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Œuvres-mémoires au cinéma et dans les arts de la scène (Séminaire doctoral, Grenoble)

Œuvres-mémoires au cinéma et dans les arts de la scène (Séminaire doctoral, Grenoble)

Publié le par Marc Escola (Source : Anaïs Tillier)

Séminaire doctoral

Œuvres-mémoires au cinéma et dans les arts de la scène 

En ligne sur inscription auprès de celia.jerjini@univ-grenoble-alpes.fr et anais.tillier@univ-grenoble-alpes.fr 

Première séance : Mardi 1er mars 2022 – salle 220 MaCi. 14

Célia Jerjini et Anaïs Tillier – Présentation et introduction du séminaire

Hélène Godin (Univ. Grenoble Alpes, Litt&Arts) « Images manquantes, images mangées. Esthétique de la dévoration et de l’embaumement chez Manoel de Oliveira dans Belle toujours (2007) »

Cette communication expose les nuances de l’esthétique oliverienne à travers le traitement de la mémoire. Seront analysés les procédés qui érigent le rituel du repas en cérémonie d’anamnèse.

Marilena Karra (Univ. Toulouse Jean Jaurès II / Univ. Panteion d’Athènes) : « Résurrection et mémoire dans le paradigme de l’histoire figurale de Jean-Luc Godard »

L’intervention proposée vise à examiner les concepts de résurrection et de mémoire dans le cadre de l’œuvre de Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma (1988-1998). Ces deux concepts, intrinsèquement liés entre eux, et dans le milieu d’une histoire figurale, c’est-à-dire d’une histoire fabriquée par et à travers les figures, soulignent comment et pourquoi le cinéma, dans la tragédie de l’histoire du XXème siècle, possède une mission rédemptrice en se révélant comme une remémoration vivante de tout ce qui est mort et oublié.


Deuxième séance : Mardi 5 avril 2022 – salle de conférence Médiat. 14h

Maïwenn L’Haridon (Univ. Lyon 2) : « Cité de mémoire dans les Troyennes d’Euripide : mémoire des lieux et traumatisme des crimes, du personnage au spectateur »

Les personnages des Troyennes d’Euripide évoquent différents lieux de la cité troyenne qu’ils érigent en lieux de mémoire paradoxaux. S’opère en effet sur scène une déambulation commémorative, quand les personnages, en les nommant, convoquent aussi le souvenir des crimes qui s’y sont déroulés, un souvenir traumatique qui met en mouvement les corps et suscite les cris de désespoir. Toutefois, seul le pouvoir de la parole fait encore subsister ces lieux et la victoire des Grecs les voue à la destruction : les personnages en sont d’ores et déjà exclus, et la dissolution de la cité met aussi en péril la survie de ces lieux dans la mémoire collective. Nous montrerons comment la mémoire traumatique de la disparition de Troie grave le nom de cette cité dans la mémoire des spectateurs qui deviennent à leur tour les garants de son immortalité.

Kieran Puillandre (Univ. Grenoble Alpes, LITT&ARTS) : « Aller, temps mort, et retour : Mémoires en route chez Abbas Kiarostami »

Sitôt qu’on l’examine de près, la notion de mémoire au cinéma raisonne, se dédouble de l’intérieur : comment les images transportent-elle la mémoire ? Comment la mémoire transporte-t-elle les images ? Deux films viennent se croiser au carrefour de ces questions : Abbas Kiarostami, vérités et songes (1994) et Roads of Kiarostami (2005), et se répondent mutuellement : Roads of Kiarostami transporte la mémoire le long de ses routes, et l’épisode de la collection « Cinéastes de notre temps » pérennise l’œuvre du réalisateur. Deux films aux croisements des regards et des mémoires, de la photographie et du cinéma.

Troisième séance : Mardi 3 mai 2022 – salle Jacques Cartier. 14h

Marion Guyez (Univ. Grenoble Alpes, LITT&ARTS)

Répondant à notre invitation, Marion Guyez, maîtresse de conférences, nous parlera de la notion de mémoire dans le contexte du cirque (comment la création est-elle un moyen pour le cirque de travailler et véhiculer sa propre histoire ?) et du spectacle Tôle story, de la Compagnie d’Elles, dont elle est la dramaturge.

Thomas Vallois (Univ. de Strasbourg) : « Le traumatisme de la guerre 1937-1945 dans le cinéma japonais : à propos de quelques figures indociles de la mémoire »

Si les films réalisés au sortir du conflit, dans un souci de cohésion nationale doublé d’une volonté curative, se tournent vers l’avenir en rejetant dans l’ombre les traces de l’impérialiste d’antan, certaines images semblent porter la marque d’un traumatisme non résolu. À travers des exemples précis, pris à différents moments de l’histoire du cinéma japonais, cette communication essayera de suivre le destin de quelques figures de la mémoire de la guerre en portant une attention particulière à leur manière d’imposer une résistance formelle contre tout récit historique dominant.

Quatrième séance : Mardi 7 juin 2022 – salle de conférence Médiat. 14h

Léa Andreolety (Univ. Grenoble Alpes, LITT&ARTS) : « La mémoire de l’apprentissage corporel en soins infirmier » – ouverture thématique

Je propose d’étudier la mémoire plurielle, qu’elle soit expérientielle ou théorique, relative à la mise en apprentissage du corps au travers de la voix des formateur·ice·s et étudiant·e·s, passé·e·s par la formation en soins infirmiers du CHU de Grenoble sur plusieurs décennies (1980 à 2020). De la visite des abattoirs pour tester la « résistance à la morbidité » à l’incorporation de pratiques somatiques à la maquette de formation, je souhaite revenir sur l’expérience d’apprentissage du corps infirmier, au travers des récits des formateur·ice·s et ancien·ne·s étudiant·e·s, la façon dont la mémoire persiste ou non et comment elle influe sur leur activité professionnelle, de soin ou de formation, actuellement.

Hermann Essoukan Epée (Univ. Grenoble Alpes, LITT&ARTS) : « Poétique de la mémoire chez Jean-Daniel Pollet, Chris Marker et François L. Woukoache : entre réinvention, ressuscitabilité, hybridité et exploration de l’invisible »

Cette communication présente différentes correspondances spatio-temporelles entre les mémoires-Monde, plurielles et mosaïques d’hier et d’aujourd’hui, issues des films Méditerranée de Jean-Daniel Pollet, Sans soleil de Chris Marker et Asientos de François L. Woukoache. À travers des actes de réinvention, de ressuscitabilité et de remémoration (imaginative – ce qui est créée ou inventée – et imaginal – ce qui est révélée et spiritualisée -) non représentatives et non reconstitutives, elles laissent émerger une poétique de la mémoire propre à ces ciné-poètes et à leurs œuvres.

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Cinéma, théâtre, cirque ou danse ont un lien très fort avec l’Histoire. Or, l’écart entre le dit et le montré, entre discours et figurations, représentations et infigurabilité au cinéma comme dans les arts de la scène, permet de questionner la puissance des images en tant que vectrices de mémoires. Elles sont partages d’un sensible discontinu à la faveur « d’une expérience partagée d’un ‘‘monde en commun’’ » (Sylvie Rollet[1]). Qu’il s’agisse d’œuvres constituées à partir d’archives, de récits à la première personne, ou bien encore de gestes chorégraphiques, les créations que nous aborderons au cours de ce séminaire doctoral appartiennent à ces œuvres-témoignages ainsi qu’à ces œuvres-déchirures à la dimension historico-critique. 

Sur les scènes européennes, les formes radicales post-dramatiques de la fin du XXe siècle – théâtre visuel, de la « matière » (Bruno Tackels[2]), « formes nouvelles impures et contaminées » (Pierre Frant[3]) – cohabitent désormais avec un théâtre de la parole et de l’intime. Les images, si elles sont bien là, se font discrètes, au service d’une parole intime directement adressée au public, dans des dispositifs de témoignages. Les scènes contemporaines accueillent des personnages qui se font narrateurs et se racontent plus au public qu’ils ne se montrent. Là où les spectacles très visuels de Roméo Castellucci ou Rodrigo Garcia, entre autres, entrainent le public dans un rapport au monde parfois brutal et surtout immédiat, ceux de Wajdi Mouawad ou Simon Abkarian mettent en avant une voix, celle d’un personnage qui s’entremêle dans la leur, questionnant ainsi un passé traumatique (guerre, captivité, trahison) raconté dans le présent du spectacle à travers des dispositifs sobres, à la limite du plateau nu. Il ne s’agit alors pas de montrer la guerre ou la violence du monde mais de faire entendre des voix particulières, qui convoquent une mémoire collective.

Le cinéma comme les arts de la scène peut être lieu de mémoires. Dans les films de Jean-Daniel Pollet, ce sont les remous organiques, les marques matérielles du temps qui viennent creuser les blessures d’une mémoire collective. Dans ceux de Danielle Huillet et Jean-Marie Straub, des mémoires frémissantes surgissent de lieux habités et fragmentés par le mouvement des corps, le son de leurs voix et leurs paroles. Souvent, ils font émerger un regard individué à travers l’expérience d’une déchirure. C’est, autrement, par les trous de l’Histoire, les corps sacrifiés, que nous entrons dans les réalisations de Jean-Luc Godard depuis au moins ses Histoire(s) du cinéma. En rendant visible l’invisible, ses films prolongent une tradition chrétienne de l’incarnation tout en la faisant disparaître. Avec son amoncellement, puis son fracas, ce cinéma du saisissement scelle la fin de l’Erfahrung, l’« expérience transmise », par son engouffrement dans l’Erlebnis, l’« expérience vécue » éphémère et chaotique des sociétés modernes (Walter Benjamin[4]). 

Les corps recomposés et décomposés, le découpage, l’assemblage, les mises en contact traumatiques participent du dévoilement, du geste d’ouverture qui nous offre à un monde éclaté autant qu’il nous déchire. Ces œuvres-mémoires s’ouvrent à nous et se referment sur nous dans la mesure où « [elles] suscitent en nous une expérience intérieure marquée par [...] la béance » (Georges Didi-Huberman[5]). Entrer dans ces théâtres et ces cinémas des ordres précaires, les dévoiler afin de rendre compte des mémoires qui les habitent et qui nous habitent, nous hantent, est l'objet de ce séminaire. 
Comment appréhender ces expériences ouvrantes ? Comment concevoir ces œuvres-mémoires et leurs déchirures ? Quels transports mémoriels engendrent-elles ? 
Ces questionnements s'inscrivent plus largement dans une actualité artistique et politique qui interroge notre rapport aux images et à leurs réemplois. Alors que nous assistons à une mise en concurrence des mémoires dans nos sociétés hyper-modernes où explosent le nombre d’images et de témoignages co-existants, que faire aussi du régime d’images « amateur » postées sur le net, et de leurs réceptions par d'autres potentiel·le·s actant·e·s de l’Histoire ? Quelle(s) place(s) leur accorder ? Comment appréhender l’excès de mémoires et les déchirures qu’il provoque ? Et que faire des voix des témoins qui s'invitent sur scène ? Comment les appréhender ? Que faire aussi du réemploi de ces images et de ces voix au théâtre et au cinéma, où la répétition brouille l’authenticité ?

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Modalités pratiques

Ce séminaire doctoral organisé au sein du laboratoire Litt&Arts est plus largement ouvert à tous·tes les doctorant·e·s en arts de la scène et en études cinématographiques, ainsi qu'aux doctorant·e·s en arts visuels et performatifs, ou en histoire de l'art.

Les séances d’une durée de 2H se dérouleront sur le campus de l’Université Grenoble Alpes. 

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Notes

[1] Sylvie Rollet, Théo Angelopoulos, au fil du temps, revue Théorème n°9, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2007, p.8.
[2] Bruno Tackels, Les écritures de plateau, états des lieux, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2015.
[3] Pierre Frantz, « Le théâtre est-il un art de l’image ? », Critique 8/9, 2005.
[4] Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in Œuvres III, trad. Maurice de Gandillac, Rainer Rochliz et Pierre Rush, Paris, Gallimard, 2000, pp.377-378.
[5] Georges Didi-Huberman, L’image ouverte, motifs de l’incarnation dans les arts visuels, Paris, Gallimard, 2007.
 
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Bibliographie indicative 

AUMONT Jacques, AMNESIES. Fictions du cinéma d’après Jean-Luc Godard, Paris, P.O.L, 1999.
AUMONT Jacques, Doublures du visible, voir et ne pas voir en cinéma, Presses Universitaire du Septentrion, 2021.
BENJAMIN Walter, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in Œuvres III, trad. Maurice de Gandillac, Rainer Rochliz et Pierre Rush, Paris, Gallimard, 2000.
DIAZ Sylvain, Dramaturgies de la crise : XXe-XXIe siècles, Paris, Classiques Garnier, 2017.
DIDI-HUBERMAN Georges, Quand les images prennent position. L’œil de l’histoire 1, Paris, Editions de Minuit, 2009.
DIDI-HUBERMAN Georges, Remontage du temps subi. L’œil de l’histoire 2, Paris, Editions de Minuit, 2010.
DIDI-HUBERMAN Georges, Atlas ou le gai savoir inquiet. L’œil de Histoire 3, Paris, Editions de Minuit, 2011.
DIDI-HUBERMAN Georges, Ecorces, Paris, Editions de Minuits, 2011.
DIDI-HUBERMAN Georges, Peuples exposés, peuples figurants, L’œil de Histoire 4, Paris, Editions de Minuit, 2012.
DIDI-HUBERMAN Georges, Passés cités par JLG, L’œil de Histoire 5, Paris, Editions de Minuit, 2015.
DIDI-HUBERMAN Georges, Peuples en larmes, peuples en armes, L’œil de Histoire 6, Paris, Editions de Minuit, 2016.
DIDI-HUBERMAN Georges, Ninfa dolorosa. Essai sur la mémoire d’un geste, Paris, Gallimard, 2019.
FERAL Josette (dir), L'acteur face aux écrans : corps en scène, Paris, L'Entretemps, 2018.
FRANTZ Pierre, « Le théâtre est-il un art de l’image ? », Critique 8/9, 2005.
PICON-VALLIN Béatrice, Les écrans sur la scène : tentations et résistances de la scène face aux images - études et témoignages, Lausanne, Age d’homme, 1998. Réimp. 2009.
PICON-VALLIN Béatrice, La scène et les images, CNRS Edition, 2001.
PREDAL René, Quand le cinéma s’invite sur scène, Paris, Éditions du Cerf, 2013.
ROLLET Sylvie, Théo Angelopoulos, au fil du temps, revue Théorème n°9, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2007.
ROLLET Sylvie, Une éthique du regard, Paris, Hermann, 2011.
SAVELLI Julie, « Peuples de l'image », Entrelacs [En ligne], 12 | 2016, mis en ligne le 19 avril 2016. DOI : https://doi.org/10.4000/entrelacs.1942.
SERMON Julie et RYNGAERT Jean-Pierre, Théâtres du XXIe siècle : commencements, Paris, Armand Colin, 2012.
TACKELS Bruno, Les écritures de plateau, états des lieux, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2015.