Essai
Nouvelle parution
S. Smadja, Les Troubles du langage intérieur. Vers une linguistique clinique

S. Smadja, Les Troubles du langage intérieur. Vers une linguistique clinique

Publié le par Université de Lausanne (Source : Stéphanie Smadja)

Les Troubles du langage intérieur. Vers une linguistique clinique

Stéphanie Smadja

Paris, Hermann, coll. "Monologuer", 2020

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340 p.

35 €

ISBN : 979 1 0370 0303 4

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Le langage intérieur constitue le soubassement non seulement de nos usages langagiers mais aussi de nombreux aspects de notre vie quotidienne. Ne pas disposer des mots pour dire et se dire revient à se retrancher du monde comme de soi. Si le langage intérieur revêt des fonctions positives, telles que la planification ou la résolution de problèmes, il renvoie également à des fonctions négatives comme la rumination. Au-delà de ces fonctions, les troubles du langage intérieur restent très largement une terre inconnue, malgré les quelques explorations entreprises à la fin du xixe siècle. L’objectif de cet essai n’est pas de présenter des résultats cliniques (les recherches sont en cours) mais d’interroger l’évolution du champ à travers l’histoire et d’ouvrir des perspectives interdisciplinaires. Entre linguistique, neurolinguistique, littérature, philosophie, médecine, histoire des sciences, le trajet proposé commence par un tableau général et se poursuit à travers plusieurs exemples : aphasies, bégaiement, dyslexie, hallucination auditive verbale, rumination, stress post-traumatique. Les récits de cas ou d’expériences sont issus de lectures, des protocoles Monologuer, ou de représentations artistiques (Beauvoir, Cocteau, Novarina).

Stéphanie Smadja est maître de conférences HDR à l’université de Paris en linguistique et en stylistique. Elle travaille sur les innovations stylistiques en prose aux xixe-xxie siècles et sur le langage intérieur entre art et vie réelle (formes, fonctions, troubles). Responsable du programme interdisciplinaire Monologuer, elle œuvre, en linguistique clinique, à la création de thérapies endophasiques.

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Extrait de l’introduction

Sans langage, a fortiori sans langage intérieur, difficile de communiquer clairement avec les autres mais aussi avec soi. Chez les enfants, les retards ou les troubles de l’acquisition du langage peuvent entraver le développement de la personnalité comme des capacités cognitives et intellectuelles. Les conséquences n’impliquent pas seulement la réussite scolaire mais aussi plus largement la capacité de l’enfant à créer des liens et à s’insérer socialement, sa capacité à construire sa vie, à résoudre des problèmes, à prendre des décisions, son rapport à ses propres émotions et à soi. Chez les adultes, la survenue de troubles du langage peut aboutir à un isolement plus ou moins marqué, à une véritable mise en danger de l’emploi comme de la possibilité même d’être employé, à une rupture des liens sociaux voire affectifs. Les conséquences sur la représentation de soi sont multiples, et, souvent, plutôt négatives. Certains patients transforment cependant cette rupture de vie en occasion de se recréer et de se réinventer, différemment : tel est le cas de la neurobiologiste Jill Bolte Taylor dont le témoignage[1] constitue à la fois une prévention de l’aggravation des cas d’accident vasculaire cérébral (AVC), une méthode de rééducation originale et une leçon de vie, au-delà de cette seule atteinte (voir chapitre deux).

Je n’aborderai pas ici l’ensemble des troubles du langage intérieur (voir dans le chapitre un l’esquisse de tableau récapitulatif) : il s’agit là d’une série d’études cliniques à venir. Je ne reprends pas non plus les états de l’art que je développe dans mes autres ouvrages, auxquels je renvoie au fur et à mesure. J’ai choisi des exemples précis, que je développe soit pour interroger l’absence de prise en compte du langage intérieur, soit pour élaborer des hypothèses cliniques et thérapeutiques. Lorsque je n’aborde pas un cas précis, ma démarche est celle de la méta-analyse tant pratiquée par les Anglosaxons, c’est-à-dire une synthèse et des hypothèses à partir de l’état de l’art, encore assez restreint, sur le langage intérieur et le trouble considéré. Mon objectif est ainsi de poser des jalons dans plusieurs directions : la nécessité de distinguer les troubles du langage intérieur des troubles du langage extérieur, les seuls véritablement répertoriés et connus ; l’importance clinique de thérapies endophasiques ; enfin, le caractère incontournable d’une discipline qui est représentée à l’étranger mais pas en France, la linguistique clinique.

Les cas que j’analyse sont issus de lectures, comme le témoignage de Jill Bolte Taylor sur son aphasie totale, ou des protocoles Monologuer[2], tels que nous les développons depuis 2014 (le programme Monologuer[3] dans son ensemble existe depuis 2010) et tels que nous les appliquons notamment dans différents cadres hospitaliers (à Necker et à Saint-Louis) ou en lien avec des ONG (Médecins du Monde ou le Samu social). J’évoque également des représentations littéraires et théâtrales. […]

Une altération brusque du langage chez l’enfant ou l’adulte est généralement le signe d’une affection grave : il faut impérativement consulter sans perdre de temps, notamment pour vérifier si ce trouble du langage n’est pas le symptôme d’une atteinte cérébrale.

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Table des matières

Introduction........................................................................................... 5

I.         Troubles du langage parlé et écrit : quelle place pour le langage intérieur ? ..................... 13

1.      Le langage intérieur : formes et fonctions ........................... 18

2. Les troubles du développement ou dysphasies .................. 25

3. Les troubles à l’âge adulte .......................................................... 34

II. Aphasies et langage intérieur ........................................... 41

1.      Des aphasies .................................................................................... 45

2. Aphasies et langage intérieur : cas et observations ........ 110

3. L’aphasie totale ............................................................................ 118

III. Hallucinations auditives verbales et Entendeurs de voix …………………… 135

1.      Les hallucinations auditives verbales .................................. 137

2. Les entendeurs de voix (voice hearer) .................................. 155

IV. Ruminations .............................................................................. 173

1.      La rumination dans la vie quotidienne .............................. 175

2. Représentations artistiques de ruminations ..................... 186

3. Ruminations et maux physiques ou psychiques en milieu hospitalier ……….. 195

V. Linguistique clinique et thérapies endophasiques :

un défi épistémologique et clinique, pour le mieux-être des patients ......... 207

1.      Les maux du corps et les mots intérieurs .......................... 208

2. Le cancer du sein : quelques hypothèses de recherche ………………………… 210

3. Exemple d’exercices endophasiques : l’écriture émotionnelle (emotional writing),

un effet sur la santé physiologique ? ..................................... 219

Conclusion .......................................................................................... 227

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Bibliographie ...................................................................................... 233

Glossaire................................................................................................ 303

Index des noms propres................................................................317

Index des notions............................................................................321

Listes .......................................................................................................335

Liste des extraits de carnets endophasiques.............................335

Liste des illustrations........................................................................337

Liste des tableaux...............................................................................339

Liste des schémas...............................................................................341

 

[1] Bolte Taylor Jill, My Stroke of Insight: A Brain Scientist's Personal Journey, Londres, Hodder and Stoughton, 2008.

[2] Voir Smadja Stéphanie, « Le langage intérieur : un nouveau protocole d’enquête. Fait linguistique et fait endophasique », in Stéphanie Smadja, Pierre-Louis Patoine (dir.) Épistémocritique, n° 18 : Langage intérieur / Espaces intérieur, Inner Speech / Inner Space, 2018 [http://epistemocritique.org/investigating-inner-speech-a-new-protocole-linguistic-and-inner-speech-fact-le-langage-interieur-un-nouveau-protocole-denquete-fait-linguistique-et-fait-endophasique/].

[3] https://cerilac.u-paris.fr/monologuer