Colloques en ligne

J. Michelet

Politique et rhétorique dans Les Fleurs de Tarbes de Jean Paulhan

Le poète se rapproche beaucoup de l’orateur. Plus asservi à la mesure, mais plus libre et hardi dans l’expression, il dispose à peu près de la même richesse d’ornements. Presque égaux sur ce point, il est certain que sur un autre ils se ressemblent encore davantage : tous deux se refusent à admettre qu’on vienne circonscrire ou limiter leur droit. Point d’entrave ; ils réclament pour leur génie un plein et libre essor.

Cicéron, De l’orateur, I, xvi, 701.

1On a beaucoup commenté l’entreprise de Jean Paulhan, dont Les Fleurs de Tarbes sont peut-être l’exemple le plus connu, visant à restaurer dans ses droits la Rhétorique, à distinguer, face au régime littéraire dominant à son époque, ce qu’il appelle la Terreur – idéologie littéraire marquée par la radicalisation des avant-gardes –, un régime qu’il nomme Maintenance, réinstaurant la littérature comme espace commun, objet de consensus. Néanmoins, il est légitime de se demander si cette opposition n’est pas d’ordre plutôt polémique, et si Paulhan établit véritablement une ligne de démarcation infranchissable entre Terreur et Maintenance, tandis qu’il admet lui-même : « Comment ne pas faire ici l’aveu que j’étais, au fond, terroriste2 ? » et qu’il revient également sur l’opposition trop tranchée qu’il a pu être amené à instituer entre Terreur et Maintenance, reconnaissant enfin qu’elle agite la réflexion sur la littérature depuis que cette réflexion existe3. Cet aveu de Paulhan, dont l’imparfait manifeste la nostalgie bienveillante du regard rétrospectif, suggérerait alors une nouvelle distinction à ajouter à la psychomachie sur le plan synchronique de Terreur contre Rhétorique, celle d’une répartition sur le plan diachronique, dans la vie du lecteur4, de certains modes de lecture et de certains modes d’écriture qui se partageraient un espace au sein duquel chacun trouve sa place, qui est la littérature.

2Il est donc manifeste que Paulhan, en même temps qu’il opposait deux façons de concevoir l’écriture, a multiplié les gestes de réconciliation. Il faudrait alors tenter de dissocier ce qui tient en fait à la fonction polémique de l’ouvrage qui, s’il paraît en 1941, est entrepris dès 1926, à un moment où les positions politiques et littéraires de l’avant-garde se radicalisent, et ne laissent aucune possibilité de survie à la littérature après elles5, de ce qui constitue une contribution plus durable à la définition de la littérature et de l’acte d’écrire. Or il est singulier de remarquer le nombre important d’exemples que Paulhan emprunte au domaine de la politique : articles de journaux, fragments de discours, situations politiques… Si cela peut en effet s’expliquer par la place importante que la discussion sur les rapports entre littérature et politique tient au sein de la réflexion sur la littérature dans l’entre-deux-guerres (la NRF de Gide se présente depuis 1908 comme le temple de la « littérature pure », les surréalistes ne cachent pas leur engagement révolutionnaire, l’Action française occupe une place majeure dans le paysage politique et littéraire), il peut sembler étrange qu’une volonté de définir un espace propre pour la littérature passe par l’analyse de faits qui semblent appartenir à un usage tout autre du langage. C’est donc que Paulhan n’établit pas d’office de séparation entre une utilisation exclusivement littéraire du langage et son utilisation dans le cadre de la communication politique, et c’est là ce qui fonde l’originalité de sa réflexion. Il n’y a pas, pour Paulhan, de coupure essentielle entre la littérature et le langage social : la littérature, cas particulier de l’usage du langage, sert de révélateur d’une crise qui la dépasse.

3En effet, plusieurs fois dans le livre, Paulhan suggère une certaine homologie entre la structuration de la communauté politique et celle de la littérature autour d’un langage commun : « Comme si les États et la nature n’étaient pas tout à fait différents d’un grand langage, que chacun silencieusement se parlerait6 » – il est intéressant d’ailleurs qu’il désigne par les « Lettres » ce qu’on a coutume aujourd’hui de désigner par le terme de « littérature », faisant signe par là de façon évidente vers la « République des Lettres » héritée des siècles classiques.

4Si bien qu’il semble qu’il ne faille pas simplement accorder une valeur métaphorique au terme de Terreur appliqué à l’idéologie littéraire des avant-gardes, mais bien le prendre au sens propre, selon ce rapport d’homologie qu’on a relevé7 : en effet, le risque est bien pour toute une catégorie d’écrivains – ceux qui ont le malheur d’avoir du talent – de se voir interdire le droit à l’expression, et d’être expulsés violemment de la communauté littéraire :

Le représentant Lebon décrète, en août 1793, que le tribunal révolutionnaire d’Arras jugera d’abord les prévenus « distingués par leurs talents ». Quand Hugo, Stendhal ou Gourmont parlent de massacres ou d’égorgements, c’est aussi à une sorte de talent qu’ils songent : celui qui se trahit aux fleurs de rhétorique8.

5Ainsi, Paulhan ne définit pas un modèle rhétorique de constitution des Lettres, pour ensuite parvenir, par différenciation, à la définition d’un usage politique et d’un usage littéraire du langage, tous deux réglés par la rhétorique, ce qui reviendrait à s’installer dans la dichotomie établie entre Rhétorique et Terreur (qui est bien davantage imputable à cette dernière qu’à l’écrivain auquel pense Paulhan) ; sa démarche consiste plutôt à partir de la configuration du milieu politique pour parvenir à la rhétorique et aux Lettres. C’est ce rapport nouveau qu’établit dans Les Fleurs de Tarbes Paulhan entre rhétorique, c’est-à-dire littérature, et politique que nous voudrions tenter d’éclairer ici.

Une maladie des signes : symptôme de la démocratie

6Puisque communauté politique et communauté littéraire sont structurées de façon homologique, le problème de Paulhan dans Les Fleurs de Tarbes tournera donc autour du langage en général, et pour l’étudier, des exemples pris aussi bien à la sphère politique qu’à la sphère littéraire serviront, sans besoin d’adaptation. Aussi Paulhan commence-t-il par analyser le contenu des discussions sur la littérature et l’idéologie qu’elles révèlent. Le premier élément significatif qu’il relève est l’injonction faite à l’auteur d’affirmer sa différence9. Il revient donc à celui qui se mêle d’écrire de faire part, au sein du langage – inévitablement partagé et commun, sous peine d’incompréhension –, à l’individuel, à l’irréductiblement différent. C’est ainsi une revendication de transparence absolue que le milieu littéraire impose à l’écrivain : le rêve d’une immédiateté parfaite entre le lecteur et l’auteur, qui parviendrait à se communiquer totalement à lui. De la sorte, l’utilisation même du langage devient suspecte, puisque les mots, inévitablement, sont ceux de la tribu. Le langage apparaît donc finalement non comme ce qui permet à l’écrivain d’exister, mais comme ce qui l’empêche de réaliser son but : puisque tout élément du langage est susceptible d’avoir été employé auparavant pour signifier autre chose, tout mot, toute structure linguistique trahit inévitablement celui qui l’emploie. Le langage, qui était moyen d’expression, devient un facteur de confusion, d’opacité, entre le lecteur et l’écrivain. En effet, il impose entre ces deux instances du discours des écrans qui les dérobent l’une à l’autre : l’écrivain, de son côté, est condamné à échouer à exprimer son individualité – individuum est ineffabile – et ne parvient pas à dire ce qu’il veut ; le lecteur, quant à lui, ne peut pas déterminer si ce qu’il lit correspond bien au propos unique de l’écrivain, ou bien si ce dernier a « cédé aux mots », en ne faisant que répéter du déjà dit. Ce soupçon de faiblesse et d’insincérité qui frappe l’écrivain trouve son correspondant dans le milieu politique : le risque est alors pour tout un chacun de se voir manipuler par des mots puissants, tellement utilisés que leur signification s’est perdue pour se muer en un étrange et inquiétant pouvoir forçant l’adhésion10.

7De sorte qu’enfin, c’est le langage lui-même qui se voit l’objet d’une méfiance absolue : « Ainsi, de proche en proche, tout mot devient-il suspect s’il a déjà servi ; tout discours s’il reçoit d’un lieu commun sa clarté11. »

8La communication dans son ensemble est donc mise en danger, puisqu’en effet, les deux instances du discours, l’émetteur et le récepteur, sont affectées par cette méfiance vis-à-vis du langage, ce qui conduit à disqualifier complètement toute forme de persuasion12 et de communication basée sur un langage commun, et à instaurer une véritable ère du soupçon qui pèse sur tous les énoncés.

9Le « mythe du pouvoir des mots » a pour conséquence, en littérature, une période « de misère et de faim », car la plus grande partie des ressources du langage de l’écrivain deviennent inutilisables, conséquence de la « misologie », haine des mots, qui s’empare de lui. Elle a également pour conséquence, du côté du lecteur, le silence imposé au critique, dont le jugement de valeur est réduit à néant, puisque au fondement même de l’acte d’écrire se trouve la nécessité d’écrire du neuf, qui ne saurait s’accommoder de principes guidant la fabrication, et par suite l’évaluation, de l’œuvre13. Il y a donc rupture, d’une certaine manière, entre l’écrivain, qui doit malmener les règles de la communication pour s’exprimer, et le lecteur, qui se voit imposer l’œuvre sans pouvoir rien en dire.

10Cette rupture, suivant un rapport d’homologie, trouve sa traduction au sein de la communauté politique : des instances de production du discours – les hommes politiques – à leur auditoire, il y a rupture, incompréhension et méfiance14.

11Mais il faut bien s’exprimer, et si tous les énoncés sont suspects, on ne prendra plus à son compte ses propres propos, et l’on décrétera « l’écrivain irresponsable ». Puisque le langage est ce qu’il est et qu’il faut malgré tout l’utiliser, l’utilisateur en sera donc innocent. C’est le deuxième pôle de l’idéologie terroriste. Or l’on peut noter que, selon l’analyse de Paulhan, cette idéologie littéraire aboutit à un paradoxe : si la tâche de l’écrivain est de se révéler de la façon la plus immédiate possible à travers l’écriture, il ne reste plus au critique qu’à contrôler la réalisation effective de ce but, et la capacité de celui qui tient la plume à se défaire du langage, de ses codes et de ses règles15 ; or le dogme de l’irresponsabilité de l’écrivain ôte cela même à la critique, puisqu’on ne saurait tenir celui qui écrit pour responsable de ce qu’il écrit. Le résultat de cette attitude est qu’on ne sait plus bien quoi faire du livre, puisque l’œuvre est frappée d’inanité, et que la subjectivité de celui qui l’écrit – dernier intérêt que l’on accordait au lecteur – s’évanouit derrière les prestiges d’un langage qu’il ne reconnaît pas. La « misologie » met donc en jeu l’être même des Lettres.

12Dans la sphère politique, cette situation correspond à la semblable mise en péril de la communauté politique dans son ensemble. En effet, si d’une part, le destinataire du discours n’est plus en mesure de le recevoir, du fait de l’opacité inhérente des signes du langage qui lui masque la véritable intention de l’émetteur, et si, de toute façon, ce dernier ne saurait être tenu pour responsable de ce qu’il dit, le langage politique est dévalué dans son essence, puisqu’il ne permet plus de juger les discours des uns ou des autres. La communauté politique se désagrège, et l’on peut dire qu’ici, Paulhan rejoint les préoccupations d’un Julien Benda, qui fustige l’excès d’individualisme régnant sur les Lettres. Paulhan montre ainsi que, d’après l’équivalence déjà établie par Aristote entre zôon politikon et zôon logon ekhon, animal politique et animal doué de parole, la maladie du langage qui semble miner le milieu littéraire mine de la même façon le milieu politique. En effet, l’impossibilité de communiquer, de s’exprimer par le biais du langage, contamine rapidement tous les niveaux des relations humaines, comme le montre l’exemple, cité par Paulhan, du « silence du permissionnaire16 ». L’expérience de la guerre devient le paradigme de l’incommunicabilité essentielle de l’expérience humaine, et Paulhan indique que jamais les soldats ne se sont reconnus dans les ouvrages qui traitent de cette expérience17. En dernier lieu, cette impossibilité de mettre des mots sur une expérience touche l’homme lui-même, la communication intérieure que chacun peut être amené à établir avec soi-même. La maladie des lettres touche ainsi, de proche en proche, la collectivité et les individus de façon identique, et Paulhan avertit : « Qui ne serait prêt à abandonner la littérature à son sort ? Mais c’est toute pensée qui se voit compromise avec elle. On ne voulait mettre à mort que l’artiste, et c’est l’homme qui a la tête coupée18. »

13Ainsi la misologie révèle-t-elle une « double incapacité du corps social à parler et à entendre19 », qui frappe jusqu’aux individus.

14Or il faut noter que si Paulhan admet la cohabitation d’un régime de Terreur et d’un régime soumis à la Rhétorique, qui est pour ainsi dire constitutive des Lettres, il assigne pourtant une origine significative à la Terreur, qui remonte à la première moitié du xixe siècle. Il est intéressant de voir que Jacques Rancière, dans son livre Politique de la littérature20, fait remonter l’avènement de modernité littéraire à peu près au même moment, et plus précisément, le concernant, à Balzac, puis surtout à Flaubert. Cette date marque historiquement la fin sans retour du consensus autour de la forme monarchique du pouvoir et de l’Ancien Régime en France, et l’établissement presque ininterrompu du droit de vote, plus ou moins étendu. Cette période se caractérise par une égale légitimité des discours qui s’expriment sur la place publique, et par l’absence d’un ordre représentatif et sémiotique fixe et universellement reconnu. À partir de ce moment-là, selon Rancière, les signes sont frappés d’une ambiguïté essentielle, qui ne les inscrit plus dans un réseau signifiant univoque. Ces analyses se rapprochent de celles de Paulhan, puisqu’elles montrent la confusion établie au niveau des signes du langage. Il est donc nécessaire de constater que la « misologie » est une maladie spécifiquement démocratique.

15Paulhan constate en effet que le recours au mythe du pouvoir des mots est un « argument politique » :

Car l’argument sert bien ailleurs qu’en littérature. Il est commun, il est populaire. Somme toute, il introduit moins dans la politique, par exemple, un élément littéraire ou raffiné, qu’il ne fait dans la littérature un élément polémique21.

16Cet argument du pouvoir des mots sert à disqualifier l’usage, de la part de certains locuteurs ou écrivains, de certains vocables sur lesquels l’accord ne se fait pas, et auxquels les deux parties confèrent des significations différentes. Ces termes sont de préférence ceux qui ne peuvent être remplis par un contenu de l’expérience, mais dont le sens est arbitraire, conventionnel22, et donc tributaire du système signifiant dans lequel ils sont employés. Or, dans le contexte de l’entre-deux-guerres et de la contestation violente du parlementarisme et de la démocratie, qui fait suite à un siècle de luttes entre révolution et contre-révolution, les termes de liberté, démocratie, égalité, par exemple, sont sujets à caution. Il n’existe pas « d’accord implicite et fondamental sur la validité universelle de lieux communs éthiques, d’axiomes juridiques, de principes constitutionnels et de pratiques économiques, etc.23 ». Le mythe du pouvoir des mots sert alors à expulser de la communauté politique ceux qui n’utilisent pas les mêmes signes, puisque en réalité : « Il s’agit des autres quand ils ont tort, et que nous distinguons ce tort clairement : les plus différents de nous qui soient, adversaires, ennemis24. »

17Aussi, on le voit, chez Paulhan, en vertu d’une structure homologique des champs littéraire et politique, c’est un va-et-vient permanent entre les deux mondes qui permet d’identifier la maladie qui frappe, selon le critique, les Lettres. Cette maladie est avant tout politique. C’est donc la configuration du milieu politique qui permet d’expliquer la constitution du champ des Lettres, et non la constitution de ce dernier qui règle son usage politique. La démocratie, selon Paulhan, se caractérise par « une maladie constitutive de la représentation » (on peut bien l’appeler avec lui « Terreur »), qui consiste en une méconnaissance de la nature médiatrice des signes25.

L’impossibilité d’une résolution linguistique

18Puisque maladie il y a, Paulhan va tenter d’envisager plusieurs solutions pour y remédier. Or, si cette maladie est du langage, touche les signes, c’est la nature du signe même qu’il convient d’analyser.

19Ce que sous-tend la notion de « pouvoir des mots », remarque Paulhan, est une conception dualiste du langage, qui séparerait d’une part un contenu matériel, la langue à proprement parler, et dans la langue, les mots, les signes, dans leur corporéité sonore et scripturale, et de l’autre des idées, des pensées, immatérielles, qui leur seraient associées :

L’on dira donc (pour acquit de conscience) que le langage comporte – comme les grammaires l’enseignent, et les dictionnaires, ne fût-ce que par leur aspect, le confirment – d’une part des signes qui tombent sous le sens : soit bruit, son, image écrite ou tactile. De l’autre, des idées, associées à ces signes, en telle sorte que le signe, sitôt apparu, les évoque. En bref, un corps et une âme, une matière et un esprit26.

20Cette « idée du langage27» conçoit donc le rapport entre le mot et la pensée qu’il doit exprimer comme une relation de contiguïté et d’association. Or cette relation est conçue, selon les critiques « terroristes », comme fixe et immuable, d’où le risque de contrainte lié à l’utilisation du langage : si tel mot est associé à telle idée de façon permanente, il ne reste aucune place pour l’individu, l’original, le neuf ; l’intercompréhension ne se fait que sur la banalité et les bêtises. Dans cette perspective, le mot lui-même devient une contrainte, et il est évident que le lieu commun, association fixe et lexicalisée de mots, représente le sommet de l’aliénation au langage.

21Ces conclusions, les critiques « terroristes » y parviennent d’une façon qu’ils veulent méthodique, ce que Paulhan leur accorde. Ainsi, c’est en employant, selon lui, exactement la même méthode que Paulhan va procéder afin de vérifier les thèses « terroristes ». Il commence donc par réaffirmer l’importance de l’observation et de la collecte des faits. Or deux observations complémentaires sont à faire : d’une part, il est impossible de recueillir aucun témoignage direct d’un utilisateur du langage définissant à quel mot il se trouve assujetti, et quel type d’influence il ressent : « L’on eût pu noter d’abord : s’il est un trait singulier des observations que l’on a vues, c’est qu’il ne s’en trouve pas une pour nous offrir un témoignage direct. […] Il ne s’agit jamais que des autres28. »

22D’autre part, le pouvoir qu’on reconnaît aux mots est toujours contemporain d’une prise de conscience rétrospective, au moment où ce pouvoir n’a plus cours : « Car l’expérience la plus simple nous apprend que là où est le pouvoir, les mots passent invisibles ; et que là où apparaissent les mots, il n’y a plus de pouvoir29. »

23Ainsi, au moment où liberté ou démocratie avaient une influence sur le comportement de tel ou tel de leurs défenseurs, à ce moment, ces mots avaient une réalité incontestable et traduisaient exactement ce que pensait ou ressentait tel ou tel de ses utilisateurs. Au moment où la notion de démocratie a perdu tout sens, le mot lui-même a perdu toute influence. Selon Paulhan, un quelconque « pouvoir des mots » indépendamment de toute signification authentique est inconcevable. La même méthode de division, qui a conduit la Terreur à dissocier mot et pensée, conduit à reconnaître que la notion de « pouvoir des mots » est impensable.

24En second lieu, Paulhan va ensuite faire droit à une autre des « idées simples30 » sur lesquelles la Terreur est fondée, selon laquelle « il est donné à certains mots – et peut-être à tous – d’exercer un singulier pouvoir sur l’esprit est le cœur des hommes, hors de leur sens31. »

25Or cette thèse est en contradiction complète avec les résultats des recherches dans le domaine de la sémantique que Paulhan peut connaître, notamment l’Essai de sémantique de Michel Bréal32. Selon ce dernier, en effet, il existe une forme de conscience langagière qui empêche un mot de prendre un sens qu’il n’a pas, et qui anticipe les variations de sens. De plus, les mots, du fait de leur utilisation, perdent de leur puissance de signification, et donnent lieu soit à des remplacements, soit à des renforcements, afin de maintenir l’idée à exprimer. Ces conclusions de la sémantique moderne vont à l’encontre de la thèse de la Terreur, selon laquelle un mot, lorsqu’il perd sa signification, en acquiert une force d’autant plus grande de contrainte sur le locuteur. Aussi les thèses de la Terreur, qui se veulent scientifiques, apparaissent-elles en totale contradiction avec les thèses des études scientifiques et rigoureuses de la langue que Paulhan peut connaître.

26Ainsi, à l’aide de méthodes qu’il dit semblables à celles de ses adversaires, Paulhan parvient-il à démontrer, non sans un certain humour, que la notion de « pouvoir des mots » ne dénote rien qui puisse tomber sous le coup de l’expérience ou en être déduit. Finalement, il semble que les « terroristes », si soucieux d’éviter de souffrir d’une quelconque contrainte de la part d’un langage trop usé pour communiquer, se soient laissés eux-mêmes abuser par une alliance de mots absurde. Partant, l’horreur du lieu commun qui anime l’idéologie terroriste est injustifiée. Mais elle n’en conditionne pas moins des attitudes critiques et des stratégies d’écriture, et il convient pour cela de la prendre au sérieux tout de même33. En effet, si le « pouvoir des mots » n’existe pas, la méfiance à l’égard du langage elle-même ne peut pas être abolie par la réflexion linguistique.

27Or, selon Paulhan, si le lieu commun n’est pas un lieu de pouvoir, il est un lieu, paradoxalement, d’incompréhension. Dans un premier temps, la nature du cliché n’est pas celle d’un groupe de mots vidés de leur sens, mais au contraire d’un trop-plein sémantique. En effet, la création du cliché s’apparente pour Paulhan à la tentative de création de mots. Les doigts délicats seront une nouvelle variété de doigts, assortie d’une nuance de sens, qui, bien loin d’appauvrir l’expression, ajoute une virtualité de plus à la langue et à la perception commune, si bien que le cliché se lie à une communauté d’expression qui partage les mêmes expériences (famille, groupe d’amis, nation…), et peut devenir obscur pour des éléments extérieurs. La nature du cliché est donc plutôt celle d’un trop-plein de sens. On ne peut donc en vouloir à l’écrivain ou à quiconque d’utiliser le cliché : ou bien il est passé, par habitude, inaperçu, et ne révèle pas un souci du langage excessif, ou bien il représente un surcroît de sens, et celui qui l’emploie a exprimé quelque chose de nouveau, conféré une valeur ajoutée de signification à son expression. Dans le mouvement de l’écriture, le cliché ne joue donc que peu de rôle pour l’auteur non préoccupé du langage, authentique, qui est celui que réclame la Terreur.

28En revanche, la méfiance à l’égard du cliché dont font preuve les critiques terroristes est révélatrice du souci important du langage qui les anime : en effet, face au cliché, le lecteur « terroriste », ou « misologue », exige de celui qui se saisit du langage d’être authentique, différent, et d’exprimer du nouveau. Face au cliché, ce dernier ne sait plus comment interpréter ce qu’il lit : l’auteur a-t-il cédé aux mots ou non ? L’écrivain a pu aussi bien être extrêmement libre ou extrêmement serf du langage. Le lieu commun n’est donc plus un lieu de communauté entre celui qui parle ou écrit, et celui qui écoute ou lit, mais un lieu où l’un et l’autre se perdent de vue : « Mais le lecteur qui hésite et tâtonne, que lui reste-t-il dans cette alternative, et coincé entre deux sens également possibles, que faire retour aux mots, et les interroger encore et les peser34. »

29Le lieu commun, qui avait pour fonction d’instaurer une communication plus immédiate, se mue en un facteur de confusion qui brouille la communication entre les deux instances du discours, qui ne se reconnaissent plus. En effet, le langage n’est plus ce qui relie deux subjectivités entre elles, mais un artefact qui s’érige entre elles comme un écran, qui renvoie sans cesse le lecteur à lui-même, opérant un renversement dans le travail du critique : « Gourmont ni Albalat ne nous montrent ce qui s’est passé pour Bourget – mais ce qui se passe pour Albalat et Gourmont quand ils lisent Bourget35. »

30Paulhan met donc en évidence l’absurdité inhérente à l’idéologie littéraire terroriste. Ses conceptions erronées de la nature du langage et l’impératif d’authenticité qu’elle énonce rendent impossible la réalisation même de cet impératif. Mais ce que l’analyse de Paulhan met surtout en évidence, c’est que la résolution linguistico-sémantique de la question est impossible. En effet, les faits relevés par Paulhan lui permettant de réfuter la thèse terroriste du « pouvoir des mots » prennent sens dans la perspective de l’utilisateur du langage, de l’écrivain. Les faits relevés par les critiques terroristes, quant à eux, prennent sens dans la perspective du lecteur, que le lieu commun déroute. L’illusion du « pouvoir des mots » révèle donc une interruption de la communication. Mais Paulhan a identifié l’origine de cette interruption, qui tient encore une fois à la « foi », au « préjugé36 » de la Terreur : c’est qu’« il est imprudent de réduire tout langage à exprimer des pensées. Phèdre parle au contraire pour jouer un rôle, et dissimule son sentiment, etc.37 ».

31Et, en note de bas de page : « De vrai est-il tout différent de s’adresser à quelqu’un pour le distraire ou pour le renseigner – et de lui commander, de l’influencer, de l’agir en un mot. Ce que traduirait assez bien l’écart d’un parler transitif à un parler intransitif38. »

32C’est la réduction du langage à la fonction expressive qui est responsable des contradictions qui déchirent la Terreur. Les travaux, notamment ceux de Jakobson, sur les différentes fonctions du langage39 ne sont encore pas connus en France. Or la distinction que fait Paulhan entre un « parler transitif » et un « parler intransitif » annonce déjà ces réflexions. Mais Paulhan ne dispose pas encore des outils nécessaires pour poursuivre la question sur le plan linguistique40 ; c’est donc sur le plan littéraire que la discussion va devoir à nouveau se tenir, pour réexaminer à nouveaux frais la question des rapports entre Terreur et Rhétorique : « Les faits, disent Bergson et le Terroriste, sont là. Il se peut. Mais les faits opposés n’y sont pas moins. Retournons aux littérateurs41. »

La communauté des Lettres, ou la démocratie réalisée

33Le remède théorique mis à jour par Paulhan est une réflexion sur la fonction propre du langage, qui n’est pas, selon lui, une fonction d’expression – ou pas exclusivement –, mais une fonction de communication. En effet, il ne s’agit pas de chercher, à la manière des « terroristes », ce qui se dissimule derrière le langage, opération vouée à l’échec, mais d’accepter la nature médiatrice du langage, comme la seule façon pour celui qui s’en saisit de se rendre visible et d’atteindre son interlocuteur. L’enjeu, pour le langage, est de « composer de sa tare même et de son défaut le milieu le plus favorable au jeu de l’échange et de la réflexion42 ».

34Or Paulhan montre bien que cette nécessité se trouvait déjà au cœur même des revendications de la Terreur : en effet, l’impératif de différence et d’originalité n’a jamais effacé l’impératif de communication. Il faut donc bien, pour l’écrivain, « composer ». Au bout du compte, l’impératif « terroriste » peut être exprimé en d’autres termes : « Ce que veut la Terreur, ce n’est pas tant que l’écrivain soit inventeur, différent, unique – c’est qu’il s’exprime malgré sa différence43. »

35Mais la méthode « terroriste » aboutissait à une contradiction : elle demandait à l’écrivain ou à tout locuteur d’exprimer toute la complexité de l’individu en réduisant les moyens de l’expression à l’extrême, de sorte que celui qui parle se voyait « restreint à l’espace de sentiment et de pensée, où le langage n’a pas encore trop servi44 ».

36Le retournement est significatif : la restriction du champ du langage conduit à une restriction du champ de l’expérience, dont des pans entiers se voient bannis, car taxés de banalité. L’enjeu est donc de se réapproprier cette richesse perdue, en se réappropriant le langage. Or, si le lieu commun s’est finalement révélé être un lieu d’incompréhension, et si la langue est composée essentiellement de lieux communs, cette réappropriation passe par une réactualisation du sens qu’ils contiennent potentiellement. C’est en fixant une fois pour toutes le sens de ces lieux communs qu’ils redeviendront des outils utiles à la communication :

Les clichés pourront retrouver droit de cité dans les Lettres, du jour où ils seront enfin privés de leur ambiguïté, de leur confusion. Or il devrait y suffire, puisque la confusion vient d’un doute sur leur nature, de simplement convenir, une fois pour toutes, qu’on les tiendra pour clichés. En bref, il y suffit de faire communs les lieux communs45.

37Néanmoins, la question se pose de la méthode à adopter afin de parvenir à ce résultat. Il est clair que construire un dictionnaire des lieux communs, dans lequel leur sens serait définitivement consigné, n’est pas la solution, puisque c’est l’illusion sur le langage justement produite par la présentation des dictionnaires qui a favorisé les contradictions de la Terreur46. Paulhan, en fait, ne formule pas explicitement de méthode pour mener cette entreprise ; néanmoins, les exemples qu’il emploie en fournissent quelques indices. Lorsqu’il évoque une jeune fille ou un ouvrier qui se rendent compte qu’ils ont été abusés par de « grands mots », Paulhan insiste sur le décalage existant entre la situation au moment où les discours qu’ils ont entendus ont été efficaces sur eux, et le moment où a lieu la prise de conscience47. Au moment où le discours était proféré, les circonstances ont fait que les lieux communs ont semblé tout à fait transparents : personnalité de l’orateur – qu’il s’agisse de l’amant ou du tribun inspiré –, état d’esprit de l’auditeur, etc. Ainsi Paulhan semble-t-il retrouver des analyses présentes dès les débuts de la réflexion théorique sur la rhétorique, chez Aristote, puis chez Cicéron, et qui insistent notamment sur la nécessité pour l’orateur de se construire un ethos, une persona, c’est-à-dire une image de lui-même, qui pourra convaincre l’auditoire48. Or la construction de la persona, qui signifie originellement masque en latin, ne consiste pas pour l’orateur simplement à apparaître comme une personne digne de confiance, mais à imposer une certaine perception des choses, un certain système de valeurs, partagé avec son auditoire, dans lequel sa parole prendra sens et poids.

38La construction d’un tel artefact de langage correspond en fait à la reconnaissance du caractère médiateur des signes et du langage, et de la nécessité d’en passer par cette médiation, grâce à laquelle celui qui parle et celui qui écoute peuvent se comprendre. La convention qu’appelle Paulhan ne consiste donc pas à établir un catalogue des lieux communs, mais à instituer une situation de communication dans laquelle ils prennent sens. Il nous semble que c’est que veut dire Paulhan lorsqu’il écrit : « L’art que j’imagine avouerait naïvement que l’on parle, et l’on écrit, pour se faire entendre. Il ajouterait qu’il n’est point d’obstacle à cette communion plus gênant qu’un certain souci des mots49. »

39C’est à l’origine même de tout acte de communication que se situe la convention. De la sorte, la communication, c’est-à-dire la transmission de messages, entre les locuteurs et les auditeurs-lecteurs, est de nouveau assurée. La discussion se pratique désormais à l’aide d’un matériau commun et inépuisable, qui est la culture d’une communauté politique, seule capable d’assurer ce lien qui permet aux différents membres de cette communauté de se servir du langage. Cette conception ressortit en réalité aux origines de la réflexion sur la rhétorique, puisque en effet, « pour élaborer moyens de persuasion et arguments, nous sommes contraints d’en passer par les opinions communes50 ».

40Or cette contrainte initiale se mue en une plus grande liberté, en ce qu’elle offre un matériau presque inépuisable et plus efficace, puisque non équivoque, au locuteur51, renversant ainsi la situation de crise initiale.

41Mais à la différence des théoriciens antiques, Paulhan ne met pas au centre de la question de la persona, de la convention de langage, la personnalité effective et psychologique, même construite, de celui qui parle. Il a au contraire une conception pleinement textuelle de l’établissement de cette convention, qui lui permet d’élargir cette conception du milieu politique ou de la conversation quotidienne, au domaine des Lettres. En effet, Paulhan refuse de chercher la clef du sens derrière le langage ; de même, pour les Lettres, c’est l’acceptation de leur caractère conventionnel et littéraire qui permet à l’écrivain d’écrire, et au lecteur de lire. En acceptant la nature de cliché du lieu commun, ce n’est plus sa présence, mais le mode selon lequel il est utilisé que ce dernier juge, ce n’est plus l’auteur mais l’œuvre, alors que Paulhan reprochait à la critique « terroriste » que « l’on y juge moins l’œuvre que l’écrivain, moins l’écrivain que l’homme52 ».

42Contre cette attitude, Paulhan propose d’accentuer le caractère de convention littéraire de l’œuvre : « Mais il est un moyen de tourner l’embarras à notre avantage : c’est de rendre le théâtre un peu plus théâtral, le roman violemment romanesque, et la littérature en général plus littéraire53. »

43Il ne s’agit pas ici de considérations de style. Ce conseil équivaut plutôt à évacuer de la littérature la question de la vérité, de l’authenticité, qui ne font pas partie de la convention littéraire, du nouveau pacte ludique instauré entre lecteur et écrivain. Mais la convention qui fonde l’usage littéraire du langage n’est qu’une modalité parmi d’autres du langage, qu’a permis de révéler son utilisation dans la sphère politique.

44On peut mesurer ainsi l’infléchissement que Maurice Blanchot fait subir à la conception de Paulhan dans son compte rendu des Fleurs de Tarbes. En effet, alors que Blanchot fait de la lutte contre le langage commun l’essence même de la littérature, de l’impossibilité d’utiliser le langage pour exprimer ce qu’il ne saurait jamais traduire qu’imparfaitement, et de l’impossibilité de ne pas l’utiliser, la condition absurde qui fonde la possibilité de la littérature54, Paulhan au contraire, en refusant tout arrière-monde à la parole, et en mettant la convention au cœur même de son utilisation, veut instaurer un rapport heureux du locuteur à son langage, et rendre la communication possible : « C’est d’abord qu’il suffit au moine (et à l’homme muet) pour voir son accent, et sa honte, se dissiper, de parler plus volontiers : d’accepter son langage55. »

45Ainsi Paulhan rend-il à l’écrivain et au lecteur la jouissance sans limite de toutes les ressources du langage : l’écriture devient un processus combinatoire aux possibilités infinies, qui fait droit aussi bien aux ressources communes du langage qu’à la nouveauté transgressive. De sorte que tout individu, émetteur ou récepteur du langage, voit sa participation renouvelée à une communauté linguistique et culturelle que la Terreur tendait à disloquer. En effet, chaque texte, chaque discours, devient une des réalisations possibles d’un vaste système anonyme (Paulhan pourrait aussi dire « arbitraire »). Paulhan consacre ainsi l’égalité en droit, en dignité, de tous les locuteurs, qui ne pourront être jugés, classés, qu’en fonction de leurs œuvres, de leur faire littéraire, à partir d’un matériau commun, et non en fonction d’un système moral aristocratique, n’accordant ses lauriers qu’à une caste peu nombreuse, seule capable d’accéder à l’authenticité. Les Lettres, pour Paulhan, sont la démocratie enfin réalisée.

Conclusion

46La Terreur selon Paulhan se manifeste par la soumission de la littérature et du langage en général à des impératifs qui ne correspondent pas à leur nature propre : authenticité, originalité, différence… Ces impératifs, que le langage ne saurait satisfaire, mettent en danger son existence même, et celle de la communauté qu’il doit relier, affectant par la même occasion, à cause d’une solidarité qui se révèle être une homologie, le monde des Lettres. La critique de l’idéologie « terroriste » par Paulhan a donc pour enjeu la permanence même de cette communauté et de la culture qu’elle véhicule.

47Le problème touche le langage ; or la littérature, en tant qu’objet de langage, est donc particulièrement à même de mettre en évidence les contradictions à l’œuvre au sein de l’idéologie « terroriste ». Ainsi, si les Lettres ont permis de mettre en évidence une maladie qui est à la fois linguistique et politique, c’est à partir de la structuration du champ politique même qu’un régime de fonctionnement acceptable pourra être déterminé pour les Lettres. Anticipant certaines critiques modernes, Paulhan procède à la critique d’une idéologie qui, en déplaçant l’intérêt de la critique littéraire de l’œuvre à l’homme, fausse les rapports de l’homme à son langage. En définissant l’œuvre littéraire comme objet de langage conventionnel, issu de la combinaison d’éléments pris au sein d’un tissu culturel anonyme, et en définissant les conditions d’un échange authentique au sein du langage, Paulhan restitue l’homme à son langage, lui permet de l’habiter débarrassé de l’angoisse, et fonde une participation universelle de l’individu à la vie culturelle de la communauté. On peut affirmer que pour Paulhan, l’avenir des Lettres est subordonné à l’avènement d’un régime démocratique de la littérature, fondé sur une égale participation à un langage commun de tous les acteurs de cette communauté.

48Jean Paulhan redéfinit ainsi les conditions de la prise de parole, aussi bien politique que littéraire, dont la possibilité réside en l’acceptation du caractère conventionnel de toute parole, établissant ainsi un système signifiant non équivoque et permettant la communication. Il faut alors rappeler qu’en 1926, en France, la démocratie est critiquée et menacée dans ses institutions par la montée des courants antiparlementaristes ; l’entreprise de Paulhan peut donc être assimilée à une tentative de redéfinition théorique des conditions d’une communication politique véritable, et de repolitisation des masses, luttant ainsi contre une forme de confiscation de la parole publique, contre les mythes et les illusions qui sclérosent le débat politique, et contre un divorce entre ceux qu’il appelle les Politiques et les membres de la communauté.