désignent successivement deux divinités distinctes, le dieu suprême, Jupiter, puis Neptune ? Mais l’antithèse avec la Crète subsiste alors tout de même.

7Cette Crète est pour Phèdre elle-même le pays de l’amour, qui s’oppose à Athènes, pays pour elle de l’aliénation et de la frustration, par exemple p. 137, quand elle rappelle à Hippolyte comment elle était tombée amoureuse là-bas de son père Thésée. Les deux images, celle du père et du fils, se superposent, bien sûr au titre d’une insinuation séductrice, mais aussi par ce que la Crète est l’île de tous les possibles et de tous les dérèglements amoureux. De fait, comme l’indique Jean-Claude Ternaux et le rappelle une note de notre édition, la Crète est aussi, dans notre pièce, la terre où est située la scène de chasse de la biche qui sert de métaphore, dans la bouche de Phèdre, à la blessure amoureuse, image bien connue depuis Virgile (v. 1001) : c’est un berger cressien, c’est-à-dire crétois, qui l’a blessée « d’un garrot décoché » (v. 1002-1003), ce qui souligne de nouveau la condition d’exilée de Phèdre, qui se lamente loin de sa Crète natale, mais y puise sa comparaison de la femme blessée d’amour. La contradiction qui tourmente Phèdre se réalise à travers les épithètes des divinités qu’elle invoque dans le cas des v. 1044-1047 : appelant Hippolyte à vivre en ville, c’est-à-dire à Athènes, lieu réputé favorable aux délices et à l’amour, elle l’invite à y passer son temps : « Cupidon y habite avec sa douce mère / La deesse Venus, delices de Cythere [île grecque de la mer ionienne] » : de fait, Vénus (Aphrodite) était adorée par excellence à Cythère, même si Pausanias (auteur grec que Garnier ne connaît sans doute pas) mentionne un culte athénien, fondé par Égée en manque d’enfant, d’Aphrodite/Vénus céleste (Ourania). Phèdre signifie ainsi sa propre passion amoureuse sous prétexte de désigner un pseudo-culte athénien de Vénus et d’Éros, et elle transforme donc l’espace sacré de la Grèce à sa guise, selon ses fantasmes, en convoquant à Athènes une Vénus qui n’avait (selon les connaissances disponibles pour Garnier) rien à y faire. C’est aussi au moyen du nom de Cythère que sont évoqués les rites orgiastiques des Ménades auxquelles le chœur de l’acte iii, inventé par Garnier, compare Phèdre en furie (v. 1561-1562). Une note de notre édition précise que cette Cythère-là n’est pas l’île de Vénus, mais le mont Cithéron, en Béotie, qui était consacré à Bacchus6. Mais qui, parmi les lecteurs ou les spectateurs de Garnier, était au fait de ce détail érudit ? Il me semble donc que l’amalgame orthographique et phonique entre les deux noms français de Cythère est voulu et renvoie à une unique Cythère amoureuse et vénusienne, intruse dans l’Athènes hyper-virile d’Égée et de Thésée.

8La Crète de Garnier, dans Hippolyte, est donc la terre originaire et celle des fantasmes (pas seulement du monstre Minotaure), et la pièce se rattache aux âges les plus anciens du monde à travers cette terre maternelle redoutable, dont Athènes est le pendant masculin et politique. Sauf qu’Hippolyte, bien sûr, « vit solitaire en Amazonien » (v. 814), et qu’il est qualifié de « bon Amazonide (= fils de l’Amazone, v. 1599) conformément à son origine maternelle orientale : il est né d’Antiope, reine des Amazones, lesquelles vivaient en Cappadoce (Turquie actuelle), cette Antiope que Thésée a capturée avant de vaincre les Amazones qui cherchèrent à envahir l’Attique, ce qui pose problème pour son statut de prince héritier athénien. Il y a ainsi chez Hippolyte, si l’on tient compte de ses origines, à la fois orientale et athénienne, deux postulations opposées et la source d’un drame possible.

9Le même Hippolyte, en tout cas, a vu en songe ses quatre chiens « Molossiens de guerrière nature », affronter un lion affreux issu du mont Taure (en Asie, aujourd’hui province du Kurdistan) et l’attaquer à proximité du Mont Hymette et de Thrie (toponymes de l’Attique ; v. 170, puis 203-204. L’orient de la Grèce (Cappadoce des Amazones, ou mont Taurus asiatique) est la source des monstres, ou, plus exactement, Athènes se trouve située entre une Crète originaire et monstrueuse et un orient dangereux. C’est au demeurant encore le même mont Taurus, perdu dans la neige, les nuages et la pluie, qui sert de comparaison à une Phèdre décrite par la nourrice comme noyée dans ses propres larmes (v. 1120).

10Outre les personnages, la mythologie et les lieux, ce sont donc les épithètes topographiques, comme on vient de l’apercevoir, qui situent l’action dans le cadre attique ou plus largement dans celui du monde grec ou de ses coordonnées extra-grecques.  Les noms propres servent alors à la couleur locale ; ils sont dans ce cas souvent empruntés à Sénèque comme la Leucate du v. 2009. On trouve aussi des épithètes religieuses, comme la « Délienne » pour désigner Diane (cf. v. 1017), chantée dans le premier chœur d’Hippolyte, plus largement des épithètes qualifiant les réalités les plus diverses et servant à des fins persuasives et symboliques bien déterminées. Les lions sont ainsi « naxeans » (v. 426, cf. v. 657), de l’île de Naxos, où Ariane a été abandonnée par Thésée, épithète qui connote donc la vie sauvage, alors que le lion est ordinairement, en poésie antique, selon les textes, lybien, maure, massylien, parthe, idéen, gétule, ou néméen. Garnier insiste donc sur le lieu lui-même au moyen de l’épithète, lieu qui devient alors le foyer d’animaux eux aussi monstrueux. C’est Phèdre qui parle ainsi de sa sœur Ariane : elle-même ne trouve pas le sommeil « lethean » (v. 450), et elle brûle d’un feu plus chaud que celui des Cyclopes. Phèdre appartient totalement à cette Grèce ambivalente et dangereuse de la mythologie, mais dans un espace immense et redoutable qui va de la Crète, au sud, et de l’Etna, à l’ouest, au lointain mont Taurus à l’est. Thésée, lui, est le compagnon du grand « Tirynthien » (de la ville de Tirynthe), épithète virgilienne élogieuse pour Hercule (Enéide VII v. 662) : cette mention a valeur d’argument en faveur du mari de Phèdre dans la bouche de la nourrice contredisant Phèdre. La même nourrice a recours, pour ramener Phèdre à la raison et à la morale, au mythe du combat des Dieux contre les Titans, frères « ethneans » situés dans le champ « phlegrean » et sur lesquels les Dieux font tomber les sommets des monts Osse et Pelion : sa Grèce à elle est celle d’une justice des dieux, redoutable mais qui assurent prétendument l’ordre du monde. La même nourrice invoque la « Sainte paphienne » (v. 722), c’est-à-dire Vénus Aphrodite adorée à Paphos, en Crète, afin d’exorcise le pouvoir d’Amour sur Phèdre, comme si elle cherchait à capter au service de la raison et de la morale les pouvoirs crétois qui lui sont opposés.

11Malgré cette prolifération de coordonnées grecques, nous avons affaire cependant à une Grèce latinisée, comme on l’entend d’après les noms de certaines divinités ; il en va de même dans La Troade, où l’on entend les noms de Jupiter et de Minerve, ainsi que des Pénates (v. 328). Il n’y a, en ce sens, donc aucun réalisme « archéologique ». Cela vaut aussi pour les mœurs politiques (v. 1206 : évocation de réalités romaines). Cette latinisation concerne notamment Jupiter, dont le nom latin (pour Zeus) entre mieux, sans doute, dans la tradition et la prononciation de la langue française que son équivalent grec, mais aussi Neptune (assimilé à Poséidon, v. 1369 ; divinité dont le nom est mis ironiquement dans la bouche d’Hippolyte comme divinité protectrice de celui-ci). Il y a au demeurant peu de pittoresque grec, à part les genoux embrassés en signe de supplication du v. 1042 de La Troade. Garnier supprime en tout cas la danse prophétique de Cassandre à l’acte i, qui se trouvait chez Euripide, sans doute par sens de la convenance, à laquelle est sacrifié le réalisme archéologique.

12La Troade, elle, est centrée sur Troie comme ville d’Asie opposée à la Grèce (v. 18), et elle devient le symbole et le centre du monde non grec (v. 19-24). Conformément à la tradition, les Troyens peuvent être appelés Dardanes (v. 504), ce qui rappelle leur héros fondateur, ou Phrygiens (v. 717), désignation topographique qui rappelle leur situation géographique.
Les Grecs, eux, constamment dénoncés comme criminels, immoraux et tyranniques, y reçoivent les divers noms et épithètes (parfois
via des poèmes de Ronsard) qui sont les leurs dans la tradition hellénique puis latine, appellations d’autant plus diverses que la Grèce est morcelée en cités et territoires différenciés, que seule la guerre contre Troie a fédérés. On trouve dans cette pièce la mention (souvent synonymique) de Grecs, Dolopes (= de Thessalie), Gregeois, Amyclean, Achaïque, Argolique, Argolide, Argives (qui ont le regret de leurs « douces provinces », v. 286 ; cf. 1143 : « terroir si doux »), Danois (= Danaens) et Peslagides (v. 2556)7. Garnier, pour désigner les Grecs ou de groupes de Grecs, a évité le terme de Doriens (qui est notamment virgilien), de Pélagiens, de Myrmidons, et, pour désigner les Troyens, celui de Teucriens. Dans le dialogue véhément entre Pyrrhe et Agamemnon, l’origine territoriale respective de ces deux adversaires grecs leur fournit des insultes à échanger : « Pour un tel Scyrien c’est trop de felonie – Scyre n’a point produit de tels monstres qu’Argos » (v. 1490-1491). Dans ce conflit oratoire et dramatique entre Grecs, la Grèce n’existe plus, il n’y a plus qu’une poussière de terroirs et de cités montés les uns contre les autres. Malgré cette diversité ethnique et linguistique du monde grec, c’est cependant bien comme « nation » (terme glosé par le nom collectif « le Grec soudard ») qu’Ulysse opposé à Andromaque (v. 406) désigne les Grecs, au prix peut-être d’un anachronisme volontaire de la part de Garnier.

13A plusieurs reprises, l’opposition entre les deux mondes, grec et troyen, éclate dans le cliquetis des noms, par exemple dans ces vers qui les martèlent :

Tandis qu’Hector vivra dans le sang de son fils,
Nous recraindrons tousjours les Troyens déconfits :
Tousjours nous semblera que le malheur renaisse,
Qu’une flotte Troyenne aborde dans la Grece,
qui nous vienne darder de Troye les tisons,
Et en face embraser les Argives maisons. (LT,759 sq.)

14La spécification des Grecs en Argiens/Argives permet de mentionner une ville (Argos), fondée par Danaos, et donc le risque d’un pendant grec de la destruction de Troie (cf. v. 887 et 2163). Inutile de savoir le grec pour en avoir une idée, tout cela est déjà dans L’Enéide. La menace est ressentie comme précise, et Andromaque reprend le nom employé par Ulysse :

N’ayez peur, n’ayez peur qu’à vostre mal il [Astyanax] croisse,
Et qu’au rivage Grec jamais il apparoisse
Conducteur d’une armée, à fin de se venger,
Que Mycènes il aille ou Argos assiéger. (LT, 797 sq.)

15Cassandre aussi, dans ses prophéties (p. 398-403), répète de façon martelée le nom « Grecs », qui sert à marquer l‘opposition de ceux-ci avec Troie, ainsi qu’Andromaque (v. 871 sq.).

16Les épithètes concernant les Grecs ne sont bien sûr pas flatteuses dans la bouche des personnages troyens : la « caute Grèce » (v. 419) ; les « Gregeois rusés » (v. 454, à propos du piège du cheval de Troie, cf. Virgile « Danaeum insidias » dans Enéide II v. 65) ; « ce peuple belliqueur » (v. 1593), la « bourelle Achaie » (v. 1807), ou encore, dans le cri d’Andromaque : « Quel Gete, quel Tartare, / Et quel Colque a commis un acte si barbare » (v. 1925-1926), ce qui inverse les valeurs ordinairement attachées respectivement aux Grecs et aux Barbares. Plus loin, c’est Hécube qui développe le discours anti-grec : « Or vous Grecs frauduleux, Qui d’armes deloyales / Avez renversé Troye aux ondes stygiales » (v. 2179 sq.).  Ils sont présentés comme traîtres, lâches et cruels. Cette véhémence se traduit par des malédictions qui annoncent leurs retours désastreux (v. 2187 sq.) : allusion aux épreuves d’Ulysse, et à l’Orestie, deux histoires essentielles de la littérature et du théâtre grecs. Mais la fin de ce discours (lire les v. 2203 sq.) annonce (par allusion prophétique, pour ainsi dire) aussi la soumission future de la Grèce à Rome. En effet, l’expression « la Grèce saisie » (v. 2204) est une paraphrase de la formule bien connue « Graecia capta » du poète latin Horace8, qui désignait chez lui la défaite de la Grèce comme ayant abouti à sa victoire culturelle sur Rome, laquelle fut du coup hellénisée. Finalement, à travers l’allusion à l’invasion de la Grèce par les Perses de Xerxès au temps des guerres médiques (voir la note de notre édition aux v. 2203 sq.), nous entendons aussi, par ricochet prophétique moderne, une allusion indirecte, deux mille ans plus tard, à la fin de l’empire byzantin, héritier de la Grèce antique, résultat de l’invasion et de l’occupation ottomane de ce qui restait de la Grèce au XVe siècle. Notre pièce fait ainsi allusion, de manière détournée, aux réalités contemporaines de Garnier et de ses spectateurs, comme elle le fait, mais de manière très générale et également détournée, sur les plans politique et religieux.

17Les Troyens apparaissent alors, face aux Grecs, comme les témoins de l’humanité (civilisation, philanthropie et pietas ; cette dernière dimension est signifiée dans notre pièce par le thème essentiel du respect des tombeaux et des morts). Ce renversement (topique depuis l’Antiquité) des points de vue a évidemment une signification prégnante dans le monde moderne et chrétien, celui des guerres de religion à l’époque de Garnier. Les chrétiens occidentaux, censés incarner les valeurs de la charité, ne se font-ils pas en France la guerre entre eux de manière monstrueuse depuis 1562-1563 ?

18Le chœur de l’acte ii, mis dans la bouche des Troyennes vaincues et asservies, évoque la Grèce avec appréhension, à travers une multiplicité de terroirs helléniques, repoussants ou célèbres. Mais le seul lieu abhorré par lui est Sparte, évidemment à cause du rôle joué par Ménélas dans le déclenchement de la guerre. Or ce même chœur remonte, comme le font les chœurs dans cette pièce en général, aux causes lointaines du désastre, et c’est Pâris Alexandre, un Troyen (v. 1193 : « la faute d’un seul »), qui est mentionné comme le responsable du désastre. C’est alors l’égalité des deux peuples dans le malheur qui est proclamée (v. 1200 sq.), en écho à ce que Cassandre prétendait à l’acte i, quand elle soulignait face à Hécube (v. 355 sq.) l’égalité des peines endurées de part et d’autre, puis le surcroît de douleurs qui attend encore les Grecs (v. 375 sq.). Cette comptabilité est bien sûr dérisoire, et doit être interprétée à la lumière de la revendication troyenne des causes de la guerre, dans la bouche d’Hécube, qui se désignait elle-même comme source du malheur troyen (acte i, v. 61 sq.), puis de ce chœur de l’acte ii, qui met en cause, ultimement, sur le plan humain, l’invention de la navigation (v. 1186 sq.), motif secondaire qui devient ensuite le thème principal du chœur de l’acte iii (v. 1745 sq.). Enfin, au-delà de la question des responsabilités et du poids des malheurs respectifs, le chœur dégage la loi morale et philosophique de la tragédie : « Nous monstrant que tout devalle / Dessous les mortelles lois » (= la loi de la mortalité, c’est-à-dire du cycle biologique ; v. 1234-1235).

19Dans le fond, le seul personnage vraiment négatif de la pièce est non grec, il est issu de « la Thrace negeuse » (v. 1272), et il règne dans sa « cour Thracienne » (v. 2547 ; cf. v. 2474, et 2476), où il devait sauvegarder, s’il avait respecté son serment, Polydore « sauvé de la main Argienne » (v. 2547-2548) : c’est Polymestor, traître intéressé et criminel, appelé deux fois « tyran » (v. 2291, 2633), comme les bourreaux des mystères et des passions du théâtre français traditionnel. Ce personnage, même s’il se réclame face à Agamemnon de « nostre commun bien » (v. 2552), ne fait pas partie du monde grec parti à l’assaut de Troie puisqu’il abritait, en dépit des Grecs, Polydore, l’avenir de Troie ; ce non-Grec est un opportuniste. Il attribue son malheur à la haine des Troyens pour les Grecs (v. 2608) : comme s’il était étranger à tout cela et attendait donc des Grecs une compensation pour son propre malheur.

20Les personnages grecs, eux, comportent tous une certaine ambivalence axiologique. Ulysse éprouve presque de la pitié pour Andromaque ; Agamemnon reste exempt de fureur, il tente de trouver, face à Pyrrhe, une issue à la crise et il se montre à la fin de la pièce juge équitable ; mieux, il a recours, dans son discours à Pyrrhe (p. 447 sq.), à la topique de la vanité des grandeurs humaines (par ailleurs caractéristique du genre tragique lui-même comme méditation morale et politique), dont il est alors la conscience sur la scène ; c’est un personnage qui sert de mise-en-abyme du genre. Le même Agamemnon illustre enfin un type de sublime connu dans la tradition à travers l’anecdote grecque célèbre au sujet du peintre Timanthe, qui avait représenté le sacrifice d’Iphigénie, la fille même d’Agamemnon, crime nécessaire, selon l’oracle Calchas (épisode qui est justement rappelé ici aux v. 1511-1512) au départ de la flotte grecque quand elle voulait cingler vers Troie et qu’elle était dépourvue de vent. Cette scène se répète maintenant, dans notre pièce, cette fois pour le retour, au détriment de Polyxène et des Troyens. Cicéron dans l’Orator rapportait ainsi l’anecdote :

Denique pictor ille vidit, cum immolante Iphigenia tristis Calchas esset, tristior Vlixes, maereret Menelaus, obvoluendum caput Agamemnonis esse, quoniam summum illum luctum penicillo non posset imitari.
Le peintre a vu dans le sacrifice d’Iphigénie, alors que Calchas était triste, Ulysse plus triste encore et Ménélas accablé, qu’il lui fallait voiler la tête d’Agamemnon puisqu’il était incapable de rendre avec son pinceau le comble de la douleur.9

21Cicéron interprète le choix de Timanthe comme exemple de decorum et comme résultat de la capacité/incapacité de l’artiste à trouver l’expression la plus adaptée à une émotion, en tenant compte des circonstances. Cette très célèbre anecdote pourrait servir ici de didascalie pour la mise en scène suivante : Ulysse est accablé (de toute façon, il se tait dans cette scène), Calchas lui-même l’est (pourquoi pas ?), mais le silence d’Agamemnon équivaut à un effondrement intérieur, et notre personnage se voile la tête. Dans notre pièce, c’est Pyrrhe qui parle alors que c’est Agamemnon qui avait pris l’initiative de consulter l’oracle et qui devrait maintenant donner l’ordre d’exécution. Ce silence assourdissant d’Agamemnon après le v. 1528, puis son départ, rangent définitivement le chef grec dans le camp de l’humanité, une humanité stupéfaite et sublimement silencieuse devant la parole terrible de l’oracle.

22Enfin, la majorité des Grecs (mais pas tous) est touchée de pitié et d’indignation devant la scène du sacrifice de Polyxène (v. 2080-2081). La Grèce combattante est donc caractérisée par des traits étagés, qui vont de la dureté extrême (Pyrrhe) à la pitié inutile pour les victimes, du sentiment humain collectif ou majoritaire à la division de l’opinion face à l’autorité (p. 480), puis à la révolte inefficace (v. 2138 sq.) et à l’exception sublime, puis équitable, d’Agamemnon (qui n’arrive pas à sauver Polyxène mais en donne tout de même l’ordre, v. 2140).

23 L’ombre d’Achille réclamant le sacrifice de Polyxène est monstrueuse, certes, mais conforme à l’éthos du guerrier sauvage et héroïque qui fait sa grandeur dans L’Iliade, et Pyrrhe, son fils, n’est que son héritier et son interprète. Cependant Pyrrhe, dans sa réclamation impitoyable de Polyxène (mais non furieuse, voir les v. 1681 sq.), fait valoir le « salut commun de la Grece » : il met ainsi en avant un argument qui n’est pas objectivement dépouillé de valeur si l’on fait abstraction du problème moral et religieux du sacrifice humain.

24Au contraire de ces personnages grecs, Polymestor, lui, n’a rien d’héroïque, ni de raisonnable, en dehors du pur opportunisme intéressé. Il est donc le « vilain » de la pièce. Mais les horreurs commises dans notre tragédie (sans parler des crimes qui précèdent et qui ont accompagné la prise de Troie) sont toutes liées au retour des Grecs dans leur patrie : si la servitude et le concubinage des princesses vaincues est « normal » dans la Grèce archaïque dont fait état la pièce (mais choquant du point de vue français et aussi romain), il s’agit d’éviter, grâce à la mort (atroce) d’Astyanax, les possibles conséquences funestes d’un regain de la nation troyenne, et d’obtenir, au moyen du sacrifice de Polyxène, un vent favorable pour le retour. Or les retours des chefs grecs, selon la légende, furent impossibles ou difficiles, en guise de punition pour les crimes qu’ils avaient commis à Troie. Ainsi, c’est bien la Grèce qui apparaît dans la pièce au banc des condamnés, comme le soulignent les prophéties de Cassandre à l’acte i, alors même qu’ils n’incarnent pas tout à fait le mal, dont Polymestor est le seul vecteur absolu et méprisable.

25En conclusion, je soulignerai trois aspects. Le premier est la part réduite du pittoresque grec dans la mesure où la Grèce de Garnier est une Grèce filtrée par la latinité, notamment la latinité poétique de Virgile et d’Horace. Comment s’en étonner, alors que Garnier est sans doute un helléniste médiocre ? Deuxièmement, nous n’avons pas affaire à la même Grèce d’une pièce à l’autre. Il y a des analogies significatives entre les deux pièces (mention ou apparition d’une ombre notamment), mais elles permettent de souligner les différences : on passe sensiblement d’un monde mythico-héroïque à un monde plus « historique » (homérique ou posthomérique). C’est aussi ce qui explique le fait qu’Hippolyte ne fait pas écho à l’actualité française du xvie siècle, alors qu’on entend dans La Troade des préoccupations bien françaises, celles des contemporains de Garnier, notamment au sujet des drames de la guerre et de son inhumanité. Mais, comme l’indiquent ici Nathalie Dauvois et Fabien Cherpi, ce monde d’Hippolyte n’est plus non plus tout à fait celui, ancien, des héros, car Thésée est défaillant, et il compromet le monde politique de la cité instauré par son père. Enfin, les différences entre les deux pièces, la nature de leurs personnages et de leur action, mettent en évidence une dénivellation remarquable entre la Grèce d’Hippolyte, tiraillée par l’amour entre ses deux pôles, la Crète et Athènes, et la Grèce de La Troade, opposée à Troie. D’un côté, le mythe permet d’opposer un personnel masculin (Egée, Thésée) à un personnel féminin (Phèdre, la nourrice), Hippolyte étant lui-même un prince innocent mais au statut et aux goûts problématiques, dans un premier temps, pour un prince héritier (fils d’une Amazone, et se détournant de la vie urbaine et curiale10). De l’autre côté, face à une Troie féminine mise en valeur come victime pathétique, on rencontre une Grèce virile, dure et impitoyable, promise à de futurs châtiments lors des retours de ses chefs vers leur patrie, et à un sombre avenir, des guerres médiques à la conquête romaine puis (pourquoi pas ?) ottomane. Mais cette Grèce reste héroïque dans son inhumanité, ce que fait ressortir la figure du méchant incarné par un non-Grec non-héroïque (au sens positif de ce terme), le Thrace Polymestor. Elle est par ailleurs incarnée par des figures très différenciées sur le plan moral, de la froideur d’Ulysse à la complexité d’un Agamemnon, qui est modéré jusque dans sa dureté de vainqueur, voire sublime lorsqu’il revit la scène représentée par le peinte Timanthe à propos du sacrifice précédent de sa propre fille Iphigénie. Profondément humaine, donc, cette Grèce des vainqueurs peut servir de miroir aux Français déchirés du xvie siècle : qu’ils s’identifient aux victimes troyennes ou aux vainqueurs grecs, ils sont tous, à leur façon, à la fois victimes et, sinon coupables, en tout cas responsables des malheurs qui leur adviennent.