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Romantisme : "Sodome et Gomorrhe"

Publié le par Marion Moreau (Source : Éric BORDAS)

 Revue Romantisme : "Sodome et Gomorrhe"

Appel à contribution pour un prochain numéro de Romantisme sur le thème « Sodome et Gomorrhe » (2013-1).


L'homosexualité est dix-neuviémiste. Puisque le mot aux bases greco-latines homosexualité est inventé en 1869 par un écrivain militant d'expression allemande, Kertbeny, pour désigner les pratiques sexuelles entre individus du même sexe, dans un libelle demandant à l'Allemagne du nord la dépénalisation des « relations sexuelles entre hommes » (sic). Mais c'est l'appropriation du néologisme par le sexologue Richard von Krafft-Ebing, en 1887, dans la seconde édition de son encyclopédie des déviations sexuelles, qui lui vaut de tomber, très vite, dans le domaine « grand public » : d'une affirmation revendicatrice pro-gay (dit-on aujourd'hui : voir Halperin, 2003), on est passé à une désignation clinique. Une dizaine d'années plus tard, les travaux scientifiques de Magnus Hirschfeld, ses enquêtes et ses analyses de cas, réunissent empirisme et ambitions politiques. Au même moment, Freud propose des modèles théoriques généraux pour expliquer les constitutions sexuelles identitaires individuelles et collectives, entre normativité et invention.
C'est dire, ou plutôt rappeler, que la figure de l'homosexuel est inséparable du passage spectaculaire du XIXe au XXe siècle : les provocations mondaines d'un Lorrain, d'un Montesquiou, les ambiguïtés volontaires d'un Loti, se développent à l'ombre des scandales européens que sont le procès d'Oscar Wilde (1895) puis l'affaire Eulenburg (1907-1909).
Mais la vérité des dates ne doit pas faire oublier que si « l'homosexualité » apparaît, dans les discours et dans les consciences, dans ces dernières années, objet désormais configurable pour une ancestrale disponibilité de l'imaginaire, c'est tout le XIXe siècle qui rêva des « homosexualités », ces amours entre personnes de même sexe, pour en haïr l'idée ou pour s'y laisser voluptueusement aller − la différence, à cet égard, est telle que l'on peut et doit hésiter à réunir sous le même désignateur ontologique et générique le cas masculin et le cas féminin : voir l'opposition radicale illustrée par un roman comme La Curée.
L'homosexualité se pense donc aussi et d'abord à travers des repères historiques, en particulier, comme on le sait depuis Foucault, l'histoire de la médecine et de la psychiatrie, et l'histoire du droit. Elle est soumise à des représentations populaires, en particulier par la presse, lors de certaines « affaires », mais aussi la chanson, les caricatures, et, bien sûr, aux configurations identitaires des arts (littérature et peinture, principalement – la musique pose tous les problèmes des sémiotiques non sémantiques). On voudrait, en somme, dans ce volume réfléchir à une historicité dix-neuviémiste de l'homosexualité.

En refusant toute étude strictement monographique, et, surtout, en tenant absolument compte des désignations langagières contemporaines pour circonscrire l'objet pensable, les axes de travail pourraient être les suivants − un effort particulier devrait être fait pour couvrir l'ensemble du siècle, même si les documents sont beaucoup plus nombreux à partir de 1870 :

1. Vocabulaire : désignation, dénomination, description. La chose et les mots – mais aussi les choses et leurs mots, pour des pratiques précises : sodomie, homosexualité active, passive, pédérastie, lesbianisme, etc.

2. Énonciation et analyse de discours : caractérisation et modalisation – qui est aussi une modélisation. Comment parle-t-on de l'homme qui « n'aime pas les femmes » (Vautrin), de la femme qui n'aime pas les hommes ? L'homosexuel dans les dictionnaires, dans les livres d'histoire ; le grand homme homosexuel.

3. Représentation : la pensée du sujet en tant qu'individu, groupe, race, etc., en particulier sa place dans la cité, dans la collectivité (le cas de l'armée et son homoérotisme respectable, le collège et le pensionnat, le couvent ; villes et homosexualité ; Europe et Amérique).

4. Historique de l'implicite :

5. Droit, médecine, police : les discours de référence ; politisation de la question ; censure ; classes sociales ; homosexualité et aristocratie/bourgeoisie/prolétariat/paysannerie ; permissivité et répression.

6. Fantasmes : de la désignation à la déformation, de la connaissance à l'invention. Le rôle de la presse (mise en scène de l'affaire Verlaine/Rimbaud, etc.) ; l'horreur ; le rire.

7. Paroles d'homosexuels : en art ou non, les quelques cas de témoignages, d'écritures intimes et autres ; d'où parle-t-on ? problèmes d'édition, etc. Styles : misérabilisme ou auto-dérision.

Bibliographie indicative :

ANGENOT, Marc (1986) : Le Cru et le faisandé. Sexe, discours social et littérature à la Belle Époque, Bruxelles, Labor.
BERTHIER, Philippe (1979) : « Balzac du côté de Sodome », L'Année balzacienne 1979, Paris.
BONNET, Marie-Jo (2001) : Les Relations amoureuses entre les femmes (XVIe-XXe siècles), Paris, Odile-Jabob.
BORDAS, Éric (2006) : « Censure juridique et littérature homosexuelle », in J.-J. Lefrère & M. Pierssens (éd.), La Censure, Tusson, Du Lérot, pp. 107-113.
BORDAS, Éric (2007) : « Hugo homo ? », in C. Millet et al. (éd.), Choses vues à travers Hugo, Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, pp. 241-251.
CHAUNCEY, George (2003) : Gay New York, 1890-1940, traduction, Paris, Fayard.
ERIBON, Didier (éd.) (2003) : Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Paris, Larousse.
FOUCAULT, Michel (1976) : Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir, Paris, Gallimard.
HALPERIN, David (2003) : « Homosexualité », in D. Eribon (éd.), op. cit., pp. 256-259.
HOUBRE, Gabrielle (1990) : « Prémices d'une éducation sentimentale : l'intimité masculine dans les collèges (1815-1848) », Romantisme, Paris, n° 68, pp. 9-22.
LAFORGUE, Pierre (1998) : L'Éros romantique. Représentations de l'amour en 1830, Paris, PUF.
LEJEUNE, Philippe (1987) : « Autobiographie et homosexualité en France au XIXe siècle », Romantisme, Paris, n° 56, pp. 79-100.
MOZET, Nicole (1990) : « Une lecture structurale de La Fille aux yeux d'or », in N. Mozet, Balzac au pluriel, Paris, PUF, pp. 124-142.
MURPHY, Steve (2005) : édition critique de Verlaine, Hombres, Béziers, H&O éditions.
PENISTON, William : Pederasts and Others : Urban Culture and Sexual Identity in Nineteenth-Century France – références ?
REVENIN, Régis (2005) : Homosexualité et prostitution masculines à Paris, 1870-1918, Paris, L'Harmattan.
ROBB, Graham (2003) : Strangers. Homosexual Love in the Nineteenth Century, New York-London, Norton.
SCHEHR, Lawrence R. (1995) : Alcibiades at the Door. Gay Discourses in French Literature, Stanford, Stanford University Press.
SCHEHR, Lawrence R. (1995) : The Shock of Men. Homosexual Hermeneutics in French Writing, Stanford, Stanford University Press.
SEDGWICK, Eve Kosofsky (1990) : Epistemology of the Closet, Berkeley, University of California Press.
TAMAGNE, Florence (2000) : Histoire de l'homosexualité en Europe, Berlin, Londres, Paris, 1919-1939, Paris, Seuil.
TAMAGNE, Florence (2001) : Mauvais genre ? Une histoire des représentations de l'homosexualité, Paris, La Martinière.
TAMAGNE, Florence (2002) : « Homosexualités, le difficile passage de l'analyse des discours à l'étude des pratiques », Histoire & sociétés, Paris, n° 3, pp. 6-21.
TIN, Louis-Georges (éd.) (2003) : Dictionnaire de l'homophobie, Paris, PUF.
WOODS, Gregory (1998) : A History of Gay Literature. The Male Tradition, New Haven-London, Yale University Press.

Les PROPOSITIONS d'études sont à envoyer à Éric BORDAS (École normale supérieure de Lyon) d'ici à MAI 2011 (dernier délai) : titre, sujet, argumentaire de 1 000 à 2 000 signes. Les articles eux-mêmes seront ensuite à rendre en MAI 2012 et seront soumis à une double expertise, selon les usages de la revue. Les articles ne devront pas dépasser 30 000 signes (espaces compris).