Colloques en ligne

Bruno Curatolo, Université de Franche-Comté

Une idée du roman autour de l’immédiat après-guerre : l’année 1947

1Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques ont publié, du 30 octobre au 18 décembre 1947, une enquête intitulée : « Y a-t-il une crise du roman français ? » ; après un article introductif de Raymond Las Vergnas1, sur lequel nous reviendrons, on trouve, parmi les romanciers de la « jeune génération », interrogés par Jeanine Delpech :

  • David Rousset (1912-1997) : Les Jours de notre mort, Éditions du Pavois, 1947 (Renaudot 1946 pour L’Univers concentrationnaire, Minuit)

  • Roger Vailland (1907-1965) : Drôle de jeu (Interallié), Corrêa, 1945 (Goncourt 1957 pour La Loi, Gallimard)

  • Célia Bertin (1920-…) : La Parade des impies, Grasset, 1946 (Renaudot 1953 pour La dernière innocence, Corrêa)

  • Jean Malaquais (1908-1998) : Planète sans visa, Le Pré-aux-Clercs, 1947 (Renaudot 1939 pour Les Javanais, Denoël)

  • René Fallet (1927-1983) : Banlieue sud-est, Domat, 1947 (Prix du roman populiste 1950)

  • René Barjavel (1911-1985) : Ravage, Denoël, 1943

  • Morvan Lebesque (1911-1970) : Soldats sans espoir, Laffont, 1947

  • Francis Ambrière (1907-1998) : Les Grandes Vacances, Éd. de la Nouvelle France, 1946 (Goncourt au titre du prix reporté de 1940)

  • Julien Blanc (1908-1951) : Confusion des peines, Joyeux, fais ton fourbi, Le Pré-aux-Clercs, 1947

  • Georges Govy (1910- ?) : Sang russe, Les Jours maigres, Seuil, 1946/1947 (Renaudot 1955 pour Le Moissonneur d’épines, La Table Ronde)

  • Jean-Jacques Gautier (1908-1986) : Histoire d’un fait divers (Goncourt), Julliard, 1946

  • Gilbert Sigaux (1918-1982) : Les Grands intérêts,La Terre lointaine, Éditions du Bateau Ivre, 1946/1947 (Interallié 1949 pour Les Chiens enragés, Julliard)

  • Julien Gracq (1910-2007) : Au Château d’Argol, Un Beau Ténébreux, José Corti, 1945/1946 (Goncourt 1951 pour Le Rivage des Syrtes, José Corti)

  • Henri Calet (1904-1956) : Trente à Quarante, Minuit, 1947

  • Robert Morel (1922-1990) : Manière de vivre, Corrêa, 1947, Vous aurez, Julliard, 1947

  • Jacques Lemarchand (1908-1974) : Geneviève, Parenthèse, Gallimard, 1944

  • Dominique Rolin (1913-…) : Les Marais, Les Deux Sœurs, Denoël, 1942/1946 (Femina 1952 pour Le Souffle, Seuil)

  • Françoise d’Eaubonne (1920-2005) : Comme un vol de gerfauts (Prix des lecteurs), Julliard, 1947

  • Pierre Molaine (1906-2000) : Violences, Batailles pour mourir, Corrêa, 1944/1945 (Renaudot 1950 pour Les Orgues de l’enfer, Corrêa)

  • Jean Orieux (1907-1990) : Fontagre (Prix du Roman de l’Académie 1946), Éd. de la revue Fontaine, 1944

  • Paul Gadenne (1907-1956) : Siloé [1941], Le Vent noir, Julliard, 1947

2À ces romanciers « nouveaux », nés entre 1904 et 1927, succédaient, afin de donner leur opinion, des « aînés », venus au monde de 1896 à 19092 :

  • Marcelle Auclair3 (1899-1983): Changer d’étoile avec une préface de Valery Larbaud et un portrait de l’auteur, par Marie Laurencin, gravé sur bois par G. Aubert, Éditions de la Nouvelle Revue française, 1926 // La Dame en plus, Éditions de la Nouvelle France, 1946

  • Marcel Aymé (1902-1967) : Aller-retour, Gallimard, 1927 // Le Chemin des écoliers, Gallimard, 1946

  • Marc Blancpain (1909-2001) : Le Solitaire (Prix du Roman de l’Académie) Flammarion, 1945

  • Joseph Delteil (1894-1978) : Choléra [portrait de l’auteur en frontispice par Robert Delaunay], Éd. du Sagittaire, 1923 // Jésus II, Flammarion, 1947 (Femina 1925 pour Jeanne d’Arc, Grasset)

  • Yves Gandon (1899-1975) : L’Âge difficile. Julien ou l’évolution sentimentale, La Renaissance du livre, 1924 // Selon Hyacinthe, 1946 (Prix du Roman de l’Académie 1948 pour Ginèvre, suivi de Olympe et Amanda, Le Pré aux Dames, chronique romanesque de la sensibilité française, H. Lefèbvre, 1949-1952)

  • Joseph Peyré (1892-1968) : Les Complices, Éditions de France, 1928 // L’Escadron blanc [1943], Hachette, « La Bibliothèque verte », 1946 ; Un soldat chez les hommes, Grasset, 1946 (Goncourt 1935 pour Sang et lumières, Grasset)

  • Charles Plisnier (1896-1952) : Prière aux mains coupées, Les Écrivains réunis, 1930 // La Matriochka, Corrêa, 1945 ; Périple, Bruxelles, Éditions Labor, 1946 (Goncourt 1937 pour Faux passeports, Corrêa)

  • Paul Vialar (1898-1996) : Fatôme, Émile-Paul frères, 1931 // La Maison sous la mer, Denoël, 1946 (Femina 1939 pour La Rose de la mer, Denoël)

3 Certes, on le voit sans peine, l’histoire littéraire est forcément oublieuse : les noms de Célia Bertin, Georges Govy, Pierre Molaine, chez les cadets, ceux de Marc Blancpain, Yves Gandon, Joseph Peyré, chez les seniors, n’ont plus guère d’écho, aujourd’hui, ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’ils n’en auront pas demain. Mais, parmi les « interviewés » de cette enquête journalistique, il faut remarquer que Julien Blanc, Henri Calet, Jean Cayrol et Jean Malaquais ont eu droit, en outre, à la rubrique « Instantanés », disposée, chaque semaine, sur une colonne précédée par un portrait signé par Bernard Milleret (l’illustrateur de l’enquête citée) ; et que, dans les numéros dépouillés, des encarts publicitaires annoncent :

  • Prix Sainte-Beuve : Julien BLANC, Seule la vie…, I. Confusion des peines, II. Joyeux, fais ton fourbi…, Pré-aux-Clercs

  • Le grand favori non couronné du Prix des Critiques : Julien BLANC, Seule la vie…, I. Confusion des peines, II. Joyeux, fais ton fourbi…, Pré-aux-Clercs

  • Julien BLANC, I. Confusion des peines, II. Joyeux, fais ton fourbi, Éditions du Pré-aux-Clercs [formules de Maurice Nadeau (Combat), Maurice Delépine (Le Populaire), Jacques Brenner (Normandie), Jacques de Brisville (Gazette des Lettres)]

  • Paul GADENNE, Le Vent noir, Siloé (nouvelle édition), Julliard, « Sequana »

  • Jean MALAQUAIS, Planète sans visa, Pré-aux-Clercs, par l’auteur de Les Javanais, Prix Théophraste Renaudot 1939

  • Un livre de classe internationale : Jean MALAQUAIS, Planète sans visa, Pré-aux-Clercs [formules signées Robert Kemp, Maurice Nadeau, Jean Blanzat, Jean Cassou]

4Et qu’au cours de l’année 1947, on trouve dans la chronique de Robert Kemp, La Vie des Livres, plusieurs « doublons » par rapport à l’enquête ou aux encarts promotionnels : c’est le cas de Célia Bertin pour La Parade des impies, de Paul Gadenne pour Le Vent noir4, de Paul Vialar pour Le Petit jour5, au printemps, puis à l’automne, à l’occasion du Prix des Critiques, où se croisent à nouveau les favoris des Nouvelles littéraires :

Une péripétie de théâtre ! Les débats préliminaires n’avaient pas suffi à préparer un accord sur le « meilleur livre » que nous cherchions. Aussi bien les partisans de Joyeux, fais ton fourbi, de M. Julien Blanc, sentaient, contre la laideur du sujet, fort capable de faire s’insurger le public, une résistance invincible, ceux du Vent noir, de M. Paul Gadenne, voyaient, non sans surprise, les énigmes des personnages décourager, au lieu de les exciter, comme je m’y attendais, certains esprits en général amis du mystère et des ombres émouvantes. […] Comment sortir de l’impasse ? L’apparition de La Peste, trois jours avant le scrutin, fit éclater les barrières…

5Et qu’enfin, Jean Malaquais, contrairement à l’habitude, se vit consacrer une chronique entière pour Planète sans visa, dans l’ensemble très élogieuse, en dépit de quelques réserves sur les choix formels.

6Dans la perspective d’une périodisation significative du vingtième siècle littéraire6, reconnaissons que l’année 1947 est une date forte : c’est l’année de La Peste, certes, mais aussi celle d’Un Roi sans divertissement et, comme nous venons de le voir, du Vent noir, des deux titres-phares de Julien Blanc, de Planète sans visa ; c’est l’année où Queneau livre ses Exercices de style et où Sally Mara signe On est toujours trop bon avec les femmes ; c’est l’année où Boris Vian donne L’Écume des jours et celle qui voit le succès de J’irai cracher sur vos tombes ; celle, aussi, où Raymond Guérin préface Ainsi soit-il de Maurice Raphaël tout en publiant La Main passe et, surtout, La Confession de Diogène. Mais pourquoi un auteur « aussi en vue » que Guérin, selon l’avis de Georges Hyvernaud, est-il absent de la liste des romanciers établie par Les Nouvelles littéraires ? Deux réponses à cela : premièrement, l’auteur de Zobain (1936), de Quand vient la fin (1941), quasi prix Goncourt7, de L’Apprenti (1946) n’était plus un jeune espoir en 1947, pas plus qu’un aîné : il est amusant, à cet égard, de noter que Calet, d’un an plus âgé, et Gadenne, de deux ans, à peine, plus jeune que Guérin (né en 1905), font partie, eux, de la « jeune génération ». Deuxièmement, Guérin avait sa tribune de critique littéraire à l’hebdomadaire Juin et ne pouvait être tenu comme témoin « objectif » de la création romanesque de son époque. Il devait, au demeurant, en donner des preuves dans La Parisienne, la revue de Jacques Laurent, entre 1953 et 1954 8.

7Mais, au-delà de la distinction circonstancielle de tel ou tel auteur, au-delà de la gloire oubliée ou de la reconnaissance posthume, il s’agit de savoir ce que les écrivains, qui ont réellement façonné leur époque ont espéré de la littérature, force et faiblesse confondues, cette création romanesque dont ils ont été les artisans.

8 Si l’on revient à l’article introductif de Raymond Las Vergnas, du 30 octobre 1947, il n’est pas difficile de se rendre compte qu’il prend, à peu de choses près, l’exact contre-pied de ce que l’on peut considérer comme la « modernité » romanesque en cette fin des années quarante : il condamne, en vrac, le « reportage », « l’essai philosophique », « le diagnostic médical », « le pamphlet », « la confession morbide », il dénie au romancier « la licence, non seulement de tout penser, mais de tout dire » ‑ ce qui fait écho au prière d’insérer de L’Apprenti (septembre 1946) dans lequel l’auteur réclamait, au contraire, « le droit de tout dire et de tout faire entendre ‑, il refuse « l’emploi insistant de la vulgarité », considérant que « la vraie prose est la langue parlée, transmuée par un souci esthétique », souci dont l’oubli conduit la langue française à devenir « une pâte informe, un bourbier où l’entendement s’égare, une symphonie caricaturale, entrecoupée de borborygmes et de précipitations de chasses d’eau ». Constat qui dénigre, on le devine, une bonne part de la production littéraire qui s’inscrit dans le courant noir, côté français, certes, mais également côté américain, les traductions se multipliant jusqu’à susciter une véritable polémique entre les admirateurs et les adversaires d’un Faulkner ou d’un Chandler 9.

9 Et ce sont de telles divergences que l’on retrouve dans les propos des romanciers interrogés par Jeanine Delpech :

  • les uns estiment que les romanciers américains sont les « plus authentiques témoins » de leur temps (Rousset) quand les autres trouvent qu’ils « ont un quart de siècle de retard » sur les Français (Malaquais) ;

  • tantôt, on reproche au romancier français trop d’« intellectualisme », à cause de sa « formation souvent universitaire » (Ambrière), tantôt, on pense qu’il ne fait pas assez réfléchir le lecteur (Barjavel, Lebesque) ;

  • ici on souligne le désir d’évasion, d’exotisme, qui explique le succès des traductions (Malaquais, Blanc, Gracq), là on mesure la puissance d’inspiration des écrivains étrangers, bien au-dessus des préoccupations du « romancier moderne [français] [qui] continue à mesurer au millimètre son nombril et les parties qui lui sont adjacentes. » (F. d’Eaubonne)

  • pour les uns, le cinéma est un modèle au plan de la technique romanesque (Vailland, Fallet) ou un concurrent direct du roman (Lebesque), pour les autres, il est le symbole du divertissement, de la facilité (Molaine, Gadenne, Vialar).

10 Reste la question primordiale, qui est celle du genre même du roman, dont on se demande, en ces années d’après-guerre, quelle est sa légitimité, et que les réponses des écrivains sollicités déclinent, essentiellement, sur deux gammes :

111. le rapport à la philosophie et à la morale

12Yves Gandon considère qu’« un roman, c’est d’abord une histoire : […] non de la philosophie, de la poésie » pendant que Roger Vailland pense qu’« un roman, dans son écriture, présuppose une conception philosophique de l’homme et du monde, consciente ou non. ».

13Robert Morel, très inspiré, déclare de son côté :

Quand j’écris un roman, ce n’est pas pour écrire un roman. Je remplis l’office de témoin. De la terre et du ciel. Mon patron ? le baptiste. […] Et je signale en conclusion comme maîtres du roman contemporain, du roman qui est nécessaire à ce temps et qui à la longue forcera les consciences, je signale donc comme maîtres du roman les auteurs avec Dieu de l’Ancien et du Nouveau Testament. Oui, c’est encore là Dieu le maître. Et c’est pour bien coller à cet esprit et affirmer cette position que j’ai nommé Paraboles les écrits de Manière de vivre, qui pourraient faire un roman, tout en revendiquant pour Vous aurez, mon dernier livre, qui est un avertissement, le titre de roman. Si j’ai tort, c’est aux autres à répondre, et à vous qui posez des questions.

14Et Jacques Lemarchand a l’air de se moquer en affirmant :

Ce qui caractérise le romancier français d’aujourd’hui, c’est qu’il ne se considère pas comme un amuseur, mais comme un prêtre, comme un mage. L’écrivain est obsédé par la mission qu’il doit avoir : souci bien inconnu d’un Balzac. Des débutants de dix-huit ans s’imaginent que le monde attend leur message. Mais les gens n’ont pas envie, quand le soir ils ouvrent un livre pour se délasser, de retrouver un éditorial politique plus ou moins romancé.

152. celle du rapport à l’expérience vécue

16David Rousset dit qu’il a appelé « roman » Les Jours de notre mort puisqu’il « s’agit d’une recréation et non point d’un essai ou d’un document d’archives historiques10 » alors que Joseph Delteil, lisant ce même livre, se demande si c’est bien un roman et déplore qu’il n’y ait plus de romancier, « depuis Proust ». Julien Blanc estime qu’il lui « paraît impossible qu’on n’arrive pas à préférer le document humain à la fiction » tandis que Gilbert Sigaux veut voir dans le roman « du reportage “surhaussé”», Malraux en étant le meilleur représentant. Mais laissons à Henri Calet la meilleure part :

Je voudrais rapporter ce qui m’arrive : c’est assez singulier et ce sera ma réponse à votre enquête. Voici plusieurs années déjà que je me propose de faire un roman, un vrai, très mouvementé, très coloré, très chaud (l’action se passerait en Amérique du Sud)… Mais je suis comme empêché de me mettre à l’écrire. Ou plutôt c’est tout autre chose qui me coule de la plume. Et pourtant, j’aimerais bien monter un décor, bâtir une intrigue, manœuvrer des personnages. Ce serait agréable, me semble-t-il. Moins embêtant, plus facile, moins douloureux aussi que de se charcuter à vif, comme à plaisir, ainsi que je le fais toujours. C’est à croire que je ne puisse rien dire encore qui ne soit sorti de mon corps, que je n’aie contrôlé, éprouvé, goûté auparavant. À croire également que je ne dispose plus de grand temps pour consigner ce que j’ai vu, vécu, entendu, et que je continue à voir, à entendre. Et cela ne cesse de s’accumuler, je n’en aurai jamais entièrement fini avec moi-même, c’est ce que je redoute. Il me faudrait une période de vacances, une période tranquille…

Ainsi je ne sais quelle sorte d’étiquette coller au livre que je suis en train de faire11. Un livre qui m’échappe à mesure qu’il grandit. Qu’est-ce que c’est ? Des souvenirs, des impressions, des réflexions d’un homme qui se prend en filature à quarante ans de distance.

Non, encore une fois, ce ne sera pas un roman.

Mais un livre fourre-tout, en somme.

17 Avec un sens si aigu de la formule qu’il en est devenu légendaire, Henri Calet définit ainsi les aspects essentiels du roman pour la période qui, commencée dans les années trente, atteint son apogée au mitan du siècle, alors que pointent ceux qu’on appelle pas encore les « nouveaux romanciers » : celui du ton et des thèmes qui varient entre mélancolie et humour, noirceur et légèreté ; celui de la coloration existentielle des récits, à une époque où les romanciers hésitent entre la fiction, le témoignage et la leçon, comme on le voit chez Jean Grenier ou Marcel Arland ; celui de la porosité des frontières entre le récit de voyage, la fable, l’article de presse, la nouvelle, autant de genres indécis qui, isolés ou cousus ensemble, peuvent relever de la « chronique poétique » mais qui peuvent également s’apparenter au « journalisme littéraire », ainsi que l’ont pratiqué Léon-Paul Fargue ou André Beucler, Colette ou Léon Werth, Alexandre Vialatte ou Antoine Blondin, Stephen Hecquet ou Marc Bernard, Alexandre Arnoux ou Robert Giraud et, bien sûr, Henri Calet dans ses pérégrinations helvétiques ou péninsulaires12.

18Ce que nous enseigne la lecture des Nouvelles littéraires, au fil des semaines ou à l’occasion d’un dossier comme celui que nous avons parcouru, c’est une extrême prudence dans nos évaluations en matière d’histoire littéraire : d’une part, on se rend compte que l’établissement des gloires peut être tout aussi éphémère que durable et que la reconnaissance d’une œuvre peut prendre beaucoup de temps ou ne venir jamais ; de l’autre, on voit bien que le débat esthétique – ici la plasticité du roman – se décline sur le thème de l’éternel retour et que, plus de soixante ans après, nous n’avons pas beaucoup déplacé nos postes d’observation. Cela ne veut pas dire que les choses ne bougent pas mais qu’elles le font moins en droite ligne que selon le principe de la reprise13, façon, pour nous, de rendre hommage à un romancier qui, de tout nouveau et scandaleux qu’il fut à l’aube des années cinquante, s’est vu canoniser par son inscription au programme de l’agrégation 2011. Forcément moins sélectifs que les revues, les journaux littéraires nous invitent à chercher une juste formule entre « le miroir qui revient14 » et « autant en emporte le vent15 ».