Questions de société

"Statut des universitaires : le décret en Conseil d'État" + "Valérie Pécresse relocalise l'évaluation. au ministère", par Sylvestre Huet (Sciences2, 20/04)

Publié le par Florian Pennanech

Statut des universitaires : le décret en Conseil d'État

C'est demain, mardi 21 avril, que le décret contestésur le statut des universitaires doit passer devant le Conseil d'Etat.Son avis est indispensable sur le chemin de tout décret.

L'annonce de ce nouvel épisode du feuilleton de laréécriture de ce décret par le ministère de Valérie Pécresse a suscitéplusieurs réactions de la part des opposants.

Tout d'abord, symboliquement, la « ronde infinie desobstinés » quittera le parvis de l'Hotel de Ville de Paris pour sedéplacer devant le Conseil d'Etat pour y « tourner » de 14h à 16h. Parchance, ce n'est pas loin. Les participants à cette initiative ontlancé un appel à se joindre à eux. Par ailleurs d'autres « rondes » doivent se tenir demain, à Dijon, Clermont-Ferrand, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Toulouse.

Ce passage devant le Conseil d'Etat confirme que, pourle gouvernement, il n'est pas question de reculer devant lamobilisation des universitaires. Une attitude qualifiée« d'obstination » par les opposants les plus durs, mais aussi par despersonnalités, syndicats ou associations modérées comme Autonome Sup ouQualité de la science française.

Cette attitude risque de se traduire par la poursuited'actions de grèves ou de blocages de site dèsla rentrée universitaires après les vacancesde Pâques, mettant ainsi gravement en cause le fonctionnement denombreuses universités et le second semestre de l'année. ValériePécresse en fait un cheval de bataille médiatique, assez bien relayé,prétendant ainsi défendre l'intérêt des étudiants et de leurs familles,contre des universitaires irreponsables. Cette vision unilatérale de lasituation fait fi de la responsabilité d'un gouvernement qui a entaméles hostilité au mépris de tous les avertissements qui lui avaient étéprodigués.

Ainsi, il est utile de se reporter au long communiqué publié le 11 avril par Qualité de la Science Françaisequi revient sur la génèse de ce conflit sans précédent. Son analyse,très écoutée en raison de l'historique de cette association destinée àpromouvoir la recherche de haut niveau dans les universités. Or, sanshésiter, ce collectif renvoie la responsabilité de cette situationdramatique aux ministères de Valérie Pécresse et de Xavier Darcos. « Aprèstrois mois de conflit provoqué par le projet de décret sur le statutdes enseignants chercheurs et par le projet de réforme du recrutementdes maîtres, et au moment où ce conflit s'enlise ou se radicalise, ledébat tend à se concentrer sur les menaces qui pèsent sur la validationdu semestre universitaire. Le ministère comme le mouvement étudiant sefocalisent sur ce point, et les réformes en cours passent au secondplan. Pourtant, la validation automatique du semestre étantinacceptable, il devient de plus en plus urgent que soient levées, parla ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et par leministre de l'éducation nationale, les équivoques qui subsistent dansles textes en discussion. Le projet de décret sur le statut desenseignants chercheurs, dans sa quatrième version, reste ambigu dans sadéfinition du service de référence des enseignants chercheurs. Reportéed'un an, la réforme des concours semble maintenue. Ces incertitudesretardent la sortie de la crise. »

Pour le Snesup, il s'agitd'une nouvelle tentative de passer en force, avec la possibilité d'uneaccélération si le texte passait en Conseil des ministres dès mercrediprochain. Voici son communiqué :

Mardi 21 avril, le décret modifiant lesstatuts des enseignants-chercheurs doit être examiné par le Conseild'Etat. Le gouvernement, contraint par la mobilisation inédite de lacommunauté universitaire impulsée par le SNESUP d'infléchir son projetinitial notamment sur la question des promotions, prendra-t-il lerisque d'une énième provocation en l'inscrivant, le lendemain, àl'ordre du jour du conseil des ministres ? Le gouvernement tentera-t-ilun passage en force au milieu des vacances de printemps, comme il lefait en annonçant au CNESER ce matin, l'expertise des maquettes deMasters « enseignement » par les conseillers de la DGES alors quel'AERES a refusé de les examiner ?

Loin de protéger les enseignantschercheurs et de préserver les libertés scientifiques et pédagogiques,ce projet de décret les exposerait plus encore aux pressions locales età la concurrence avec leurs propres collègues, niant ainsi lesfondements de la collégialité. Faute de plafond de serviced'enseignement, l'individualisation par « la modulation » des servicesdes enseignants chercheurs se traduirait par l'alourdissement-sanctionde leur mission d'enseignement, avec un assentiment qu'ils n'auraientsans doute pas le choix de refuser ! Cette conception usurière de« modulation », dénoncée par le SNESUP, aggrave les inégalités entreles personnels. Elle se double d'un mode de recrutement tout aussinocif par des comités de sélection ad hoc, fabriqués par lesprésidents, pouvant changer d'un emploi à l'autre dans la mêmespécialité au sein d'un même établissement. Il ne s'agit en rien de lajuste reconnaissance dans le service d'enseignement de l'ensemble destâches qui se sont ajoutées au fil du temps aux activités desenseignants chercheurs et enseignants, revendiquée par le SNESUP.

Le SNESUP condamne la volonté de passeren force sur le projet de décret atomisant le statut des enseignantschercheurs et sur la réforme actuelle de la formation et du recrutementdes enseignants, exige leurs retraits, appelle à maintenir la pressionsur le gouvernement et à participer au rassemblement Mardi 21 avril à14h devant le Conseil d'Etat (1, place du Palais-Royal – 75001 Paris).Le SNESUP, appelle à la réussite :• de la journée nationale de manifestations du 28 avril prochain, enconvergence avec la coordination nationale des universités, le mêmejour que celle pour la défense du service public hospitalier,• des manifestations du 1er Mai exceptionnellement unitaires.Si le gouvernement persistait à vouloir passer en force contre lavolonté de la communauté universitaire, il aurait à assumer la lourderesponsabilité des conséquences des colères exacerbées par sesdécisions !

La Coordination nationale des universités s'est adressée aux membres du Conseil d'Etat pour leur demander de ne pas statuer sur le texte ou de le rejetter :

Mesdames et Messieurs les Conseillersd'Etat : refusez de statuer sur le décret des enseignants-chercheurs,contesté par l'écrasante majorité de la communauté universitaire !

La Section Administrative du Conseild'Etat va être appelée, mardi 21 avril, à examiner le projet de décretconcernant le statut de enseignants-chercheurs. Ce texte fait toujoursl'objet d'un rejet massif de la part de la communauté universitaire,comme en témoigne le mouvement de contestation qui anime lesuniversités françaises depuis des mois. Les différentes réécrituresqu'il a subies n'ont en rien modifié une logique qui, en voulantimposer une modulation de services nécessairement à la hausse dans uncontexte d'économie budgétaire, dénature le métierd'enseignant-chercheur et détériorerait les conditions d'enseignement àl'université. En outre, la mise en place d'une évaluation systématiquedes enseignants-chercheurs tous les quatre ans est toujours prévue,alors qu'elle est contre-productive et ne pourra s'effectuer que surdes critères quantitatifs ineptes. Avec le projet de contrat doctoral,la formation à l'enseignement supérieur et à la recherche setrouverait, elle aussi, dénaturée. Une modification profonde desconditions d'exercice d'un métier ne devrait pas pouvoir être décrétéesans un minimum de consensus et de sérénité.

En l'état actuel, il est ainsi permisde s'interroger sur l'opportunité administrative de statuer sur undécret qui suscite une telle opposition et dont la CoordinationNationale des Universités n'a cessé d'exiger le retrait. Une éventuellevalidation du décret par le Conseil d'Etat en pleine période devacances universitaires serait une marque supplémentaire de mépris àl'égard des universitaires, et viendrait confirmer l'impressionlargement partagée que Valérie Pécresse souhaite passer en force, sansentendre le rejet massif exprimé par la communauté universitaire.

En conséquence, la CoordinationNationale des Universités demande à la Section Administrative duConseil d'Etat de ne pas statuer sur la version actuelle du projetmodifiant le décret n° 84-431, sinon en délivrant un avis défavorable.

Pour le syndicat Autonome Supaussi, la balle est dans le camp de Valérie Pécresse, selon laconclusion d'un long plaidoyer pour son action depuis trois mois : « Pourconclure, dès le début du mouvement de protestation auquel nous avonsactivement participé nous avons limité nos revendications à ce qu'ilétait raisonnablement possible d'obtenir sans mettre en péril lesemestre des étudiants et nous avons déclaré que nous ne ferions riencontre l'intérêt des étudiants. C'est pourquoi, après la négociationsur le décret statutaire et le report de la réforme des concours, nousavons appelé à la reprise des enseignements, même s'il subsiste desincertitudes sur les concours (domaine où tout reste possible mais oùrien n'est acquis) et même si la révision de la loi LRU apparaît encorecomme bien lointaine, mais en demandant au pouvoir des signes clairsd'ouverture sur ces deux points. Arrivés à la mi-avril, nous n'avonstoujours pas eu ces signes et, comme nous le craignions, malgré uncertain essoufflement, le mouvement de blocage touche encore un nombreimportant d'universités, se radicalise et met en péril la validation dusemestre. Il est plus que temps de reprendre partout les cours, mais legouvernement porte une responsabilité majeure dans le pourrissement dela situation : en refusant les gestes qui s'imposent au plus vite, ilfait la politique du pire, dont les étudiants paieront lesconséquences. Cela, nous ne pouvons l'accepter, non plus que leternissement de l'image de l'Université française. »

***

"Valérie Pécresse relocalise l'évaluation... au ministère"

Valérie Pécresse a fait savoir aujourd'hui que les quelques maquettes de masters pour la formation des enseignants remontés des universités seront « analysée temporairement au ministère" ! Cette décision étrange est prise comme une provocation par Sauvons l'Université.

L'une des armes utilisées par les universitaires pourprotester contre la réforme de la formation et du recrutement desenseignants - baptisée "mastérisation" - a consisté à refuser derépondre à la demande du ministère de fabriquer les "maquettes" de cesformations. En jargon universitaire, une maquette est la description ducursus suivi par l'étudiant - intitulé, contenu et nombre d'heures descours à suivre. Lorsque le mouvement de contestation a pris del'ampleur sur ce sujet, un véritable sursaut de "désobéissance" s'estproduit.

Alors même que la plupart des présidences d'universitéavaient entamé le travail de fabrication de ces maquettes, le motd'ordre "refusons de faire remonter (au ministère) les maquettes" estdevenu un enjeu majeur non seulement pour résister à la mise en placede cette réforme, mais aussi pour jauger de l'ampleur de son refuscomme de la solidarité entre universités. Assez vite, en effet, il estapparu un risque énorme pour celles qui se seraient trouvées enconcurrence directe avec une voisine qui, elle, aurait déposé desmaquettes. Il fallait donc que ce refus soit massif et concerne lapresque totalité des universités... ce qui fut le cas, au grand dam duministère.

Devant ce refus massif, Xavier Darcos et Valérie Pécresse ont manoeuvré en recul, petit à petit, pour arriver à ce qui apparait comme le report d'un an de cette réforme.

Mais que faire des quelques maquettes, il semble quel'on en compte 17... dont près de la moitié provenant de l'enseignementcatholique, parvenues au ministère ? Ou plus exactement à l'Agence d'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche - l'AERES.Agence présentée par Valérie Pécresse comme l'un des moyens d'uneévaluation « indépendante » (sous-entendu autant du pouvoir politiqueque des syndicats) et donc gage de qualité et de sincérité. Or, ladirection de cette Agence, dans un sursaut de dignité et de sens duridicule aussi, a décidé de ne pas les évaluer.

Voici son communiqué du 10 avril à ce sujet :

« Le Conseil de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur réuni le 9 avril 2009 constate que :

► les dossiers déposés par les établissements ont étéconstitués en fonction du « cahier des charges » présenté dans lacirculaire du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherchedu 17 octobre 2008 et n'ont pu prendre en compte l'incidence sur ce« cahier des charges » des décisions prises par les ministres dans lecadre des négociations récentes avec la CPU et la CD IUFM, d'une part,et avec les syndicats, d'autre part ;

► seuls 9 universités, 2 Ecoles Normales Supérieures et 8 établissements privés ont déposé des dossiers ;

► sur 35 académies, seules 3 (Reims, Polynésie et Nouvelle Calédonie) ont une proposition complète ;

► la faible proportion de dossiers remontés (moins de10 % de l'offre potentielle) ne permet à l'Agence, ni une analyse paracadémie, ni une analyse nationale comparative par discipline.

En conséquence, l'AERES décide de ne pas évaluer les masters « métiers de l'enseignement » de la campagne actuelle. »

Devant cette décision, il eut été sage de renoncercomplètement et de trapper, pour cette année au moins, les raresmaquettes déposées. Mais le ministère a fait un autre choix, pour lemoins étrange et en totale contradiction avec son discours officiel surl'AERES. Ces maquettes seront donc "évaluées" (ce qui permettrait, sil'évaluation est favorable, de créer les premiers masters enseignementsvoulus par Darcos et Pécresse dès septembre 2009)... par la DGES,Direction générale de l'enseignement supérieur, autrement dit unservice ministériel. C'est du moins ce qu'affirme Sauvons l'Universitésur la base de ce qu'aurait annoncé monsieur Patrick Hetzel,directeur général de l'enseignement supérieur, aujourd'hui au CNESER(Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche).

Contacté par mes soins, le ministère réagit de manièreplutôt embarrassée. Son porte-parole parle d'abord "d'évaluation".Puis, seulement "d'analyse temporaire" de maquettes dont une partserait seulement des aménagements de cursus existants. Et souligne quede toute façon "le ministère ne sait ce qu'il y a dans ces maquettes"et qu'elles seront "soumise au CNESER pour leur habilitation".Rétropédalage ? Interprétation un peu forcée de SLU ? Difficile de lesavoir pour le moment. La suite éclaircira cet épisode.