Colloques en ligne

Chiara Fenoglio

Entre jeu et dialogue philosophique : les Petites Œuvres morales (Operette morali) de Giacomo Leopardi

Between game and philosophical dialogue: the Operette morali of Giacomo Leopardi

1Bien avant l'ère du Nintendo, du gaming, des jeux de rôle qui ont radicalement changé notre perception du divertissement, et pas seulement pour les enfants, les jeux et les loisirs étaient pour tout le monde des jalons dans la littérature (Ficara 2018). Un véritable tournant s’opère avec le xviiie siècle, siècle qui, plus que tout autre, fait passer le jeu d'un rituel de la vie publique à une activité intellectuelle et philosophique capable d'interroger le sens même de la vie et du monde: du jeu d'échecs à ceux de cartes ou de dés, de la loterie au « birbiss », ancêtre de la roulette, Casanova nous livre dans ses Mémoires un véritable catalogue de jeux — le jeux de hasard, mais aussi le jeu de la séduction, en passant par les jeux de la conversation littéraire (Nadin1997; Fido 1998; Alfonzetti-Turchi 2011).

2Au même moment, Denis Diderot s'interroge lui aussi sur ce « mauvais jeu qu'on appelle la vie » (Diderot 1970, vol. V, pp. 19-35). Élevant le jeu au rang de véritable question philosophique, il s'appuie sur le principe que dans l'impossibilité de reconstruire un dessein général (de l'œuvre et de la vie), il vaut mieux déléguer les choix à la fatalité du jeu, qui est avant tout un doute, une incongruité fondamentale pour laquelle le monde, pourrait-on dire, ne coïncide pas avec lui-même. Le principe est bien résumé dans Jacques le fataliste :

JACQUES: N’est-il pas évidemment démontré que nous agissons la plupart du temps sans vouloir? Là, mettez la main sur la conscience: de tout ce que vous avez dit ou fait depuis une demi-heure, en avez-vous rien voulu? N’avez-vous pas été ma marionnette, et n’auriez-vous pas continué d’être mon polichinelle pendant un mois, si je me l’étais proposé?
LE MAITRE: Quoi! C’était un jeu?
JACQUES: Un jeu. [...]
LE MAITRE: Si pourtant je m’étais blessé?
JACQUES: Il était écrit là-haut et dans ma prévoyance que cela n’arriverait pas. (Diderot [1773] 1973, p. 330)

3Le jeu n'est donc pas le passe-temps immoral qu'il deviendra dans les pages des moralistes, mais réalise encore selon Diderot l'utopie d'une sociabilité parfaite. Comme celui-ci l'écrit encore dans une belle lettre à Sophie Volland le 10 septembre 1760, le jeu d'échecs est l’une des activités qui peuvent rendre nos journées belles et bien remplies, sous le signe de l'étude, de l'amour, de la conversation et de la joyeuse compagnie :

Nous dînerons. Après dîner, la partie d’échecs; après la partie d’échecs, la promenade; après la promenade, la retraite; après la retraite, la conversation; après la conversation, le souper; après le souper, encore un peu de conversation; et c’est ainsi que finira une journée innocente et douce où l’on se sera amusé et occupé; où l’on aura pensé; où l’on se sera instruit, estimé et aimé, et où l’on se le sera dit. (Diderot 1997, p. 214)

4Quelques années plus tard, avec Giuseppe Parini, tout change et le jeu prend le visage ambigu de la tromperie ; le trictrac doit en effet son nom au bruit qui assourdit les maris et permet aux amants de passer des heures dans l'intimité. Parini décrit savamment, mais avec un regard désobligeant1, la technique du jeu sur « la table divisée en deux » « où les incrustations d'ébène et d'ivoire / règnent » (« la bipartita tavola » « ove ebano, ed avorio intarsiati / regnan sul piano », Parini [1765] 1996, pp. 84-85).

5Dans ce panorama, la position d'un auteur comme Giacomo Leopardi pourrait paraître tout à fait périphérique, voire complètement étrangère ; pourtant, dès les Ricordi d'infanzia (Souvenirs d'enfance), les jeux entre les frères, des échecs aux batailles de jardin, sont l'occasion de faire émerger le désir de gloire du jeune Giacomo, ainsi qu'une réflexion sur la douleur :

giardino presso alla casa del guardiano, io era malinconichiss. e mi posi a una finestra che metteva sulla piazzetta ec. Due giovanotti sulla gradinata della chiesa abbandonata ec. erbosa ec. sedevano scherzando sotto al lanternone ec. Si sballottavano ec. comparisce la prima lucciola ch’io vedessi in quell’anno ec. uno dei due s’alzagli va addosso ec. io domandava fra me misericordia alla poverella l’esortava ad alzarsi ec. ma la colpì e gittò a terra e tornò all’altro ec. […] intanto la lucciola era risorta ec. Avrei voluto ec. ma quegli se n’accorse tornò = porca buzzarona = un’altra botta la fa cadere già debole com’era e degli col piede ne fa una striscia lucida fra la polvere ec. e poi ec. finchè la cancella. Veniva un terzo giovanotto da una stradella in faccia alla chiesa prendendo a calci i sassi e borbottando ec. l’uccisore gli corre a dosso e ridendolo caccia a terra e poi lo porta ec. s’accresce il giuoco […] (Leopardi 1988, pp. 1196-1197).2

6Ce type de raisonnement, qui se développe à partir de métaphores ludiques, n'est d'ailleurs pas rare dans les pages de Leopardi, s'il est vrai que même dans la tardive Palinodie au Marchese Gino Capponi, le cycle éternel de la création et de la destruction est envisagé à travers les amusements d'une nature enfantine vouée à construire, à démolir et à rebâtir, avec un « soin assidu » un palais, un temple ou une tour « de cailloux et de brindilles », « parce que les mêmes brindilles et les mêmes pierres sont utiles à des nouveaux travaux ».

7L'activité ludique est donc souvent perçue par Leopardi comme un pari incompréhensible dans lequel une force dominante et irrationnelle, à l’image des jeunes gens assis sur les marches de l'église dans les Ricordi ou du petit garçon dans la Palinodie, transforme un divertissement en un abus de pouvoir :

Quale un fanciullo, con assidua cura,
Di fogliolini e di fuscelli, in forma
O di tempio o di torre o di palazzo,
Un edificio innalza; e come prima
Fornito il mira, ad atterrarlo è volto,
Perchè gli stessi a lui fuscelli e fogli
Per novo lavorio son di mestieri;
Così natura ogni opra sua, quantunque
D’alto artificio a contemplar, non prima
Vede perfetta, ch’a disfarla imprende,
Le parti sciolte dispensando altrove.
E indarno a preservar se stesso ed altro
Dal gioco reo, la cui ragion gli è chiusa
Eternamente, il mortal seme accorre
Mille virtudi oprando in mille guise
Con dotta man: che, d’ogni sforzo in onta,
La natura crudel, fanciullo invitto,
Il suo capriccio adempie, e senza posa
Distruggendo e formando si trastulla
. (Leopardi [1835] 1987, pp. 117-118, vv. 154-172)3

8L'une des premières réflexions livrées au Zibaldone, dans laquelle la force dominante coïncide avec sa mère Adélaïde, est également emblématique à cet égard :

Diceva una volta mia madre a Pietrino che piangeva per una cannuccia gittatagli per la finestra da Luigi: non piangere, non piangere che a ogni modo ce l'avrei gittata io. E quegli si consolava perchè anche in altro caso l'avrebbe perduta. Osservazioni intorno a questo effetto comunissimo negli uomini, e a quell'altro suo affine, cioè che noi ci consoliamo e ci diamo pace quando ci persuadiamo che quel bene non era in nostra balìa d'ottenerlo, nè quel male di schivarlo, e però cerchiamo di persuadercene, e non potendo, siamo disperati, quantunque il male in tutti i modi si rimanga lo stesso. v. p. 188. v. A questo proposito il Manuale di Epitteto. (Leopardi [1898] 1998, f. 65)4

9La référence à Épictète dans ce contexte n'est pas sans valeur et permet déjà d'observer comment, chez Leopardi, le jeu perd presque complètement sa valeur d'activité sociale, de métaphore de la méditation philosophique, pour coïncider à nouveau — comme c'était le plus souvent le cas pour les auteurs classiques — avec le jeu de la vie, image sommaire de ce theatrum mundi ou « spectacle ludique » que les dieux ont créé pour leur divertissement et auquel le héros magnanime a tout à fait le droit d'échapper, comme dans le cas du Bruto minore :

Forse i travagli nostri, e forse il cielo
I casi acerbi e gl’infelici affetti
Giocondo agli ozi suoi spettacol pose?
(Leopardi [1835] 1987, p. 30, vv. 49-51)5

10De ce mauvais jeu, l'homme doit en quelque sorte se protéger, soit en l'esquivant comme Brutus par un geste de moquerie et de rejet, soit en se persuadant qu'il n'y a pas d'alternative, et donc en trouvant une forme de consolation comme le jeune Pietrino, ou comme Épictète.

11Les instruments de défense coïncident dans une certaine mesure avec les stratégies de Démocrite (rire) et d'Héraclite (pleurs, compassion) : au rire du philosophe à qui la raison apprend à dire adieu aux passions du monde, répondent les pleurs d'Héraclite, le philosophe du devenir qui ne peut détourner les yeux de la fugacité des événements et qui, dans le temps qui submerge tout, perçoit le caractère tragique d'un monde où le sens passe au non-sens, le grand à la bassesse et à la déploration. Leopardi oscille entre ces deux attitudes paradigmatiques qui dérivent d'une prémisse commune : l'idée que la vie, comme le jeu, en grande partie ne répond pas à un plan rationnel ou au moins compréhensible d'événements, mais qu’elle est le résultat du hasard, de l'imprévisibilité, et c'est précisément cette combinaison aléatoire de faits, qui produit des effets néfastes. Dans le Zibaldone, cette conviction s'exprime précisément en mettant en corrélation le jeu et la vie :

La negligenza e l'irriflessione spessissimo ha l'apparenza e produce gli effetti della malvagità e brutalità. E merita di esser considerata come una delle principali e più frequenti cagioni della tristizia degli uomini e delle azioni. Passeggiando con un amico assai filosofo e sensibile, vedemmo un giovanastro che con un grosso bastone, passando sbadamente e come per giuoco, menò un buon colpo a un povero cane che se ne stava pe' fatti suoi senza infastidir nessuno. E parve segno all'amico di pessimo carattere in quel giovane. A me parve segno di brutale irriflessione. Questa molte volte c'induce a far cose dannosissime o penosissime altrui, senza che ce ne accorgiamo (parlo anche della vita più ordinaria e giornaliera, come di un padrone che per trascuraggine lasci penare il suo servitore alla pioggia ec.) e avvedutici, ce ne duole; molte altre volte, come nel caso detto di sopra, sappiamo bene quello che facciamo, ma non ci curiamo di considerarlo, e lo facciamo così alla buona, e considerandolo bene non lo faremmo. Così la trascuranza prende tutto l'aspetto, e produce lo stessissimo effetto della malvagità e crudeltà. (Leopardi [1898] 1998, f. 238-239, 11 septembre 1820)6

12Ce qui est « étranger à la volonté » de l'individu finit souvent par être irréfléchi, illogique, incompréhensible, comme dans un jeu où la probabilité de défaite croît proportionnellement au hasard des choix. C'est exactement ce qui se passe dans le verset précité de la Palinodie où le jeu de l'enfant est d'autant plus terrible qu'il est irréfléchi, qu'il n'est guidé par aucune volonté spécifique et que, pour cette raison même, il devient « jeu coupable », « caprice » et « amusement » dont la raison échappe à l'observateur rationnel.

13À côté de cette perspective, il faut en noter une autre, qui émerge avec force surtout dans les Operette morali, à savoir qu’il n'est pas exclu que ce soit précisément la forme dialoguée du livre qui nourrisse l'idée d'une confrontation des opinions, d'un jeu philosophique dans lequel les différentes voix se font porteuses de théories différentes.

14Le cas le plus emblématique est certainement celui du Dialogo di Ercole e Atlante (écrit en1824), qui doit être lu en parallèle avec l'une des Canzoni les moins commentées de Leopardi, A un giocatore nel pallone (composée en novembre 1821), un texte qui anticipe certains de ses thèmes cruciaux, y compris la réplique offerte par le jeu de balle, qui devient une occasion et une métaphore pour réfléchir sur le vide du monde moderne par rapport à l'héroïsme et à la plénitude de l'ancien monde. Inspirée par les exploits sportifs d'un jeune homme qui lui est contemporain, la chanson se concentre sur la comparaison entre les vainqueurs de la bataille de Marathon, qui ont transformé leurs vertus athlétiques en bravoure patriotique et en héroïsme, et les joueurs de balle modernes pour qui l'héroïsme cède la place au fleuve boueux du temps où il s'écoule, selon Luigi Blasucci, avec l'ennui, la paresse et le manque d'action. Pour les anciens, les exercices utiles à la vigueur du corps :

non erano solamente utili alla guerra e ad eccitare l’amor della gloria […] ma contribuivano, anzi erano necessari a mantenere il vigor dell’animo, il coraggio, le illusioni, l’entusiasmo che non saranno mai in un corpo debole. (Ivi, f. 115, 2 juin 1820)7

15Pour les modernes, « gens abjects » dont les « esprits pervers » sont remplis d'un « funèbre [...] oubli », il ne reste que le souvenir des exploits passés : le jeune sportif ne peut plus mettre sa vigueur physique au service de son pays, puisque nul ne peut aujourd'hui se vanter d'être le fils d'un tel pays : il ne reste que les « heures putrides et lentes », seule possibilité de gestes risqués et apparemment incompréhensibles (comme le geste du sportif). Les exploits des mortels sont en fait réduits à un simple jeu, et c'est de cette prise de conscience qu'il faut repartir si l'on veut nourrir l'espoir d'une renaissance :

Vano dirai quel che disserra e scote
Della virtù nativa
Le riposte faville? e che del fioco
Spirto vital negli egri petti avviva
Il caduco fervor? Le meste rote
Da poi che Febo instiga, altro che gioco
Son l’opre de’ mortali? ed è men van
Della menzogna il vero? A noi di lieti
Inganni e di felici ombre soccorse
Natura stessa: e là dove l’insano
Costume ai forti errori esca non porse,
Negli ozi oscuri e nudi
Mutò la gente i gloriosi studi.
(Leopardi [1831], 1987, p. 27, vv. 27-39)8

16Le même thème du jeu, lié à la décadence, à la corruption et à la ruine des habitudes humaines, est proposé à nouveau par Leopardi dans Dialogo di Ercole e Atlante. Le jeu est même projeté sur un fond mythologique et cosmique : la balle qui devrait constituer l'objet de la gloire est en fait la terre elle-même, allégée et réduite à une « balle » ou à un « pain » ou à une « gaufre ». Cette boule terrestre a soudain perdu deux qualités fondamentales, la lourdeur, c'est-à-dire la consistance, et la vitalité :

Ercole. In fe’ d’Ercole, se io non avessi provato, io non poteva mai credere. Ma che è quest’altra novità che vi scuopro? L’altra volta che io la portai, mi batteva forte sul dosso, come fa il cuore de gli animali; e metteva un certo rombo continuo, che pareva un vespaio. Ma ora quanto al battere, si rassomiglia a un oriuolo che abbia rotta la molla; e quanto al ronzare, io non vi odo un zitto. (Leopardi [1835] 1988, p. 20)9

17La perte de vitalité de la terre, l'épuisement de la nature, réduite à un mécanisme cassé, incapable de mouvement, sont la mesure et la preuve du manque de vitalité des hommes eux-mêmes, qui, comme l’affirme Hercule un peu plus loin, « dans mon temps se battaient corps à corps avec des lions et maintenant avec des puces » : ici aussi revient l'image d'un jeu, celui des puces, en soi ridicule, et d'autant plus absurde et extravagant qu'il est comparé au combat avec les bêtes féroces auquel Hercule fait allusion dans son premier effort. Le jeu apparaît donc comme le fruit de la dégénérescence et de l'appauvrissement, de la perte de l'ancienne virtus, de la corruption des mœurs et de l'incapacité à faire de ses actions des fins grandes, héroïques, intrépides.

18Le monde semble donc dormir :

Ercole. Io piuttosto credo che dorma, e che questo sonno sia della qualità di quello di Epimenide, che durò un mezzo secolo e più; [o come si dice di Ermotimo, che l’anima gli usciva del corpo ogni volta che voleva, e stava fuori molti anni, andando a diporto per diversi paesi, e poi tornava, finché gli amici per finire questa canzona, abbruciarono il corpo; e così lo spirito ritornato per entrare, trovò che la casa gli era disfatta, e che se voleva alloggiare al coperto, gliene conveniva pigliare un’altra a pigione, o andare all’osteria.] Ma per fare che il mondo non dorma in eterno, e che qualche amico o benefattore, pensando che egli sia morto, non gli dia fuoco, io voglio che noi proviamo qualche modo di risvegliarlo. (Ivi, p. 21)10

19Comment redonner vie à la terre ? Avec, encore une fois, un jeu. À ce moment du texte, la valeur attribuée au jeu change de signe, on pourrait dire selon le principe rousseauiste du remède dans le mal : si la vie humaine a été réduite à un mécanisme ludique, si elle a perdu sa charge héroïque, alors il ne reste plus qu'à utiliser des instruments tout aussi ludiques pour tenter de la faire revivre, pour « faire le bien dans le monde », dit encore Hercule :

Ercole. […] Il meglio sarà ch’io posi la clava e tu il pastrano, e facciamo insieme alla palla con questa sferuzza […].
Atlante. A te la palla. Vedi che ella zoppica, perché l’è guasta la figura.
Ercole. Via dàlle un po’ più sodo, ché le tue non arrivano.
Atlante. Qui la botta non vale, perché ci tira garbino al solito, e la palla piglia vento, perch’è leggera.
Ercole. Cotesta è sua pecca vecchia, di andare a caccia del vento.
Atlante. In verità non saria mal fatto che ne la gonfiassimo, che veggo che ella non balza d’in sul pugno più che un popone.
Ercole. Cotesto è difetto nuovo, che anticamente ella balzava e saltava come un capriolo.
Atlante. Corri presto in là; presto ti dico; guarda per Dio, ch’ella cade. (Ivi, pp. 22-23)11

20La terre-balle ne rebondit pas et donc le jeu échoue, en démontrant une fois de plus non seulement l'inertie éthico-civile des hommes, mais aussi une condition de mort désormais cosmique, de sommeil universel qui anticipe les réflexions similaires du Dialogue de Frédéric Ruysch et de ses momies.

21On pourrait voir dans cette image une forme du carnevalesque bachtinien selon lequel la racine ménippéenne de ce type de satire est philosophique ; il s'agit de créer des situations exceptionnelles afin de provoquer et d'expérimenter l'idée-mot philosophique, la vérité. Les situations exceptionnelles mises en scène dans les opérettes ne sont pas simplement fantaisistes, symboles d'une réalité absurde et mystérieuse, historique ou fantastique, pathétique ou moqueuse ; au contraire, elles ont exactement ce but, celui d'éprouver la vérité des choses, pour laquelle fantaisie et philosophie ne font qu'un, et trouvent leur synthèse parfaite précisément dans le jeu, dans sa force vivifiante capable de faire émerger (à travers la carnavalisation) un nouveau rapport à la réalité. C'est pourquoi, comme l'explique Bachtin à propos de la Ménippée, les personnages du mythe sont contemporains, ils agissent et parlent dans la zone de contact familier: Hercule et Atlas, tout en conservant quelque chose de leurs traits traditionnels, rejettent en fait le rapport avec la tradition, ils sont présentés comme deux joueurs de balle modernes et, à travers cette transformation, ils mélangent le sublime et le bas, donnant naissance à ce style pluriel qui est l'une des caractéristiques des opérettes et du style carnavalesque étudiés par Bachtin.