Les confessions écrites, de la Renaissance à nos jours. Présentation
1La confession ne rentre pas dans la liste des genres majeurs de l’écriture de soi que sont par exemple les mémoires, le journal ou l’autobiographie ; elle constitue plutôt une modalité particulière de la parole sur soi, dans laquelle le sujet s’engage, se révèle, se risque. On rencontre ainsi des « moments » de confession, de franchise ou de dévoilement, dans les genres où le « moi » s’épanche le plus habituellement, comme dans les lettres ou les écrits personnels, mais aussi dans la poésie, dans le roman, ou encore au théâtre. Ces moments de franchise ouvrent des espaces de parole ambigus, qui participent à la fois de l’intime et du public, et qui se prêtent aux révélations théâtrales et aux « coming out » les plus fracassants, ou bien à des confidences plus discrètes et à des aveux mezzo voce.
2Le mot « confession », en moyen français, pouvait désigner simplement un « aveu », sans référence au sacrement chrétien. On rencontre ainsi le terme dans le corpus juridique, où il désigne les aveux du criminel, consignés dans le procès-verbal de l’instruction, et parfois publiés dans des plaquettes imprimées qui font connaître l’affaire au grand public, en marge de la procédure. La confession du condamné est obtenue lors d’un interrogatoire serré ; après lui avoir été extorquée, elle lui échappe. Comme l’a montré Michel Foucault (2012), l’aveu s’inscrit ainsi dans une relation de pouvoir qui s’exerce sur celui qui avoue, qu’il prenne place dans un cadre religieux (comme lors de la confession à l’oreille du prêtre) ou dans un cadre judiciaire (comme lors de l’interrogatoire mené par des enquêteurs ou des tortionnaires).
3Ces deux dimensions de la confession sont étroitement intriquées. Sous l’Ancien Régime, la justice (même civile) se rendait au nom du roi mais aussi au nom de Dieu, et c’est pourquoi le protocole judiciaire emprunte volontiers au rituel religieux (Maus de Rolley, 2023, p. 95-106). L’aveu du criminel tend à prendre les formes de la confession religieuse, et celle-ci à l’inverse revêt des formes judiciaires, car le confesseur mène lui aussi un interrogatoire en bonne et due forme et prononce une sentence assortie d’une peine à accomplir par le pénitent. Après la Révolution, la laïcisation du droit et des institutions judiciaires sera très progressive, et elle détachera peu à peu les formes juridiques des rites chrétiens de la pénitence.
4Les origines religieuses de la confession sont anciennes et multiformes. La confession chrétienne est d’abord l’acte d’avouer ses fautes à un prêtre, mais elle peut aussi être une profession de foi en Dieu, suivant l’autre acception du mot, illustrée notamment par les écrits des protestants lors des guerres de Religion. La confession peut mener à la quête d’un pardon, adressée à celui que le sujet estime avoir offensé ; elle peut aussi devenir un plaidoyer en faveur d’une foi religieuse persécutée ; elle peut être l’expression d’une conscience repentante, ou au contraire la protestation d’une conscience résistante et conquérante. Selon la finalité de la confession, une logique rhétorique spécifique se met en place, qui place le sujet en position d’accusé, ou au contraire en position d’accusateur d’un pouvoir politique répressif.
5La confession auriculaire des fautes est devenue officiellement un sacrement catholique au quatrième concile du Latran (en 1215), qui la rendit obligatoire au moins une fois l’an. Mais à cette date, la confession comme pratique pénitentielle au sens large avait déjà une longue histoire. Elle est bien attestée dans le christianisme des origines, sous deux formes en particulier, sur lesquelles Michel Foucault a attiré l’attention : l’exomologesis, ou déclaration orale et publique par laquelle le pécheur adopte un statut de pénitent, est « le rituel par lequel un individu se reconnaissait comme pécheur et comme pénitent » (Foucault, 1994, p. 1625) ; et l’exagoreusis qui implique la dimension de l’écriture – ce qui nous intéresse particulièrement ici, même si elle n’est destinée qu’au seul directeur de conscience – est « une verbalisation analytique et continue des pensées, que le sujet pratique dans le cadre d’un rapport d’obéissance absolue à un maître » (ibid., p. 1631). Ces deux formes de confession – l’une orale et l’autre écrite – ont en commun de divulguer à autrui (au confesseur ou à la communauté) les aveux de celui qui s’y livre : ainsi la confession est dès ses origines chrétiennes une forme de publication de soi, régie par un impératif de vérité et de franchise. La parrêsia est définie par Foucault comme l’obligation pour le pénitent de dire toute la vérité : elle est « la nécessité pour le disciple d’ouvrir entièrement son cœur à son directeur, pour lui montrer le mouvement de ses pensées » (Foucault, 2016, p. 24).
6Même lorsqu’elle s’émancipe de ses origines chrétiennes, la confession littéraire plonge ses racines dans les rituels religieux les plus anciens. À certains égards, cet engagement de sincérité scrupuleuse et entière se retrouvera plus tard dans la relation « laïcisée » du diariste ou du mémorialiste avec ses lecteurs, ou dans le « pacte autobiographique » (Lejeune, [1975] 1996). Il va de soi que ce rapport intransigeant à la « vérité », lorsqu'il investit la littérature, perd une part de sa naïveté, et qu’il ne saurait faire l’économie ni des ruses du langage ni des ressources de la rhétorique (Noille, 2017).
7L’origine religieuse de la confession ne doit pas oblitérer le fait qu’elle constitue un point de clivage et de débat entre les différentes traditions chrétiennes. Au xvie siècle en effet, la confession revient doublement au centre des débats : d’une part, les protestants se fédèrent autour de « confessions » ou professions de foi collectives, qui marquent leur rupture avec les dogmes et les rites de l’Église traditionnelle (Melanchthon, 1986 et 1989). D’autre part, ils remettent en question le statut de la « confession » des fautes (Luther, 1999 ; Calvin, 2008). Sans lui reconnaître le statut de sacrement, le luthéranisme s’accommode pourtant de cette pratique traditionnelle, qui permet au pécheur de trouver conseil et réconfort auprès d’une autorité de la communauté. Mais avec le calvinisme, la rupture se radicalise. La confession auriculaire est violemment critiquée, tout comme le « ministère des clés » que les catholiques reconnaissaient au prêtre, c’est-à-dire le pouvoir de libérer dès ici-bas le pécheur de sa faute et de sa culpabilité. Chez les réformés, la confession publique, générale et collective, au début du culte, remplace alors la confession détaillée et secrète des péchés à l’oreille du prêtre catholique. La confession des fautes rejoint ainsi la confession de foi, car le fidèle qui s’avoue publiquement pécheur rappelle par son repentir même la validité des commandements divins, et il proclame ainsi son espérance dans la miséricorde divine promise aux Élus. On ne se proclame publiquement pécheur que pour proclamer sa confiance dans le pardon de Dieu.
8La fracture confessionnelle a-t-elle des répercussions sur les pratiques des écrivains ? Observe-t-on des différences entre la pratique de la confession écrite, chez les protestants ou chez les catholiques ? La culture religieuse de chaque écrivain influence en tout cas son rapport à la faute, à la culpabilité, à l’aveu, à la sincérité, au remords ou à l’absence de repentir. Parmi bien d’autres modèles génériques, Montaigne définit parfois ses Essais comme une « confession » (Tarrête, 2024).
9Les liens entre la pratique religieuse et la confession littéraire sont plus évidents à la Renaissance et à l’âge classique. Il nous a toutefois semblé important de prolonger cette enquête jusqu’à l’époque contemporaine, dans le champ des écritures de soi, mais aussi dans la poésie et dans la fiction, pour mieux comprendre l’influence et la capacité d’adaptation d’un modèle d’écriture ancien, initié par ce texte phare que sont les Confessions de saint Augustin, au ive siècle après J. C. (Augustin, 1998 ; Thouvenin, 2018), remis en vigueur par Jean-Jacques Rousseau (Rousseau, 1959 ; Perrin, 2018), et qui se diffracte ensuite dans les genres modernes de l’écriture de soi, journal, autobiographie et mémoires. Un tel empan chronologique offre la possibilité d’étudier les transformations du modèle religieux, les jeux d’intertextualité et de réécriture qui s’opèrent, les raisons des choix effectués, autrement dit, la question des intentions de l’écriture. Des canons de la tradition spirituelle aux modalités d’expression actuelles, l’examen de la place de la confession dans la littérature conduit à s’interroger sur son rôle dans l’histoire des idées, des sociétés et des sensibilités.
10Que devient la confession littéraire dans le grand mouvement de sécularisation qui marque la modernité ? Garde-t-elle encore quelque chose de ses origines religieuses ? Entre-t-elle encore en écho avec les procédures judiciaires ? L’évolution des mentalités et de la société, l’affaiblissement du pouvoir de l’Église, finalement marginalisée par la République laïque, influe sur la forme de la confession des fautes, caractérisée à l’origine par le secret. Le dialogue avec Dieu par l’intermédiaire du prêtre, par essence confidentiel, laisse place aujourd’hui à des confessions de toutes sortes, exprimées d’une manière décomplexée, suivant une scénographie nouvelle dans laquelle le public fait office de Dieu tout-puissant. On se souvient de la confession de Bill Clinton, en direct à la télévision américaine, dans un pays où la religion exerce une force importante. En France, les mémoires et autres autobiographies de personnalités publiques font la part belle aux révélations susceptibles de frapper l’attention. Les nouveaux médias, par exemple les blogs, offrent des réceptacles privilégiés aux confidences parfois sulfureuses de voix connues ou inconnues (Lejeune, 2000). Au fil des siècles, la confession est devenue une scène de genre dans la littérature romanesque et théâtrale, ainsi qu’au cinéma. On pense par exemple au roman de Bernanos, Sous le soleil de Satan, où le confessionnal devient le lieu de la mort de l’abbé Donissan. Au xixe siècle, la confession trouve dans le journal intime un lieu d’expression privilégié, dans le tête-à-tête d’une écriture qui confronte le diariste à sa propre conscience (Pachet, 2001 ; Lejeune, 2016 ; Tabet, 2021). Elle est encore au cœur de la poésie lyrique.
11Si tout aveu n’est pas confession, toute confession suppose l’aveu à un tiers. Il s’agit de révéler ce qui relève de l’intime ou d’une souffrance intérieure, dont l’expression suscitera une réaction que le confessé redoute à l’avance. L’aveu des fautes, ou simplement l’aveu de sa différence quand celle-ci contredit la norme morale et sociale, suppose un effort sur soi intrinsèque à l’expression du for privé quand celle-ci enfreint la pudeur, a fortiori quand elle déroge à la bienséance personnelle et/ou collective. C’est s’exposer au risque d’une réprobation, voire d’une condamnation, ou en tout cas au jugement de l’autre. Il en va de même des professions de foi protestantes au xvie siècle, dans une France où le catholicisme est une religion majoritaire.
12Des constantes demeurent, qui rappellent le schéma chrétien de la confession : l’expression des fautes, ou la reconnaissance d’un comportement jugé condamnable, opposent un être singulier à une personne ou à un groupe, placés en position de supériorité morale. La confession met en place une relation hiérarchique, décidée par l’ordre social, et parfois, selon les circonstances, par le sujet lui-même. Qu’elle soit aveu des fautes ou profession de foi, la confession est liée à la transgression d’une norme. La conscience d’une faute engendre par conséquent l’expression de la honte, de la culpabilité, du remords. Au contraire, quand elle est profession de foi, la confession témoigne d’une conviction intérieure réfléchie, qui se formule souvent selon les modalités de la revendication. La honte cède alors sa place au sentiment du devoir accompli, à l’assurance et à la confiance, voire à la fierté. Aveu ou profession, la confession écrite instaure une réflexivité qui participe à la prise de conscience par le sujet de sa personnalité singulière, et à l’autonomisation progressive de l’individu (Cousson et Wydler, 2025, p. 8-19). La confession suppose également l’action, à savoir la réforme du comportement ou, au contraire, l’affirmation d’une singularité condamnée.
13La confession écrite, en tant que devoir religieux, est rarement conservée dans la littérature conventuelle. Au monastère de Port-Royal, l’écriture des fautes est déconseillée si la honte éprouvée à écrire nuit au devoir de sincérité ou, pire encore dans ce monastère augustinien, si l’examen de soi préalable à la verbalisation de l’intériorité entraîne une complaisance satisfaisante de l’amour-propre (Cousson, 2012, p. 55-60). Les lettres de la mère Agnès Arnauld aux novices qui redoutent l’exercice de l’introspection, conformes aux règles sur la communication des Constitutions de Port-Royal, sont sur ce point riches d’enseignement. Il s’agit de dire son intériorité, sans trop réfléchir ni trop s’examiner, sans juger soi-même de la gravité de la faute. La mère Agnès limite la confession aux pensées conscientes. Elle suggère, de façon intuitive et confuse, l’idée d’un inconscient, contre lequel elle met en garde :
Je ne demande que ce qui vous est connu de votre intérieur, et non ce qui est impénétrable et dans lequel, quand il ne le serait pas, vous ne devriez pas vouloir pénétrer. Il y a l’extérieur de l’intérieur qui se discerne, parce qu’il ne s’y passe rien que de volontaire, c’est-à-dire dans quoi l’on ne puisse agir comme l’on fait avec les membres du corps. Je veux dire que comme l’on aperçoit bien quand on remue le pied ou la main, de même on remarque les mouvements des passions et des puissances de l’âme. (Arnauld, 1858, t. 2, p. 470)
14Cette formulation lourde d’implications témoigne à nouveau de la crainte suscitée par le dedans, espace inconnu et inaccessible, et qui doit rester tel. La mère Agnès émet quelques réserves concernant les bienfaits de la confession. Aux dangers de la connaissance de soi s’ajoutent ceux du langage :
L’intégrité de la confession est nécessaire contre la réserve et retenue ; mais à d’aucunes âmes elle est préjudiciable, s’étendant non seulement à produire ce que l’on sait et souvent distinctement, mais encore à donner être à ce qui n’est point, et tirer au jour ce qui doit demeurer enseveli dans le néant (t. 2, p. 477-478).
15La mère pointe le pouvoir de création qu’induit l’acte de langage qu’est la confession. Le recours au langage, soit l’action de nommer et de décrire l’intériorité, risque de renforcer les sentiments, autrement dit de réveiller le vieil homme que les règles du couvent appellent à maîtriser : « À être exprimés noir sur blanc, les pensées, les actes qui semblent inavouables, prennent une sorte de réalité redoutable […]. L’arrivée au niveau du conscient et de l’écriture est donc une sorte de naissance » (Didier, 1991, p. 19 et p. 126).
16Dans les récits de vie et les correspondances de l’âge classique, l’expression des fautes donne lieu à une réflexivité révélatrice de la relation du sujet à lui-même et à l’écriture. L’interdiction de s’épancher, qui vaut au xviie siècle dans le monde comme au couvent, au nom de la politesse dans le premier cas et de l’humilité chrétienne dans le second, explique l’autosurveillance observée dans l’écriture, sensible dans les corrections et autres censures. Le malaise que suscite l’aveu des fautes s’accompagne de la honte, et parfois de la volonté de faire excuser le comportement qui est l’objet de remords. Les Réflexions sur la miséricorde par une dame pénitente (1680), titre donné à l’écrit de piété de Madame de La Vallière, première maîtresse officielle de Louis XIV, rédigées au lendemain d’une maladie dont elle a failli mourir et trois ans avant son entrée définitive au Carmel, sont révélatrices de ces ambivalences de l’écriture de la culpabilité : la confession est ici à la fois un témoignage de la repentance du sujet, un instrument de contrition, d’expiation et de pénitence ; elle est aussi le lieu de formation d’une image de soi qui rachète la figure de pécheresse que l’humilité impose. Si l’aveu des fautes participe au rachat de la pénitente, il procède aussi à l’héroïsation de l’énonciatrice, qui s’offre à être le héraut de Dieu lors de son retour à la Cour.
17Ces propos sur des textes précis valent aussi pour les aveux des fictions et des non-fictions, ces aveux imaginaires qui sont au cœur de l’ouvrage de Nicolas Aude (2022)1. La honte du regard public est parfois à l’origine de la honte intérieure plus que la conscience d’un péché dont le sujet se juge plus ou moins coupable. L’aveu ultime de Julie dans La Nouvelle Héloïse est paradoxalement un aveu libérateur : il exprime aux yeux de son entourage un amour adultère devenu trop difficile à maîtriser, dont l’héroïne elle-même a cherché à méconnaître l’existence, s’enfermant dans une illusion que la perspective de la mort estompe. On retrouve là cette nécessité de la lucidité impartie à la confession, une capacité à distinguer et à mesurer l’écart commis par rapport à la norme. Or paradoxalement, en tant qu’acte de langage qui violente l’intériorité et qui, à tout le moins, suppose l’effort, la confession incite le sujet à composer avec sa propre réalité intérieure, à cacher ce qu’il ne saurait voir – et encore moins donner à voir. La rhétorique de l’apologie, qui caractérise les textes où la confession est profession de foi, s’ajoute à celle de l’humilité qui prévaut quand elle est aveu des fautes, au profit d’un mélange des types de discours qui reflète la complexité des sentiments.
18Le présent recueil d’études s’organise de manière non chronologique afin de mettre en évidence la modernité de la confession, et de s’interroger sur les raisons de sa force de résurgence et de sa permanence. Il s’agit d’observer les variantes et les constantes de la confession littéraire, les virtualités d’un modèle codifié, les innovations formelles et rhétoriques qu’il subit.
19Le volume s’ouvre sur des études qui portent sur des confessions modernes, inscrites dans la lignée d’un modèle de discours dont l’influence n’est pas toujours consciente chez nos contemporains. Il laisse place ensuite à d’autres cas, plus anciens. L’étude des modalités discursives et des finalités de la confession, des transformations langagières du modèle premier, du cadre où elle se déroule (du confessionnal à la correspondance et au journal) constitue le trait d’union des différentes contributions. Il s’agit dans tous les cas de s’intéresser aux enjeux d’une pratique qui excède la simple expression d’une conscience douloureuse. La confession touche à l’identité du sujet, que celle-ci soit assumée, rejetée ou en cours d’affirmation. Quand elle œuvre à montrer la responsabilité de l’autre dans la faute commise ou reprochée, la confession relève de stratégies de critique sociale et politique. Une autre constante apparaît, que les textes qui suivent permettront d’éclairer : la confession, si contrainte et douloureuse soit-elle, est liée à l’affranchissement, y compris quand celui-ci vise l’anéantissement de soi en Dieu comme c’est le cas dans les écrits religieux. L’aveu des fautes introduit une fracture entre le passé et le présent, porteuse d’une identité nouvelle. Il aboutit ainsi parfois à la revendication d’une liberté d’être et de penser en contradiction avec la norme.
20Les études ici réunies parcourent les genres littéraires et les postulations pragmatiques. Qu’elle soit tournée vers autrui (Jeannelle, Gefen, Calvisi) ou vers soi (Tabet, Corrado, Gourdon), les pratiques contemporaines de la confession portent les tensions et les contradictions héritées des siècles précédents. L’article de Jean-Louis Jeannelle montre toute l’ambiguïté du coming out dans la littérature gay, où la parole se déploie entre honte et fierté, confession intime et aveu ritualisé, acte libératoire et expression de multiples conditionnements. Alexandre Gefen évoque, en analysant le site postsecret.com qui reproduit les cartes anonymes de Germantown, le pouvoir réparateur de l’aveu, avant de tracer un panorama de l’art contemporain de l’échec associé à une culture de la résilience – culture que remet en question une littérature résistant à la récupération positive des peines. À partir de journaux de jeunes écrivains, Emmanuelle Calvisi étudie les pratiques confessionnelles juvéniles du xixe siècle au xxe siècle, fondées sur l’autosurveillance. Elle interroge la réalisation littéraire de ces confessions qui prennent la forme de juvenilia qui, loin des aveux standardisés attendus, s’émancipent du modèle confessionnel pour affirmer leur singularité. Travaillant également sur l’écriture diariste, Emmanuelle Tabet étudie le paradoxe des journaux intimes des xixe et xxe siècles, qui recueillent une confession destinée à nul autre qu’à soi-même : pour ces fautes ensevelies dans le secret, que devient la perspective du pardon et du rachat ? L’exclusion du lecteur est-elle bien réelle ? Le diariste n’espère-t-il pas toujours être lu, même lorsqu’il crypte ses aveux ou lorsqu’il voue son journal à la destruction ? Jean-Christophe Corrado lit la « Confession générale » de Julien Green avec le Journal en regard et montre que le soupçon d’indulgence et d’affirmation glorieuse de sa propre humilité est consubstantiel à l’écriture de la confession – la confession de fautes bénignes pouvant du reste servir à en cacher d’autres plus graves. Des journaux au roman, la postulation confessionnelle n’en finit pas de travailler l’écriture en profondeur : les romans de Beckett (Molloy, Malone meurt, L’Innommable) se présentent comme des monologues où une voix solitaire se confie et cherche à se dire, défiant l’impuissance congénitale du langage : Guillaume Gourdon étudie la persistance ironique du motif de la confession et de la pénitence dans cette œuvre qui avoue sans fin son propre échec.
21Quand on se tourne vers la première modernité, le constat qui s’impose est qu’elle est marquée par la prégnance du modèle religieux, que l’on traque l’écriture confessionnelle dans la poésie (Letterier-Gagliano, Bury), dans la correspondance (La Charité) ou dans les récits de vie (Sribnai, Closson) : mais ce modèle est lui-même l’objet d’interrogations et d’interprétations multiples et souvent divergentes. Les poètes catholiques des guerres de Religion, abordés par Anne-Gaëlle Leterrier-Gagliano, se révèlent plus enclins à la proclamation de leur foi qu’à l’aveu de leurs fautes ou de leurs doutes. Si la revendication de la confession comme sacrement fait partie des marqueurs d’écriture qui permettent alors de signaler un auteur catholique (avec le culte des saints ou la dévotion eucharistique), les œuvres de ces poètes militants font paradoxalement peu de place à la représentation du rituel de la confession, si ce n’est pour évoquer de manière satirique des exemples édifiants de Réformés qui se repentent de leur erreur à l’heure de leur fin. Véritables « entretiens » avec soi-même, les poèmes de Brébeuf quant à eux établissent un lien entre la méditation et la prière qui place le moi au centre du propos, comme s’attache à le montrer Emmanuel Bury : « l’examen de conscience, écrit-il, s’enrichit d’une véritable réussite formelle ». Cet exemple confirme l’importance de la perspective religieuse adoptée : l’examen de conscience confère à la poésie un lyrisme qui fait de Brébeuf un Lamartine avant l’heure. Du côté de l’écriture épistolière, Claude La Charité s’attache à placer la correspondance entre Marguerite de Navarre et Guillaume Briçonnet sous le signe de la consolation et de la guérison spirituelle, dans la lignée du traité d’Érasme sur la confession (Exomologesis, 1524), lequel critiquait l’approche traditionnelle des manuels de confesseurs, axés sur un inventaire formaliste et exhaustif des péchés plutôt que sur la recherche de la miséricorde divine. Pour les récits de vie enfin, Judith Sribnai analyse le rôle de l’écriture de la confession dans le récit autobiographique de l’ursuline Jeanne des Anges, qui revient sur sa propre possession. Son étude dévoile la place que tient la confession dans l’écriture de soi, et révèle les deux trajectoires possibles de l’expérience mystique de la possession : la diffraction ou la disparition de soi. Son récit de soi constitue un objet équivoque d’un point de vue énonciatif et pragmatique, mais aussi générique et historique. Marianne Closson nous présente également une confession un peu particulière, celle de Madeleine Bavent, accusée de sorcellerie, qui fut publiée en 1652 en marge de son procès. Extorqués et manipulés par les enquêteurs, ces aveux sont pourtant aussi un plaidoyer en faveur de l’accusée, qui proteste avoir été emmenée au sabbat contre son gré. Ils laissent entendre une histoire personnelle et inavouée, celle d’abus sexuels perpétrés sur elle par son confesseur.
22La seconde modernité (xviiie et xixe siècles) puise autant aux schémas religieux qu’aux sources judiciaires en mettant l’écriture confessionnelle à la fois au service de l’aveu et de la justification, en particulier chez les mémorialistes (Kuperty-Tsur, Orwat, Gominet-Brun, Hersant) et les épistoliers (Sifferlen). Nadine Kuperty-Tsur étudie comment, dans ses écrits autobiographiques, Charlotte Arbaleste, épouse de Philippe Du Plessis-Mornay, témoigne de sa foi protestante et propose sa vie et celle de son mari comme un exemple édifiant offert à ses enfants et à toute sa communauté. Véritable profession de foi à la première personne, sa Confession est paradoxalement moins personnelle que ses Mémoires ou son Testament, où s’affirme un moi militant et engagé au service de la cause réformée. Florence Orwat met au jour la portée apologétique de la confession dans les Mémoires d’Henri de Campion. L’« espèce de confession générale » à laquelle il se livre révèle la finalité personnelle du récit de soi, au-delà de l’intention manifeste d’instruire ses enfants à partir de son expérience de la disgrâce : l’autoportrait que le mémorialiste dresse de lui-même vise à la réhabilitation de soi. En adoptant une perspective intermédiale, Julien Gominet-Brun s’intéresse à la place de la musique dans le Confiteor de l’infidèle voyageur (1680) de Georges Martin. Chez ce musicien itinérant, la confession augustinienne prend la forme d’un récit de voyage dans lequel la quête de l’harmonie accompagne la pénitence et concourt à la louange du Créateur. Marc Hersant quant à lui s’intéresse aux « traces » de confession dans les Mémoires de Saint-Simon. La prise de distance que requiert l’exercice de la confession, qui voit le je narrant juger le je narré, est ici absente. Si l’écriture révèle la permanence de « scrupules chrétiens », elle confirme aussi la complaisance que le mémorialiste entretient avec la confession, sensible par exemple à l’humour dont il fait preuve dans ces moments de relecture de son passé : « La confession que Saint-Simon ne se décide jamais à faire, et qui serait pourtant la seule qui vaille, c’est que ses Mémoires ne sont décidément pas l’œuvre d’un chrétien digne de ce nom ». Enfin, Gwennaëlle Sifferlen explore la relation complexe entre Victor Hugo et Juliette Drouet, fondée sur un pacte amoureux aux fortes dimensions spirituelles et pénitentielles, en vertu duquel Juliette accepte un rôle de recluse dévouée. À travers un journal épistolaire de plus de 22 000 lettres, elle consigne chaque jour ses pensées et actions dans une logique de confession et de rédemption, faisant de cette correspondance à la fois contrainte et libératrice un chemin d’émancipation personnelle et de réappropriation de sa propre dignité.
23Il arrive enfin que l’écriture confessionnelle ne prenne ni la forme de l’aveu ni celle de la justification, mais se fait proclamation et parfois révélation : c’est ce qu’explore au fil des siècles un dernier ensemble de contributions (Tarrête, Houdard, Francès, Guermès, Aude). En partant des critiques que Rousseau adresse à Montaigne, ce « faux sincère », Alexandre Tarrête oppose deux genres distincts de l’écriture de soi : l’essai, dans lequel le scripteur reconnaît ses défauts et ses limites pour les assumer plus que pour s’en repentir, et la confession, dans laquelle l’écrivant avoue ses fautes et prétend se racheter par la honte et l’humiliation consentie. Examinant le sens des « Confessions » du libertin Jean-Jacques Bouchard, court récit des infamies commises dans sa jeunesse par le héros (Orestès), Sophie Houdard démonte la fonction de l’intitulé générique choisi au xixe siècle : racheter un texte au contenu moralement scandaleux, une finalité qui ne répond pas au projet originel de l’auteur. Elle retrace l’histoire du texte, sa circulation clandestine dans le milieu libertin du xviie siècle et son but premier : partager les connaissances d’une vie sexuelle sans morale et « sans autre empêchement que celui des corps ». Le modèle d’écriture n’est pas celui de la confession chrétienne, mais celui du récit de vie libertin. On retrouve ainsi un sens oublié du terme de « confessions », qui désigne en 1881 un récit autobiographique, « mais aussi de faux mémoires pornographiques comme il s’en est tant publié à la même époque ». Cyril Francès quant à lui porte son choix sur Casanova, qui fait au contraire un large usage du modèle de la confession dans ses écrits autobiographiques. Il interroge les paradoxes de l’Histoire de ma vie qui voit le je user du terme de « confession » sans pour autant confier un sentiment quelconque de repentir ou de remords. La confession est ici tournée en dérision, asservie au projet d’auteur du mémorialiste et à sa morale bien particulière, au profit d’une nouvelle esthétique de l’aveu : « Casanova ne sait pas davantage qui il est avant et après le récit de ses « égarements ». L’intériorité souffrante demeure pourtant chez lui comme « une ligne de fuite ». S’appuyant sur deux récits de confession, extraits l’un de la Rome souterraine (1833), l’autre de la nouvelle « Une conversion », publiée dans Les Amours d’Italie (1859), Sophie Guermès s’intéresse aux stratégies narratives mises en place par Charles Didier : la fiction offre au romancier un moyen d’interroger la religion afin de trouver des réponses aux questions qu’elle soulève. Les deux confessions étudiées, motivées l’une et l’autre par la foi, font apparaître leur visée ultime, la célébration du « génie » du catholicisme. Enfin, à partir du Dostoïevski d’André Gide (1923), l’article de Nicolas Aude interroge le droit au « tout dire », consubstantiel à la définition moderne de la littérature, mais aussi les frontières entre confession littéraire et aveu, que la polyphonie narrative dostoïevskienne rend d’autant plus complexes.

