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« ¿Van a verlos o a oírlos? ». Le théâtre, le spectacle et les sens dans l'Espagne et l'Europe de la première modernité (Paris)

« ¿Van a verlos o a oírlos? ». Le théâtre, le spectacle et les sens dans l'Espagne et l'Europe de la première modernité (Paris)

Publié le par Romain Bionda (Source : Florence d'Artois)

Il s’agit d’analyser le statut du spectacle dans le théâtre du Siècle d’or sur une chronologie relativement longue, qui va des débuts du théâtre commercial (ca. 1570) à la mort de Calderón, en examinant à nouveau frais les questions suivantes : quels sont les sens sollicités par le dispositif théâtral ? Sa nature poétique en fait-elle un théâtre d’abord destiné à l’ouïe avant d’être « spectacle » ou « théâtre » au sens étymologique du terme ? Comment se hiérarchisent ou se combinent ces différentes dimensions sensibles ? Enfin, quelle place est-elle dévolue à des facultés comme l’imagination et la mémoire, assimilées à des sens internes par la psychologie classique ?

Conçu comme le premier jalon d’une plus ample réflexion sur le théâtre dans son rapport à l’image, ce colloque a pour point de départ la question formulée par l’allégorie du Théâtre au seuil de la Parte XVI des comedias (1621) de Lope de Vega :  au théâtre, le public va-t-il voir ou écouter les pièces ? (« ¿Van a ver[las] o a oír[las] ?»)

Si Lope envisage, dans ce même texte, la possibilité d’une actualisation silencieuse du texte par l’entremise de l’imagination, il ne rejette nullement le spectacle. Le débat ne recoupe donc pas l’opposition aristotélicienne entre la fable (autosuffisante) et l’opsis (non essentielle et même condamnable). C’est la dimension sensible du phénomène théâtral qui est interrogée dans toute sa complexité et, par là, ses limites et ses modalités.

Sans apporter de réponse arrêtée, Lope laisse entendre, dans ce prologue, que l’ouïe serait première. Ce faisant, il idéalise un âge d’or où la poésie du texte de théâtre et sa capacité évocatrice suffiraient à la parfaite réalisation des comedias. Mais son intention est éminemment polémique (plus que les images ce sont les metteurs en scène qui sont visés) et la hiérarchie suggérée subjective et même paradoxale. La critique des dispositifs visuels et, notamment, des machines, entre en effet en flagrante contradiction avec l’emploi qu’en fait le dramaturge dans les pièces qu’il publie dans ce même volume.

Nous aimerions ici réexaminer ces différentes questions selon la perspective suivante.

D’abord, d’un point de vue théorique.

Le questionnement sur la dimension sensible du spectacle est-il fréquent en Espagne ? Dans quel lieu et contexte apparaît-il ? L’est-il préférentiellement sous la plume d’hommes de théâtre ? Ou est-ce au contraire l’apanage des écrits polémiques, dans lesquels la critique du théâtre revêt souvent, on le sait, la forme d’une critique des images ? Quel y est, enfin, le rôle de la comparaison avec d’autres arts notamment la peinture ? On s’interrogera aussi sur les différents enjeux du débat qui, bien souvent, dépassent le cadre d’une réflexion purement technique et recèlent des questions de pouvoir (conflit d’autorité entre dramaturges et metteurs en scène, conflits générationnels, etc.).

D’autre part et surtout, du point de vue de la pratique théâtrale.

En quoi ce questionnement rend-il compte de phénomènes observables dans la pratique dramaturgique ou scénographique ? Dans un système où il n’y a pas de découpage scénique, l’action s’organise-t-elle selon des unités acoustiques (définies par des variations métriques) ou en « tableaux », pour reprendre une analogie picturale communément employée par la critique moderne ? Quelles sont les marques textuelles ou paratextuelles du déploiement poétique ou iconique du texte de théâtre ? Quelles en sont les marques dans les documents de travail des metteurs en scène ? Les réticences de certaines dramaturgies au déploiement spectaculaire sont-elles liées à un choix esthétique ou à des impossibilités techniques ? A contrario, à quoi répond leur foisonnement dans le grand spectacle de cour ?

On s’interrogera enfin sur l’évolution historique de ces coordonnées et sur leurs différentes déclinaisons génériques. On pense notamment aux cas où la nature du spectacle se complexifie sous l’effet de l’intégration d’autres arts (peinture, musique, danse) ou de l’imitation de certains de leurs procédés (rideau). Un tel échange entre les arts modifiait-il l’expérience sensible du spectateur et comment? Dans le cas de certaines pièces mythologiques de Lope de Vega, manifestement inspirées de tableaux de Titien, on peut par exemple se demander comment l’expérience des spectateurs de cour pouvait être conditionnée par leur vision préalable de la peinture ; de même lorsque Tintoret, Paris Bordone ou le Greco emploient la scène tragique serlienne dans leurs peintures. En-deçà des effets de réception, l’étude de ces échanges devrait déboucher sur une réévaluation de la théâtralité, entendue comme une qualité partagée par plusieurs formes d’art, à étudier depuis l’histoire du théâtre comme depuis l’histoire de l’art. On s’intéressera ainsi à l’échange entre formes d’arts entendue comme une négociation entre modes d’expression : non plus entre la vue et l’ouïe du spectateur, mais entre différentes options créatives du côté du dramaturge comme du peintre. L’indicible, l’irreprésentable, et en l’occurrence le sublime ou l’obscène tracent-ils la frontière entre parole et vision ? Comment la musique, le costume, le décor, dans l’entre-deux ou à côté du texte et de l’image, construisent-ils la théâtralité d’un spectacle ou d’une représentation ?

Si les règnes de Philippe III et, plus encore, de Philippe IV voient et favorisent le triomphe de formes spectaculaires de plus en plus ambitieuses et totales, on s’intéressera également aux phases antérieures de l’histoire du théâtre classique, souvent moins travaillées par la critique de ce point de vue.

Enfin, tout au long de cette réflexion, qui sera largement ouverte à une perspective comparatiste, on se demandera si, dans ses rapports au spectaculaire et au sensible, le théâtre classique espagnol est singulier au regard d’autres dramaturgies européennes et pourquoi.

 

L'intégralité du colloque aura lien dans la Salle des actes de la Sorbonne.

Vendredi 25 mai 

9h Ouverture et accueil des participants

1. Varia spectacula

9h30-10h Gaston Gilabert (Universitat de Barcelona) “El triunfo del oído en el primer teatro de Lope”

10h-10h30 Héctor Ruiz (Casa de Velázquez) “¿Monstruos de apariencias llenos? La scène du dévoilement dans les manuscrits dramatiques du comte de Gondomar (c.1595)”

Pause 

11h-11h30 Yves Germain (Université Paris Sorbonne) “De fieras y dramaturgos. L'animal sauvage et sa représentation scénique, une dimension purement visuelle du spectacle théâtral ?”

11h30-12h Discussion animée par Christophe Couderc (Université Paris Ouest)

 

2. Voir ou entendre le sacré?

14h00-14h30 Anne Teulade (Université de Nantes-IUF) "Le saint sensible: l'effet de tableau dans la comedia de santos"

14h30- 15h00 Stijn Bussels (Universiteit Leiden) “Images and Imagination in Vondel’s first tragedy”

Pause

15h30-16h00 Yannick Barne (Université Paris Sorbonne) “Ni oírte ni verte quiero : parole et images dans El príncipe constante de Calderón de la Barca”

16h-16h30 Andrea Fabiano (Université Paris Sorbonne) “Chanter la sensualité des corps : les oratorios d’Alessandro Stradella (1644-1682)”

16h30-17h Discussion animée par François Lecercle (Université Paris Sorbonne)

 

Samedi 26 mai  

3. Le spectacle de cour, fête pour les sens

10h-10h30 Christopher Laferl (Universität Salzburg) “Afectividad y cognición en Darlo todo y no dar nada de Calderón y Los empeños de una casa de Sor Juana”

10h30-11h Florence d’Artois (Université Paris Sorbonne) “La danse comme réunion des arts : un "bailete" espagnol à la cour de Leopold I ” 

Pause

11h30-12h Pablo Vázquez Gestal (Centre Roland Mousnier) “Oír, ver, tocar, decir. Sobre la performatividad cultural en la España moderna”

12h-12h30 Discussion animée par Mercedes Blanco (Université Paris Sorbonne)