Colloques en ligne

Tanguy Habrand

Un cas limite d’édition sauvage : le Catalogue Samuel de Paul Nougé et René Magritte

A borderline case of wild publishing: The Samuel Catalog by Paul Nougé and René Magritte

1Il y a dix ans, un dossier dirigé par Denis Saint-Amand dans la revue Mémoires du Livre/Studies in Book Culture a marqué une avancée majeure dans l’appréhension de la sphère des littératures sauvages, concept forgé par Jacques Dubois (1978). Les littératures sauvages avaient surtout été abordées de loin jusqu’alors, sur un mode énumératif, listes aussi désordonnées que l’objet qu’elles étaient censées décrire. Espèces notables de cette faune indomptée : poèmes du dimanche, romans approximatifs, lettres, journaux intimes, graffitis, tracts, notices, petites annonces. Quant à leurs similitudes, elles résidaient dans le fait d’être situées à la lisière de l’institution littéraire et éditoriale, conséquence, principalement, d’un mode d’élaboration simpliste, d’une puissante expressivité (intimiste ou largement oratoire), d’un surgissement. Ces littératures sauvages étaient en quelque sorte l’antithèse de la littérature institutionnalisée et fondamentalement livresque, le tumulte face au calme, le chaos face à l’ordre.

2Publié en 2016, le dossier mentionné plus haut a été l’occasion pour moi d’élaborer un modèle dynamique d’« édition hors édition » fondé sur un certain nombre d’objets et de travaux qui me semblaient avoir partie liée aux littératures sauvages de Jacques Dubois sans s’y confondre totalement1. Plutôt que d’organiser la sphère des littératures sauvages, je m’étais concentré sur les pratiques d’édition — déplacement important, tant l’implication éditoriale de l’auteur, qu’elle soit technique, financière ou encore commerciale, est une tendance forte, mais non exclusive, de l’édition hors édition — qui ont des traits communs avec elles et qui paraissent, surtout, entrer en résonance ou en rivalité les unes avec les autres. Ce modèle était qualifié de « dynamique » dans la mesure où il ambitionnait de porter l’accent sur les tensions, mais aussi sur la possible évolution des auteurs (et des œuvres) d’une sphère à l’autre, par exemple de la sphère de l’édition parallèle à celle de l’édition la plus normée et institutionnalisée.

3La présente contribution se propose de confronter ce modèle à un objet, rattaché au surréalisme, qui m’est apparu au carrefour de deux champs de recherche : rapports entre édition et publicité d’une part, archives littéraires et éditoriales en Belgique francophone d’autre part. Cet objet, le Catalogue Samuel, coréalisé en 1927 par Paul Nougé et René Magritte, est une curiosité en soi. Bien qu’ayant la forme d’un livre, il ne s’agit pas d’un « livre » au sens établi et véhiculé par l’institution éditoriale. Techniquement, il s’agit en effet d’un catalogue publicitaire et commercial, au sens le plus classique du terme, dont la finalité première est de déclencher l’achat d’un manteau de fourrure. Ce document aurait pu, et peut-être dû, relever de la sphère publicitaire à titre de brochure soignée et luxueuse. Pourtant, à consulter les bibliographies de Nougé et de Magritte, l’histoire officielle du surréalisme belge et les travaux portant sur ce catalogue, la brochure promotionnelle fait aujourd’hui partie intégrante des hauts faits du groupe surréaliste bruxellois, à la fois comme jalon et objet culte.

4Le Catalogue Samuel ressemble à un livre, tout en témoignant des activités menées « hors du livre » par les surréalistes. La question est de savoir ce qu’a été et ce qu’est devenu ce catalogue, question à laquelle cet article n’apportera pas de réponse tranchée ni définitive. Au vu de ce que l’on sait actuellement de ce document, mais aussi de son caractère peut-être à jamais instable, il semble plus raisonnable et stimulant, à vrai dire, de formuler des hypothèses à son sujet. Ces scénarios alternatifs quant à la nature artistique du Catalogue Samuel poursuivent un double objectif : servir de toile de fond, d’une part, à des problématiques communes à d’autres objets surréalistes qui résistent aux tentatives de classement ; éviter le piège, d’autre part, des interprétations dogmatiques qui entourent le phénomène surréaliste. Le surréalisme, on le sait, est une machine à produire du sens et de l’exception, alimentée ensuite par ses historiographes, témoins, continuateurs et collectionneurs. Le document produit par Paul Nougé et René Magritte dont il va être question ici a eu un impact quasi nul au moment de sa parution, ce qui en fait un objet propice aux mythologies les plus diverses.

Le Catalogue Samuel : données factuelles

5Bien qu’il existe assez peu d’archives relatives au Catalogue Samuel et à la maison pour laquelle il a été réalisé, les documents qui ont été rendus accessibles et conservés jusqu’à nous permettent de poser un certain nombre d’éléments stables quant aux circonstances de son apparition et de ses réapparitions ultérieures. Certaines correspondances et les travaux de commentateurs apportent des indices sur ce que ce catalogue a représenté pour ses auteurs après coup, dès la réception des exemplaires. On manque en revanche d’informations sur les étapes préliminaires du projet, qui auraient permis de renseigner sur des intentions le concernant.

Éléments de contexte

6Vraisemblablement un travail de commande, dont on ne connaît pas les modalités financières, la réalisation qui nous occupe entre dans l’histoire du surréalisme par l’intermédiaire du jeune Magritte, tour à tour, à la charnière des années 1910 et 1920, affichiste publicitaire, créateur de papiers peints (usine Peters-Lacroix, Haren), concepteur d’annonces pour différentes marques, en particulier la maison « Couture Norine » et, dès 1926, la galerie bruxelloise Le Centaure (Roque, 1983, p. 152-164). Comme bon nombre de professionnels de l’image, Magritte oscille à ses débuts entre travaux de subsistance et considérations sur l’art ; les deux sphères (travaux utilitaires vs expérimentations esthétiques) étant perçues par lui comme antagonistes. Dans une lettre écrite à Paul Nougé quelques années après la réalisation du Catalogue Samuel, il rend compte de ce tiraillement entre des attentes publicitaires et artistiques :

J’ai exécuté l’affiche avec les mains, sur un fond noir ; les lettres étaient blanches. Seulement, il faut absolument des choses médiocres pour le public. Chez Sunlight, on a refusé ce projet, la raison est différente de celle qu’on aurait pu attendre ; cette affiche fait trop d’effet et serait bonne pour une marque qui se lance. Cette maison ne veut que des réclames fort discrètes. Pour le Bon Marché, on me demande des modifications au premier projet : il faut ombre de chameau, femme voilée, etc. Tout cela est peu encourageant. Décidément, c’est dans des occasions fort rares que l’on peut espérer faire passer quelque idée remarquable. (Magritte, s. d., ML 4579/16)

7C’est sur le versant le plus fonctionnel de ses activités que Magritte a pour client la « Maison Ch. Muller, S. Samuel et Cie » (30 boulevard Bischoffsheim, à Bruxelles), une enseigne spécialisée dans les manteaux de fourrure qui le sollicite pour la conception de son catalogue annuel. Le choix de Magritte comme prestataire n’est pas tout à fait le fruit du hasard : il s’inscrit dans un réseau animé par le couple Paul-Gustave van Hecke et Norine Deschrijver, fondateurs de la maison Norine. Ce réseau s’étend vers la littérature et l’art, van Hecke, inspiré par un Paul Poiret et un Jacques Doucet, étant à la fois galeriste (Sélection, L’Époque, sans compter ses liens étroits avec la galerie Le Centaure), directeur de revue (celles de ses galeries, mais aussi Signaux de France et de Belgique, Variétés), mécène et collectionneur. À ce titre, il est un promoteur de la modernité artistique, expressionnisme flamand et surréalisme en tête, qu’il implique à des degrés divers dans la conduite de ses affaires.

8On ne dispose guère aujourd’hui d’archives qui permettraient de documenter les conditions de la commande passée à Magritte, ni même les circonstances exactes de la conception du catalogue. Les Archives et Musée de la Littérature (AML) disposent d’un lot de photocopies des brouillons de Nougé qui attestent certes que le rédacteur a travaillé sur trois états successifs du texte, mais qui ne comportent en soi aucune information sur ses intentions à l’égard de ce projet. Ce que l’on sait, en revanche, c’est l’impatience du chef de Magritte et de Nougé à découvrir le résultat de leur travail, et que des exemplaires sont rapidement montrés autour d’eux, y compris à des surréalistes français. Les lettres de Magritte à Nougé font en effet par deux fois mention du catalogue. La première au sujet des délais d’impression et de l’anxiété que cela engendre : « L’affaire Samuel m’inquiète un peu, depuis le début de ce mois qui était la date extrême de l’édition des catalogues je ne sais qu’en penser, je suis sans nouvelles » (Magritte, s. d., ML 4579/1). La seconde au sujet de la qualité de l’impression (« Ils sont bien, mais l’imprimeur ne les pas laissés sécher convenablement ») et de l’avis d’André Breton et de Louis Aragon (« Breton que j’ai rencontré, ainsi qu’Aragon l’ont trouvé bien, Breton vous l’a écrit d’ailleurs m’a-t-il dit et Aragon me prie de vous le dire », Magritte, s. d., ML 4579/2). On ne dispose malheureusement pas de la lettre d’André Breton à Paul Nougé.

Éléments de contenu

9Bien que l’on s’attarde généralement sur la collaboration entre Magritte et Nougé, une première brochure de Magritte est dédiée à la saison 1926-1927. Le document crédite Magritte pour les dessins et pour les textes, mais la tradition orale et écrite du surréalisme attribue la rédaction des textes à Camille Goemans. Malgré cela, ce premier catalogue n’a pas fait l’objet d’une promotion ontologique ultérieure et se révèle d’ailleurs peu analysé. Quand il l’est, c’est pris dans un raisonnement consistant à démontrer son infériorité sur le plan artistique par rapport au suivant : le catalogue Magritte/Goemans n’aurait pas le niveau sur le plan des qualités stylistiques intrinsèques et ne serait qu’un pur produit du monde de la publicité (Gutt, 1996, p. 16). Sa mise en page, il est vrai, est plus conforme au genre de la réclame ; de même, ses éléments rédactionnels vantent les manteaux avec moins de distance. Quoi qu’il en soit, il en va autrement du catalogue 1927-1928 réalisé avec Paul Nougé. Information que l’on chercherait en vain dans le document qui est cette fois parfaitement anonyme.

10Visuellement, le catalogue se distingue d’emblée du précédent : les images (seize, dont deux en couleurs) se trouvent en page de droite ; les textes en page de gauche. Les codes ne sont pas fusionnés dans une même zone d’impression, ce qui confère à chacun son autonomie. Le dialogue entre les deux est d’ailleurs loin d’aller de soi : alors que les illustrations rendent compte — dans un régime esthétique surréaliste, néanmoins mimétique — des articles proposés à la vente (une légende spécifie le nom du modèle et le matériau utilisé), les interventions de Paul Nougé semblent flotter au-dessus de toute considération modiste. Il n’est guère question de rat musqué, de gazelle zibelinée, de ragondin, d’opossum d’Australie : seule importe l’idée de manteau, la possibilité grâce à lui de se vêtir, de se cacher, de dissimuler des secrets dans ses plis. Face à cette idée de manteau, l’idée de femme qui, en dépit de la variété des visages dessinés par Magritte (pour peu qu’ils soient humains, car ce n’est pas toujours le cas) sert de fil conducteur à des bribes de trame narrative, énigmatiques et suggestives. Le sentiment d’étrangeté tient pour beaucoup au décodage de ce récit ténu, d’une femme sans cesse changeante, ne devant sa stabilité qu’au pronom « elle ».

11Expérience esthétique d’un côté, censée dérouter et mettre les facultés du lecteur (et plus que jamais de la lectrice) en éveil ; dispositif commercial assumé de l’autre, ce catalogue se frotte aux techniques de l’économie de l’attention et de l’identification. L’adresse au lecteur est appuyée, au début et à la fin de cette longue séquence, par deux sections textuelles de Paul Nougé seul. Un texte liminaire faisant office d’incipit ou de préface, sur deux pages en vis-à-vis, sème le trouble par son ton désinvolte et prophétique2. Puis, à la fin du volume, un texte conclusif en page de gauche, faisant face à une page blanche, laisse le lecteur méditatif : « … et l’occasion est toujours là de se dépasser un peu. »

Destinée du catalogue

12Pour le reste, l’histoire de ce catalogue, sous cette forme en tout cas, s’arrête là. On en trouve une résurgence en 1927 dans le catalogue d’une autre enseigne de manteaux de fourrure, Reine de France, située à Liège. Principaux changements : les noms des modèles ont été modifiés, les illustrations sont signées « Magritte » et les textes de Nougé sont passés à la trappe. On ne dispose à nouveau d’aucune information contextuelle au sujet de cette édition alternative, qui a tout de la redite publicitaire, bien que Tom Gutt y retrouve, dans une interprétation syncrétique du surréalisme, la théorie de l’autonomie de l’objet et de son nom chère à Magritte (Gutt, 1996, p. 18). Si l’histoire du catalogue s’arrête, c’est pour recommencer autrement, quarante ans plus tard, dans L’Expérience continue (1966), anthologie de Paul Nougé élaborée par Marcel Mariën. Cette réédition sauve la réalisation des années 1920 d’un oubli probable et la transpose dans un registre poétique : elle l’anoblit en lui donnant un titre (Catalogue Samuel), supprime sa partie liminaire comme pour en atténuer la portée trop théorique ou publicitaire, la dote d’une épigraphe (« …mais on tire parti des mauvaises rencontres », d’après une dédicace de Nougé) et la fait exister sans les illustrations. Par-delà la question des droits, cette décontextualisation inaugure un plaidoyer en faveur de l’auteur, dont l’argument consistera à dire que le texte tient seul, contrairement à celui de Goemans.

13Par la suite, le catalogue se donnera encore à voir à plusieurs reprises. D’abord en réduction dans L’Activité surréaliste en Belgique (1924-1950) du même Mariën en 1979 et dans l’essai Ceci n’est pas un Magritte de Georges Roque en 1983 ; en fac-similé ensuite chez Didier Devillez, en 1996, qui tâche de restituer l’objet dans toute sa matérialité initiale. Qu’elle soit attentive à la démarche totale ou au texte seul — comme ce sera enfin le cas de la somme Au palais des images les spectres sont rois, chez Allia, en 2017 —, cette activité éditoriale et critique contribue à annexer le Catalogue Samuel au corpus Nougé, tout en faisant du même geste monter la cote de ses rares exemplaires conservés. En 2022, le catalogue partira au prix de 1 500 euros chez Arenberg Auctions, mais avec le nom de Magritte pour auteur principal, celui de Nougé n’apparaissant qu’en description.

Aspects généraux du modèle d’édition hors édition

14Sauf à vouloir asséner une vérité générale, on ne peut que faire preuve de souplesse face à un tel projet et envisager différentes options. Le modèle dynamique d’« édition hors édition » évoqué plus haut n’aura donc pas vocation à enfermer l’objet dont il est question dans une catégorie rassurante et définitive. Il s’agira au contraire de mettre le dispositif au service de la labilité de cet objet, en tant que tel et au gré des interprétations auxquelles il a donné lieu. Avant cela, par souci de clarté, il n’est sans doute pas superflu de revenir sur les traits généraux de ce modèle.

Écritures domestiques et loisirs créatifs

15Dans ses grandes lignes, le modèle permet d’isoler des types de productions non pas « écrites », mais entretenant des liens plus ou moins directs, sur le mode de l’adhésion, du rejet ou de l’ignorance, avec la culture de l’écrit, avec le livre, avec la littérature. À l’écart de l’institution éditoriale, les écritures domestiques, vouées à la sphère privée, rassemblent des écrits ayant une fonction mémorielle (journal personnel, album photos, recettes, post-it), administrative (déclaration d’impôt, sondage, dénonciation), communicative (lettre, mémoires), spirituelle (écrits votifs) ou identitaire (déclarations diverses), tandis que les loisirs créatifs, restreints eux aussi à un périmètre domestique ou au cercle des proches, embrassent la production créative non publiée, incapable d’assouvir un désir de publication quand il existe — toute activité menée dans le cadre des loisirs créatifs ne vise pas une diffusion.

Littératures grises et professionnelles

16À côté de ces ensembles ayant trait à une certaine intimité, les littératures grises se rapportent à des productions que l’on qualifie parfois de « semi-publiées », dans la mesure où elles font effectivement l’objet d’un travail d’édition et de diffusion, mais s’adressent à des publics à la fois restreints et spécialisés. On retrouve dans cette catégorie les rapports, thèses, brevets ayant une portée informative ou professionnelle, qui représente une part considérable de la production imprimée ou numérique mondiale, sans jamais entrer dans les canaux de distribution classiques toutefois. Ils relèvent de l’administration publique, du domaine académique, de l’industrie, de l’entreprise. Ces mondes n’ont pas pour vocation première de transmettre leurs résultats au public, et c’est là ce qui les distingue de la presse (mondes des médias) et de la publicité (mondes de la communication). La presse et la publicité tissent des liens, comme les littératures grises en cas de publication, avec l’institution éditoriale (mooks, enquêtes, reportages ; rédaction publicitaire). Elles mobilisent des compétences rédactionnelles dont la proximité avec le travail des écrivains est bien réelle, mais souvent transitive. 

Sphères en infraction

17Les sphères qui gravitent le plus autour de l’institution éditoriale se situent ailleurs et peuvent être regroupées en quatre ensembles. Elles se différencient par la nature de leurs infractions aux normes du secteur.

18L’édition sauvage recouvre la contrefaçon et le piratage, l’édition clandestine, et les brochures et « zines », toutes en marge, symboliquement au moins, des normes légales de l’édition officielle. La contrefaçon et le piratage transgressent les lois de la propriété intellectuelle, parfois motivées par une philosophie de transmission des savoirs ou la critique de l’ordre économique ; l’édition clandestine, à charge politique ou licencieuse, contourne la censure placée dans les mains de l’État ; les brochures et zines, dont le mode de diffusion et la périodicité peuvent faire parfois songer à la presse alternative, relèvent de la production contre-culturelle.

19L’édition parallèle désigne les pratiques déviant du modèle économique dominant, mais sans pour autant franchir les limites légales. Elle inclut l’autopublication en ligne, l’édition à compte d’auteur et l’autoédition. La première, favorisée par les logiques de plateformes et le web social, a connu un grand essor au cours des dernières années, au détriment de l’édition traditionnelle à compte d’auteur. L’autoédition, que l’on distingue ici de l’autopublication en ligne, en ce qu’elle ne s’appuie en principe sur aucune plateforme de publication préexistante, se caractérise par la volonté de contrôler toutes les étapes de la production. Ces modes d’édition alternatifs reposent parfois sur la déception vis-à-vis du système éditorial traditionnel.

20L’édition hybride (ou sécante) convoque des conventions alternatives à celles de l’institution éditoriale et plus généralement du monde du livre. Ses écarts se situent dans le registre commercial, marquant un autre type de rupture que l’édition parallèle à la filière : l’édition artiste, l’édition de livre-objet et l’édition en contexte (dans laquelle on retrouve un certain nombre de pratiques ayant trait, pour reprendre la typologie de René Audet, aux « arts littéraires ») se prêtent mal à la « vente » pour des raisons tout à fait matérielles. Contrairement à l’édition parallèle, l’édition hybride n’a pour ainsi dire rien à voir avec l’impossibilité ou le désir de carrière littéraire : l’édition hybride n’est pas un monde en simili, mais véritablement à part entière, puisant son inspiration dans le champ de l’art ou des arts de la scène.

21L’édition proscrite regroupe des éditeurs qui, tout en se montrant conformes à la plupart des conventions de l’institution éditoriale (aspects légaux, compte d’éditeur, diffusion-distribution, ligne éditoriale), tout en jouant le jeu donc, occupent des positions marginalisées. Ces éditeurs à faible capital symbolique se heurtent au dernier rempart de l’institution éditoriale lui permettant de filtrer les productions qui ne correspondent pas à ses critères. Ceux-ci peuvent être arbitraires, basés sur le non-respect de conventions orthographiques, typographiques, graphiques, voire fondées sur une légitimité culturelle construite. Les éditeurs proscrits sont assimilés à des amateurs et accèdent difficilement aux subsides, aux recensions, aux prix. L’édition proscrite n’est donc pas réductible à l’avant-garde.

Tentative de caractérisation du catalogue

22Au vu de ce qui précède, on comprend le caractère difficilement situable du catalogue composé en 1927 par Magritte et Nougé. Son indétermination tient à un faisceau de facteurs parmi lesquels : a) la dimension multimodale du catalogue, entre monde artistique, littéraire et publicitaire ; b) le manque de sources relatives à son élaboration ; c) le fait qu’il ait été conçu à quatre mains (et donc l’hypothèse d’une discordance d’intentions entre les deux auteurs, qui ne nourrissent pas forcément les mêmes ambitions pour la réalisation de ce catalogue) ; d) les enjeux esthétiques et politiques du surréalisme belge, auquel il est parfois tentant d’accorder une valeur exégétique, comme si toute intervention surréaliste — et a fortiori de Paul Nougé — était porteuse d’un sens profond et calculé ; e) les manipulations éditoriales et théoriques dont il a fait l’objet ultérieurement, passant de catalogue à Catalogue Samuel. Sur ce point, il est un fait certain que les avatars successifs du catalogue ont influencé le regard porté sur lui, par illusion rétrospective, au risque d’en modifier le sens originel.

Hypothèse n° 1 : un divertissement sans conséquences entre amis (loisirs créatifs)

23Comme l’a bien exposé Manon Houtart (2023), une difficulté propre aux surréalistes belges tient au caractère peu littéraire d’un certain nombre de leurs démarches, qui n’entrent qu’avec peine dans le périmètre restreint de la littérature. La recherche littéraire a donc tout intérêt, pour saisir l’effervescence surréaliste, à accueillir l’hypothèse d’un état d’esprit surréaliste, qui se justifie d’autant plus qu’il ne faut pas nécessairement être à l’origine d’une œuvre pour entrer dans sa famille. Soit que l’on y assiste de loin sans rien produire qui puisse être qualifié d’œuvre, soit que l’énergie mise au service du mouvement ne se traduit pas par un acte de signature. Les conseils de Nougé à Magritte sont éloquents de ce point de vue, tant il y aurait lieu de créditer l’auteur d’un travail de « scénariste » pour certaines toiles, ce qui n’est pas le cas.

24Cette conception élargie de l’activité surréaliste ne règle évidemment pas le sort du catalogue de la « Maison Ch. Muller, S. Samuel et Cie », mais invite à la prudence quant au fait qu’il doive être considéré forcément comme une œuvre. On peut songer, dans cette veine, aux innombrables cartes postales que s’envoient les surréalistes, dont la composante proprement artistique est telle qu’il ne s’agit plus d’écritures domestiques au sens strict, mais de quelque chose qui s’apparente aux loisirs créatifs. Si l’on prend au mot en effet le rejet de toute forme de domestication au milieu littéraire, à ses rituels et à ses honneurs, il n’est pas inconcevable de penser que l’essentiel de l’activité surréaliste n’existe qu’à l’état de hobby, de pur divertissement entre amis. C’est tout le contraire qui s’est produit, pour trois raisons au moins : 1) par le niveau de conscience du champ littéraire des surréalistes belges, qui s’exprime dès la parution de la revue Correspondance (1924-1925), envoyée de surcroît à des personnalités du monde littéraire ; 2) par les incursions nombreuses des surréalistes dans l’arène éditoriale ou artistique ; 3) par le travail de patrimonialisation et de canonisation entrepris par des continuateurs et commentateurs du mouvement initial, à l’exemple de Marcel Mariën, qui ont transformé (avec le concours ambigu, sans doute, des principaux intéressés) de simples documents de circonstance en œuvres, ou du moins en objets équivoques.

25La « récupération » du moindre bout de papier surréaliste par l’institution littéraire, qui tendrait même à donner plus de valeur aujourd’hui à l’objet bizarre qu’à la démarche littéraire et artistique officielle, ne doit pas faire oublier que des actes gratuits, pensés en tout cas pour un public d’amis et de proches, ont pu être posés à l’époque, et avoir orienté la réalisation d’un document comme le Catalogue Samuel. Le double discours pourrait se situer à ce niveau : profiter d’une opportunité commerciale pour faire passer à bon prix, autour de soi et à des amis surréalistes de France, quelques vues et expérimentations de jeunesse. Beaucoup d’indices concordent en effet pour inscrire ce catalogue dans le registre du passe-temps, du projet rédigé sur un coin de table, comme semblent l’indiquer les brouillons de Nougé, rédigés (comme beaucoup de ses écrits) au verso de documents de seconde utilisation, liés à son travail de laborantin. Difficile de tenir le même raisonnement pour Magritte toutefois, pour qui il s’agit d’une commande.

Hypothèse n° 2 : un document professionnel à visée publicitaire

26Une interprétation sensiblement différente doit être considérée si l’on se tourne vers Magritte en effet, considérant que les auteurs du catalogue ne nourrissent pas forcément les mêmes aspirations à son égard. Alors que le Catalogue Samuel occupe une place assez secondaire pour Nougé, artistiquement et professionnellement, l’enjeu ne fût-ce que pécuniaire semble tout autre dans le cas de Magritte, pour lequel la carrière publicitaire est appréhendée avec sérieux. Une lettre de Magritte à Nougé que l’on peut dater de la fin des années 1920 montre combien la publicité est un secteur qu’il vise pour subvenir à ses besoins :

Ma situation n’est pas très facile pour le moment. Depuis mon retour ici, je cherche un emploi, sans rien trouver. Je compte retourner à Bruxelles, définitivement, si à la fin de ce mois les démarches que j’ai faites n’aboutissent pas. Il le faudra, car je ne puis compter sur personne ici pour m’aider. Mais en attendant, pensez-vous que j’aurais quelque chance en me présentant comme dessinateur de publicité, employé si possible, dans un grand magasin, le Bon Marché ou l’Innovation ? Je crois que vous connaissez des personnes susceptibles de vous renseigner à ce sujet ? Vous me rendriez un grand service, vous pensez bien, si vous vouliez penser à cela. (Magritte, s. d., ML 4579/13)

27À s’en tenir aux informations dont on dispose, un large faisceau d’indices parle en faveur de la piste publicitaire, à laquelle Nougé pourrait, d’ailleurs, n’avoir contribué que pour aider un ami en manque d’inspiration sur le volet textuel. Tel avait été le cas, avec Camille Goemans, du catalogue de l’année précédente. En quoi le dispositif serait-il autre pour Magritte, qui ne fait que réitérer une collaboration ayant déjà eu lieu et qui la déclinera pour une boutique liégeoise ? Cette réutilisation du matériau iconographique est assez peu compatible avec l’idée que le Catalogue Samuel formerait une œuvre unique à valoriser en tant que telle. La piste elle-même de l’anonymat, dans laquelle certains ont été tentés de voir une trace des valeurs surréalistes, est parfaitement conforme aux attendus de la publicité. Il est vrai que les illustrations de Magritte sont signées dans le catalogue de 1926-1927 et dans la variante publiée à Liège sans les textes, mais il semble imprudent d’y déceler la volonté de Nougé.

28Techniquement, le Catalogue Samuel de 1927-1928 répond à tous les objectifs d’une brochure publicitaire. Le texte de Nougé est lourdement persuasif, invitant à prendre une décision, et ce de façon d’autant plus efficace que le texte théorise et esthétise la notion de choix. On y retrouve les principes de concision, d’appel à l’émotion, de mise en valeur des points forts d’un produit, traduits il est vrai dans une esthétique marquée, celle du surréalisme. Mais la publicité s’accommode très bien des tendances esthétiques, et on ne voit pas en quoi il en irait autrement pour le surréalisme que pour d’autres courants de l’histoire de l’art. La mise en récit elle-même, faisant du modèle un personnage évanescent qui se retrouve de page en page, ne tire pas plus le Catalogue Samuel du côté de l’art, considérant qu’il pourrait s’agir, là aussi, d’une technique ordinaire de réclame en vue de favoriser l’identification. Le texte est bien écrit, les illustrations bien faites, mais est-ce que cela suffit à arracher ce document à la sphère professionnelle ? Ce serait condamner un peu vite la publicité.

29La question du public apparaît toutefois déterminante une fois encore. Comme tend à le montrer la composition de la brochure, le contrat vis-à-vis de la « Maison Ch. Muller, S. Samuel et Cie » semble avoir été rempli. Non seulement parce que la brochure répond à des attentes publicitaires, mais aussi parce que, dans le cas contraire, le commanditaire aurait été libre de refuser le travail. D’après Magritte, le catalogue aurait laissé plus d’un client circonspect (Mariën, 1979, p. 149), mais ce témoignage a posteriori est sujet à caution. Il est en revanche indiscutable que le public visé est plus large qu’un public d’acheteurs : le fait que Magritte ait montré le catalogue à Breton et à Aragon confirme que la collaboration était porteuse d’un enjeu, bien que l’on ne puisse définir avec exactitude lequel.

Hypothèse n° 3 : un objet éditorial à la croisée du champ artistique (édition hybride)

30La notion d’enjeu est centrale dans les deux hypothèses qu’il nous reste à prendre en compte. Dans une version minimale, le Catalogue Samuel n’est rien d’autre qu’un travail alimentaire de Magritte où il tâche, avec le concours de Nougé, de « faire passer quelque idée remarquable », pour reprendre un extrait de la lettre citée plus haut. La soumission du catalogue aux surréalistes pourrait elle-même n’être qu’un acte assez peu conscient de ses conséquences artistiques et littéraires, dans l’hypothèse où le duo se sentirait sincèrement hors champ. Les échanges épistolaires de l’époque vont toutefois peu dans le sens de cette éventualité, tant ils font preuve de minutie à l’égard d’un projet contemporain du Catalogue Samuel : Quelques écrits et quelques dessins, publié à Bruxelles en 1927 chez l’éditeur René Henriquez, détournement poétique (par Nougé) et illustré (par Magritte) d’un manuel de grammaire de Clarisse Juranville — dont le patronyme est celui qui figure en page de couverture. Les avis de Nougé, Magritte et de Goemans sont tranchés cette fois, puisque les surréalistes envisagent de refaire l’édition (l’impression est ratée selon eux) à Paris. Il s’agit en effet du premier volume de leur « collection », collection qui devrait selon Goemans être mentionnée comme telle au sein du volume (Goemans, s. d., ML 4579/3). Grâce à la sagesse de Nougé, tous se ravisent, mais l’épisode témoigne des préoccupations éditoriales du groupe dès cette époque.

31Considérant cela, il pourrait être tentant d’envisager le Catalogue Samuel comme une expérimentation éditoriale, cas d’édition « hybride » au départ des positions occupées par Magritte plutôt que de Nougé. La commande du catalogue, on l’a dit, provient du réseau de Magritte, dans lequel Paul-Gustave van Hecke occupe une place centrale : Couture Norine, mais aussi galerie Le Centaure, qui expose d’ailleurs Magritte au cours de cette même année 1927 et le fait apparaître dans son catalogue. La porosité qui existe entre les mondes de la mode, de l’art et incidemment du littéraire pourrait être à l’origine du Catalogue Samuel, lequel ne serait dès lors pas un passager clandestin de la sphère publicitaire, mais bien un produit des relations qui se nouent déjà à cette époque entre différents mondes. La vulgate surréaliste, qui tend à faire du Catalogue Samuel, depuis L’Activité surréaliste en Belgique de Marcel Marïen en 1979 (citant Magritte), un objet ayant connu un mauvais accueil, a peut-être eu tendance à minimiser le rôle de la Maison Ch. Muller, S. Samuel et Cie au profit du choc surréaliste. Or ce que l’on sait moins, car l’information n’avait pas encore été versée au dossier surréaliste, c’est que la maison, qui n’a rien d’une boutique de seconde zone (il suffit d’analyser le bâtiment dans lequel elle est située), remet le couvert dans une veine à la fois expérimentale et Art déco, pour sa saison 1929-1930, avec le graphiste abstrait Jos Léonard et le photographe Willy Kessels (au nom de son agence publicitaire PPP, « Publicité par photo »). Catalogue qui s’inscrit également à la croisée du luxe, du marketing et de l’esthétique avant-gardiste, avec des trentenaires qui se cherchent entre arts pur et appliqué.

32Cette découverte n’est pas sans conséquence sur la perception du Catalogue Samuel et de l’entreprise surréaliste à ses débuts, en ce sens qu’elle replace celle-ci dans un air du temps résolument moderniste et épris de la recherche d’un art total. Les transactions qui existent entre art et publicité peuvent sembler exotiques depuis un ancrage littéraire, mais sont monnaie courante dans le champ des arts plastiques, sans même évoquer l’intérêt des surréalistes belges pour la musique. Dans cette perspective, le Catalogue Samuel apparaît comme une forme particulière de livre d’artiste encouragée, peut-être, par un Paul-Gustave van Hecke soucieux de mettre à l’épreuve de nouveaux talents et, ce faisant, d’influencer leur valeur sur le marché de l’art.

Hypothèse n° 4 : un passager clandestin de la publicité (édition sauvage)

33En dépit de ce qui précède, la quatrième hypothèse de caractérisation du Catalogue Samuel garde toute sa pertinence, celle d’un happening qui aurait permis aux surréalistes belges d’exprimer leurs vues de manière détournée, détournement que l’on peut envisager de deux façons distinctes. La première, compatible avec l’idée d’une pratique hybride, va dans le sens d’une extension du littéraire à d’autres domaines et à d’autres publics. Il s’agit là du souhait, décrit par Michel Biron, de « faire descendre la littérature dans la rue et d’expérimenter une nouvelle forme de socialisation de l’art » (1991, p. 55), comme lorsque Paul Nougé déambule, toujours en 1927, dans les rues de Bruxelles avec un placard géant dans l’esprit des poèmes-tracts de La Publicité transfigurée, eux-mêmes lus lors du concert-spectacle Le Dessous des cartes en 1926 avec les musiciens André Souris et Paul Hooreman. Ces performances sont une des nombreuses formes que peut prendre la « sloganisation de la poésie » du surréalisme belge au sens d’Anne Reverseau (2016), qui rejoint du même geste son « idéal de poésie anonyme ». Détournement plutôt que parodie, car le but n’est pas de singer la publicité pour la tourner en dérision. Il y va de la création de discours et « objets bouleversants », représentatifs de la démarche de Nougé consistant à écrire en « détournant les mots déjà assemblés par d’autres » (Gillain, 2013, p. 38), comme avec les écrits apocryphes de Clarisse Juranville.

34Il n’empêche que le Catalogue Samuel est comptable, dans les interprétations qui en sont données au moins, d’une forme de détournement plus radical ayant trait à la rupture de contrat. La « commande détournée », pour reprendre la formule synthétique d’Olivier Smolders (1995, p. 120), est un processus sensiblement différent du précédent, car fondé sur la ruse, sur la tromperie, voire sur la manigance. Dans cette hypothèse, l’entreprise de Nougé et de Magritte peut être assimilée à une infiltration, à une mystification consistant à publier clandestinement, à l’insu de son commanditaire et aux dépens du public, une œuvre non déclarée comme telle, porteuse d’une lourde charge critique à l’égard de la mode et de son négoce. La thèse est particulièrement défendue par Tom Gutt, chez qui le manteau serait, pour Nougé, un « matériau médiocre » (1996, p. 19), si décrié que le fourreur aurait décidé de ne plus travailler avec Magritte. Cette lecture dadaïste du Catalogue Samuel, favorable au pouvoir de destruction de la littérature, va évidemment à l’encontre d’une analyse plus sensible aux perturbations créées par la mixtion de plusieurs régimes discursifs sans que l’un cherche à prendre le pas sur l’autre. Que ce travail de sape ait été ou non à l’origine de la collaboration de Nougé, le catalogue n’en demeure pas moins un cas possible d’édition sauvage, par l’occupation d’un support vaguement interdit, ou à tout le moins dévoyé de sa fonction initiale.

De l’intuition à l’institution

35Comme l’écrivait Nougé, « c’est une chose grave que de choisir », et l’analyse qui précède, manifestement, n’a pas voulu faire dans la gravité. Les quatre hypothèses qui ont été envisagées semblent toutes contenir une part de vérité en raison des faits connus, mais aussi de la forme du catalogue, difficile à classer dans les catégories établies des études littéraires. L’aventure du surréalisme hors du livre rend effectivement la tâche complexe puisque, même si bon nombre des interventions gardent un lien plus ou moins fort avec le livre, elle se nourrit d’enjeux hétérogènes.

36Le Catalogue Samuel est un cas limite d’édition sauvage, non pour marquer que la quatrième hypothèse sera la plus pertinente de toutes, mais pour appuyer l’idée de sa catégorisation à haut risque. Aujourd’hui pleinement incorporé dans l’institution littéraire et éditoriale, qui s’est livrée à diverses rééditions, le catalogue a suivi une trajectoire faite de redéfinitions, de spécifications qui en ont altéré l’instabilité. Le refus de choisir ayant guidé toute la rédaction de cet article se fonde sur des éléments très tangibles, qui tendent à montrer que les auteurs ne savaient pas exactement où ils allaient lors de la réalisation du catalogue. Celui-ci est pour une large part le fruit du hasard, d’une rencontre inattendue, avec laquelle il s’est agi de négocier sur le moment, dans l’urgence de l’action. Rencontre survenue, qui plus est, dans les premiers temps du surréalisme, à un stade très précoce de la trajectoire des auteurs.

37Cet imprévu n’a rien d’exceptionnel, et représente davantage la règle que l’exception dans le champ littéraire, a fortiori sur des objets à caractère expérimental. Il serait séduisant de penser que les surréalistes sont parvenus, comme aux échecs, à prévoir de nombreux coups à l’avance. Ce sont là des histoires que l’on raconte à la postérité dans les manifestes, et qui doivent sans cesse être réécrites.