Questions de société
Une pièce d’Eschyle censurée, ou le contresens d’un antiracisme dévoyé. Tribune à l'initiative de Vigilance Universités (Paris)

Une pièce d’Eschyle censurée, ou le contresens d’un antiracisme dévoyé. Tribune à l'initiative de Vigilance Universités (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Vigilance Universités)

Tribune publiée dans Libération le 3 avril 2019

Appel à signature ouvert sur le site de Vigilance Universités

 

Tribune à l’initiative de Vigilance Universités

Une pièce d’Eschyle censurée, ou le contresens d’un antiracisme dévoyé

Le lundi 25 mars 2019, une pièce d’Eschyle, Les Suppliantes, mise en scène par Philippe Brunet, directeur de la compagnie de théâtre antique Démodocos, n’a pu être jouée en Sorbonne. Comme l’explique le communiqué de la Présidence de Sorbonne Université, « les comédiennes et comédiens ont été empêchés de force de rentrer se préparer et le public tenu dehors par des individus accusant la mise en scène de "racialisme" ; cette pièce mettant en scène les Grecs Argiens et les Danaïdes, filles de Danaos venues d’Égypte, interprétés, fidèlement aux pratiques théâtrales antiques, respectivement par des actrices et acteurs portant des masques blancs et des masques noirs tels que d’usage à l’époque. »

Des associations qui affirment combattre le racisme anti-noir ont cru bon d’assimiler l’utilisation par la troupe de maquillages sombres et de masques à la pratique raciste du blackface de l’époque coloniale (se grimer en noir pour se moquer des Noirs). Il s’agit d’un contresens absurde et d’un anachronisme aberrant qui auraient pu être évités par le dialogue. Sur sa page Facebook, le metteur en scène déclare que « le théâtre est le lieu de la métamorphose, pas le refuge des identités. […] Dans Antigone, je fais jouer les rôles des filles par des hommes, à l’antique. Je chante Homère et ne suis pas aveugle. J’ai fait jouer Les Perses à Niamey par des Nigériens (c’est dans le dernier film de Jean Rouch). Ma dernière reine perse était noire de peau et portait un masque blanc. »

Nous condamnons fermement la censure de la représentation des Suppliantes. Cet événement s’inscrit dans une longue série. Grotesque, il est la goutte d’eau de trop. Il entraîne la réprobation publique, non plus seulement de quelques personnalités connues, mais d’un nombre considérable d’universitaires et de chercheurs à la fois inquiets et révoltés, appelant à une vigilance désormais collective. Cette tribune en est l’expression.

« Là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes », déplore Almansor, jeune prince musulman, dans la tragédie qui porte son nom, drame qui fut rédigé par le poète Heinrich Heine et publié dans sa version définitive en 1823. Quelles seront les étapes suivantes, après la censure par quelques militants déterminés d’une pièce d’un tragique grec du 5e siècle avant J.-C. ?

Nous sommes pleinement solidaires du combat contre le racisme anti-noir, et c’est précisément pourquoi nous condamnons cette agression contre une création théâtrale ne présentant aucun préjugé raciste. Cette agression nuit en réalité à la cause même qu’elle prétend défendre. Cette accusation de racisme ou de « racialisme » révèle en effet une totale incompréhension. Le combat contre le racisme est un combat qui tend au respect de la dignité humaine, à l’union de tous et à la liberté de chacun. Tout au contraire, cette action pseudo-antiraciste, comme d’autres actions dites « décoloniales », cherche à censurer et tend à nous séparer.

Vigilance Universités est un réseau d’enseignants du supérieur et de chercheurs, créé en mars 2016, qui combat toutes les formes de racisme et d’antisémitisme, de communautarisme et de racialisme prétendument décolonial, et qui lutte pour la défense de la laïcité à l’Université. Nous nous opposons à toutes les formes traditionnelles de discriminations raciales et religieuses, mais aussi à de nouvelles formes d’interventions apparemment antiracistes qui sont, au mieux contre-productives, au pire fondées sur une conception de la société obsédée par des identités de race ou de religion, obsession qui relève en fait du racisme.

Nous condamnons donc fermement cette nouvelle intervention de l’idéologie radicale racialiste à l’université qui, une fois encore, s’attaque à la liberté d’expression, comme nous nous sommes opposés auparavant à la tentative, notamment par Solidaires Étudiant-e-s, de censurer dans plusieurs universités la lecture, par le Théâtre K, du texte de Charb Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, ou comme nous avons combattu la censure du  festival « Escale en Israël » proposant des ateliers de découverte de la culture israélienne avec projection d'un film de la cinéaste palestinienne Maysaloun Hamoud, projet universitaire de l’association estudiantine PankulturA en lien avec l'Institut français.

Présents dans de nombreuses institutions de l’enseignement supérieur et de la recherche, les membres de Vigilance Universités attirent l’attention sur les tensions et les pressions idéologiques qui se font jour et se multiplient au sein de leurs établissements. Ils s’inquiètent de ce que l’Université devienne un lieu où l’idéologie racialiste radicale prend le pas sur la recherche scientifique et la délibération collective, qui sont pourtant au fondement même de notre mission universitaire et de notre démocratie. Les membres de Vigilance Universités appellent leurs collègues à les rejoindre pour contrecarrer la progression des idéologies de haine.

Nous apportons notre plein soutien à Philippe Brunet et à la compagnie Démodocos, ainsi qu’à Sorbonne Université, pour que cette pièce puisse être jouée le plus rapidement possible et que les censeurs soient empêchés de nuire à la connaissance et à l’éveil des consciences.

 

Vigilance Universités

Contact : vigilance.universites-request@groupes.renater.fr

Cet appel à signature est ouvert sur le site de Vigilance Universités.

La tribune a d’abord été signée par 120 universitaires et chercheurs :

Gilles Denis (Université de Lille)

Laurent Loty (CNRS—Sorbonne Université)

Christian Gilain (Sorbonne Université)

Roland Assaraf (Sorbonne Université)

Danielle Delmaire (Université de Lille)

Claude Cazalé (Université Paris Nanterre)

Sylvie Brodziak (Université de Cergy Paris Seine)

Joëlle Allouche (EPHE-CNRS)

Laurence Croix (Université Nanterre)

Andrée Lerousseau (Université de Lille)

Michel Dreyfus (Université Panthéon Sorbonne)

Alain Policar (Sciences Po Paris)

Jacques A. Gilbert (Université de Nantes)

Anne Brun (Université Lyon 2)

Claudine Attias-Donfut (EHESS)

Françoise Lavocat (Université Sorbonne Nouvelle)

Michel Prum (Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)

Claire Squires (Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)

Martine Benoit (Université de Lille)

Céline Masson (Université de Picardie)

Yana Grinshpun (Université Sorbonne Nouvelle)

Maria-Giuseppina Bruna (Déléguée exécutive à l'Enseignement Supérieur de la LICRA)

Véronique Taquin (Première supérieure, Lycée Condorcet, Paris)

Anne Karila (Université de Lille)

Jean Szlamowicz (Université de Bourgogne)

Patricia Victorin (Université Bretagne Sud)

Pierre-André Taguieff (CNRS)

Françoise Neau (Paris Descartes, Université Sorbonne Paris Cité)

Christine Pietrement (Université Reims Champagne-Ardenne)

René Roussillon (Université Lyon 2)

Florence Lefeuvre (Université Sorbonne Nouvelle)

Michèle Tauber (Université Sorbonne Nouvelle)

Joël Kotek (Université Libre de Bruxelles)

Martine Cohen (CNRS)

Clotilde Policar (ENS-Paris)

Jacqueline Costa-Lascoux (CNRS, Sc po Paris)

Geneviève Dermenjian (Aix-Marseille Université)

Françoise Longy (Université de Strasbourg)

Alain Vienne (Université de Lille)

Claire Derycke (Université de Lille)

Lila Mitsopoulou (Université Lyon 2)

Vincent Di Rocco (Université Lyon2)

Gabriel Gras (CEA)

Gaël Gratet (classes préparatoires, Lyon)

Jérôme Maucourant (économiste)

Vida Azimi (CNRS)

Éric Guichard (Université de Lyon)

Laurence Le Moyec (Université d’Évry Val d'Essonne)

Gunther Jikeli (Indiana University)

Edith Hantz (Université Paris 13)

Daphné Vignon (postdoctorante, Université de Nantes)

Pierre Frantz (Sorbonne Université)

Sylvie Catellin (Université de Versailles St-Quentin, Université Paris-Saclay)

Rosa Caron (Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)

Rémy Potier (Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)

Patrica Attigui (Université Lyon 2)

Sylvie Le Poulichet (Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)

 Mireille Guittonneau-Bertholet (Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)

Richard Benatouil (ancien chargé de cours à l’Université de Nantes)

Jean-Claude Bonnet (CNRS)

Bernard Vouilloux (Sorbonne Université)

Christine Noille (Sorbonne Université)

Xavier-Laurent Salvador (Université Paris 13)

Otto Pfersmann (EHESS)

Marie Estripeaut-Bourjac (Université de Bordeaux)

Liliane Kandel  (Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)

Fiona  Macintoch-Varjabédian  (Université de Lille)

Martine de  Gaudemar (Université de Paris-Nanterre )

Maxime Decout (Université de Lille)

Martine Hénard (Université de Lausanne)

Jean-Yves Masson (Sorbonne Université)

Eric Bidaud  (Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)

Silke Schauder (Université de Picardie Jules Verne)

Didier Alexandre (Sorbonne Université)

Bruno Tinel (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Denis Labouret (Sorbonne Université)

Frank Lestringant (Sorbonne Université)

Florence Naugrette (Sorbonne Université)

Anne Steiner (Université de Nanterre)

François de Saint-Cheron (Sorbonne Université)

Sophie Basch (Sorbonne Université)

Pierre Jourde (Université Grenoble-Alpes)

Alain Mothu (Sorbonne Université)

Michel Delon (Sorbonne Université)

Mariane Bury (Sorbonne Université)

Anne Montavont (Première supérieure, Lycée Condorcet, Paris)

Adeline Lionetto (Sorbonne Université)

Guillaume Métayer (CNRS)

Jean-Charles Monferran (Sorbonne Université)

Christiane Chauviré (Paris 1 Panthéon Sorbonne)

Benoît Pellistrandi (Première supérieure, Lycée Condorcet, Paris)

David Lepoutre (Université de Paris Nanterre)

Christine Levy (Université Bordeaux Montaigne)

François Rastier (CNRS-INaLCO)

Charles Coutel (Université d'Artois)

Claude Habib (Université de la Sorbonne nouvelle)

Jean-Jacques Tatin-Gourier (Université de Tours)

Laurence Plazenet (Université Clermont Auvergne)

Josepha Laroche (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Sylvie Triaire (Université de Montpellier)

Anne-Marie Le Pourhiet (Université Rennes 1)

Jean-Jacques Rassial (Aix-Marseille-Université)

Xavier Nadrigny (Première supérieur Chartes, Lycée Henri IV, Paris)

Sophie Lefay (Université d’Orléans)

Isabelle Martin-Pradier (Classes préparatoires, Lycée Claude Faufile, Saint-Étienne)

Lia Kurts-Woeste (Université Bordeaux Montaigne)

Christian Doumet (Sorbonne Université)

Marc Hersant (Université de la Sorbonne nouvelle)

Antoine Leandri (Professeur honoraire de Chaire supérieure)

Carina Trevisan (Université Paris Diderot)

Frederique Leichter-Flack (Université Paris Nanterre)

Serge Bianchi (Université Rennes 2)

Pauline Nadrigny (Université Paris 1)

Dominic Moreau (Université de Lille)

Philippe Zard (Université Paris Nanterre)

Elisabeth Rothmund (Université paris Est Créteil)

Sylvie Valet (Université Paris Est Créteil)

Isabelle de Mecquenem (Université de Reims)

Sylvie Toscer-Angot (UPEC, EPHE-CNRS)

Leila Schneps (CNRS)