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Revue des Lettres Modernes sur Barbey d'Aurevilly, n°24 sur les Memoranda. 

Revue des Lettres Modernes sur Barbey d'Aurevilly, n°24 sur les Memoranda.

Publié le par Romain Bionda (Source : Alice De Georges)

Appel à contributions

La Revue des Lettres Modernes, Barbey d’Aurevilly
Pascale Auraix-Jonchière dir.,
n° 24, Memoranda, responsable Alice De Georges,
Paris, Minard, 2019.

            Le numéro 24 de La Revue des Lettres Modernes sur Barbey d’Aurevilly sera consacré aux Memoranda, journal intime passionnant et pourtant peu visité par la critique littéraire.

Si Jules Barbey d’Aurevilly déploie dans ses romans une écriture tortueuse et baroque, son journal intime trace les lignes plus sobres d’un style épuré. Pourtant, sa prose, très différente de celle du texte romanesque, établit des liens récurrents avec l’écriture fictionnelle. Les Memoranda – lente promenade mélancolique dans les voies de l’intime – trouvent pleinement leur place dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly, entre le romanesque capricant et violent d’un côté et les articles polémiques de l’autre. L’actualité de cette œuvre est d’autre part mise en évidence par les diverses rééditions des romans et nouvelles de Barbey d’Aurevilly, par celle de son œuvre critique aux Belles Lettres par Pierre Glaudes et Catherine Mayaux, ainsi que par celle des Memoranda par Philippe Berthier en 2015 chez Bartillat.

Ce dernier ouvrage est d’autant plus précieux que Philippe Berthier y adjoint un « Memorandum ante primum » composé de deux textes qui avaient été publiés indépendamment des Memoranda. L’édition rassemble ainsi pour la première fois l’intégralité du journal débarrassé de quelques erreurs ou transformations postérieures à leur rédaction. Les deux premiers memoranda, copiés par Trebutien puis édulcorés par Louise Read, souffraient de distorsions que Philippe Berthier corrige en signalant les interventions de cette première éditrice. Quant au Cinquième Memorandum, il n’avait été publié dans son intégralité qu’en 2001. La présentation du texte, les notes et la notice sont accompagnés d’une bibliographie succincte qui répertorie les ouvrages et articles récents sur cette œuvre.

Chaque Memorandum est conçu comme une conversation intime avec un ami privilégié et offre la particularité d’être rédigé en vue d’une éventuelle publication. Si bien que la lettre privée y côtoie l’adresse à un lectorat plus large, l’épanchement des émotions secrètes se prolonge sur la scène publique. Mais ce sont aussi les notations de la vie quotidienne qui ouvrent les portes vers l’écriture de fiction. Le lecteur se voit porté par le charme particulier de ce journal intime où la banalité du quotidien se prolonge en ébauches romanesques, où la retenue du style poétise le moindre acte retranscrit, où l’enregistrement des événements les plus anodins vaut pour déclaration amoureuse. 

Le Memorandum ante primum (6 avril-20 juin 1835) inscrit d’emblée l’écriture fictionnelle au cœur de l’écriture intime en dépeignant la rencontre décevante de Barbey avec Armance qu’il compare à la Lélia de Sand. Et si la vie se jauge en regard de la littérature, c’est que l’une procède de l’autre et inversement.

C’est ainsi que le Premier Memorandum (13 août 1836-6 avril 1838) écrit, comme le second, à la demande du poète Maurice de Guérin est un dialogue à trois entre ce poète tant aimé, la sœur de ce dernier, Eugénie, et Barbey d’Aurevilly. Et puisque la sœur du poète rédigeait elle aussi un journal intime pour son frère, l’écriture intime y tisse un réseau circulaire. Les femmes croisées en ville ou dans les salons mondains sont l’occasion d’ébaucher des trames romanesques.

Les teintes s’assombrissent dans le Deuxième Memorandum (13 juin 1838 - 22 janvier 1839) où « le scepticisme et l’indolence ont anéanti tout ce qui palpitait en [Barbey] autrefois » (201). La poésie des impressions y libère un parfum moins doux, les déceptions et le sentiment de vacuité sont plus acérés. La stérilité de cœur qu’il éprouve dans ces romans (im)possibles inspirent la rédaction de Germaine dont on suit les méandres au fil du journal.

Le Troisième memorandum (28 septembre-8 octobre 1856) change de destinataire. Trebutien en est le dédicataire officiel et Mme de Bouglon la dédicataire implicite. Les tableaux de feuilles mortes sans mélancolie – « Rien vu dans ma randonnée sur le Cours, qu’un bon homme qui balayait la poussière et les feuilles tombées, empiétant sur le travail du vent et du temps ! – Du reste, pas une femme, - l’ornement de toutes choses ! – un chapeau rose fané qui s’en allait, je crois, juché sur de longs pieds puce » (350) – y côtoient de superbes ekphraseis. Le « dilettante d’architecture […] barbare à sensations » (363) nous conduit, aux côtés de Trebutien, d’églises en musées pour commenter avec force détails les curiosités architecturales et picturales que l’on y croise.

Changeant de destination, c’est à Port-Vendres aux côtés de Mme de Bouglon que Jules Barbey d’Aurevilly rédige le Quatrième memorandum (16-28 septembre 1858). Il y constate la déchéance des paysages, leur dégradation à cause du tourisme, leur platitude en comparaison de la Normandie. Cependant, ce dédain n’en est pas moins l’occasion de peindre de magnifiques paysages marins, teintés des couleurs de l’ennui. Le dialogue avec la fiction s’y retrouve encore. Un portrait de vieille femme rencontrée sur la plage prolonge les romans aurevilliens en faisant signe vers Hermangarde. La réalité procède de l’écriture romanesque bien mieux que les romans eux-mêmes.

C’est ainsi que les scènes d’Une vieille maîtresse se rejouent encore dans le Cinquième memorandum (30 novembre-18 décembre 1864), au cours d’une journée d’excursion à Barneville. Écrit pour l’Ange Blanc, ce dernier journal intime dépeint la longue déchéance du père de Barbey, les dernières promenades à Saint-Sauveur, et de longues soirées auprès de Léon pour se consoler de ce spectacle désolant.

En définitive, un charme envoûtant se dégage des Memoranda où le lecteur est invité à une conversation intime, au coin du feu, avec Barbey d’Aurevilly. Porté par la douce mélancolie des tableaux intimes qui se succèdent sous ses yeux, il peut imaginer les romans que Barbey n’a pas eu le temps d’écrire.

 

Deux points majeurs semblent pouvoir offrir l’occasion d’une étude à la fois stimulante et cohérente des Memoranda. Il s’agirait d’envisager, par exemple, les liens qui s’instaurent entre le journal intime et l’œuvre romanesque aurevillienne.

1 – Les Memoranda peuvent être lus comme une propédeutique ou un prolongement de l’œuvre de fiction. Certains scenarii ébauchés se révèleront une source d’inspiration romanesque et se retrouveront, transformés et amplifiés, au cœur des romans et nouvelles. Inversement, les annotations quotidiennes montrent aussi que, bien souvent, le réel est perçu par le truchement de la littérature. Si bien que l’observation de la société contemporaine ou d’événements intimes passe par le filtre de la fiction. Quant à sa représentation par l’écriture, même diariste, elle n’échappe pas aux principes de formalisation et de stylisation.

2 – Le style des Memoranda pourrait donc faire l’objet d’un deuxième angle d’approche. Leur composition macrostructurale, mais aussi les scènes, tableaux et ekphraseis qui s’y rencontrent, en font une œuvre littéraire à part entière. Selon Jacques Arnoux, « Les Memoranda de Barbey d’Aurevilly ne sont qu’une longue confession ; quelques jours passés au pays natal, à Caen, des souvenirs de jeunesse, des choses revues et évocantes, des paysages retrouvés dans la vision du passé, tout cela dit avec une pénétrante émotion, avec des mots délicats, aristocratiques, d’une douceur de demi-jour. Puis des aperçus d’art, quelques appréciations d’œuvres de maître, tels sont ces Memoranda, – des notes –, mais captivantes comme tout ce qui nous fait pénétrer dans l’âme des artistes, de ceux-là surtout, les seuls vrais, qui se mettent dans leur œuvre, y pleurent et dans la précieuse châsse du style enferment leurs sentiments. » (« Chronique littéraire », La Jeune Belgique, III, 1883-1884, p. 106).

 

Bien entendu, ces pistes ne sont pas exhaustives. Elles ne sont qu’un premier aperçu des nombreuses voies à emprunter pour mettre en évidence la richesse de ce très beau texte littéraire, comme la mise en scène de l’intime au cœur de l’écriture diariste, les diverses transgressions des frontières génériques, etc.

 

Les propositions d’articles, de 50 000 signes maximum, sont à envoyer à Alice De Georges à l’adresse suivante : degeorgesmetral@gmail.com avant le 28 mars 2018.

Les articles seront à rendre au mois d’octobre 2018.

 

Bibliographie indicative pour les Memoranda

Auraix-Jonchière, Pascale, « Effets de spectres : pour une poétique de la ville morte chez Jules Barbey d’Aurevilly », Barbey d’Aurevilly en tous genres, Brigitte Diaz éd., Caen, Presses Universitaires de Caen, 2010.

  • « Des Memoranda à la Correspondance (1832-1850). Les voix croisées de la mélancolie », Barbey d’Aurevilly et l’écriture, Formes et signes, Caen, Lettres Modernes, Minard, 2011.

Arnoux, Jacques, « Chronique littéraire », La Jeune Belgique, III, 1883-1884, p. 106.

Berthier, Philippe, Barbey d’Aurevilly et l’imagination, Genève, Droz, 1978.

  • « Un De Amiticia romantique », Barbey d’Aurevilly et les humeurs de la bibliothèque, Champion, 2014.
  • « Le labyrinthe de la fraternité », Barbey d’Aurevilly et les humeurs de la bibliothèque, Champion, 2014.

Bloy, Léon, « Le cytise des licornes », Le Chat noir, 90, 29 septembre 1883, p. 150. (Repris augmenté dans Propos d’un entrepreneur de démolitions, Paris Tresse, 1884).

Bornecque, Jacques-Henry, « Premières pages – jusqu’alors inconnues – du « Journal » de Jules Barbey d’Aurevilly », Le Figaro littéraire, 17 décembre 1960, p. 6.

Bourges, Élémir, « Memoranda de Jules Barbey d’Aurevilly », Revue des Chefs d’œuvres, 10 octobre 1883, p. X-XV.

Bourget, Paul, « Barbey d’Aurevilly », Etudes et portraits. Portraits d’écrivains et notes esthétiques, Paris, Plon-Nourrit, vol. I et III, 1889, p. 156-172 et 272-290.
Bouverot, Danielle, « Mots en mémoire dans les Memoranda », Revue des lettres modernes, 1183-1192, 15, série Barbey d’Aurevilly, éd. Par Philippe Berthier, 1994, p. 67-87.* (sur le syle)

Caillet, Vigor, « Saint Sebastien et Saint Antoine, deux ekphraseis du troisième Memorandum : Barbey d’Aurevilly, une esthétique du tordu et du torse », Barbey d’Aurevilly et l’esthétique : les paradoxes de l’écriture, Pascale Auraix-Jonchière et France Marchal éds., Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2011.

Dodille, Norbert, Le Texte autobiographique de Barbey d’Aurevilly. Correspondances et journaux intimes, Genève, Droz, 1987. *

Dodille, Norbert, « Les morts de Barbey », La Mort dans le texte, Colloque de Cerisy, sous la direction de Gilles Ernst, Lyon, Presses Universitaires, 1988, p. 113-125.

Dodille, Norbert, « Les Sensations d’art de Barbey d’Aurevilly », Fins de siècle, Terme – évolution – révolution ? », Actes du Congrès national de la Société française de Littérature Générale et Comparée, Toulouse, 22-24 septembre 1987, éd. Par G. Ponnau, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1989, p. 183-194.*

Dodille, Norbert, « La question biographique dans Les Diaboliques », in Barbey d’Aurevilly, « L’Ensorcelée » et « Les Diaboliques ». La Chose sans nom, Actes du colloque de la SER du 16 janvier 1988, Paris, SEDES, 1988, p. 71-81. Alire !

Dullaert, Maurice, « Premier Memorandum », Durendal, VII, 1900, p. 730.

Gabriel, R., « Les Memoranda de Barbey d’Aurevilly », Revue nationale, XL, 1968, p. 213-218.

Fonyi, Antonia, « Les Vomitoria de Barbey d’Aurevilly. La sincérité problématique des Memoranda et des Lettres à Trevbutien », Écriture de soi et sincérité, Jean-François Chiantaretto éd., In-Press (Université Paris 7-D. Diderot), 1999.

Goffin, Arnold, « Lettres à une amie », Durendal, XIV, 1907, p. 531.

Grelé, Eugène, « Un journal de jeunesse de Barbey d’Aurevilly », Le Bouais-Jan, V, 5, 8 mars 1901, p. 70-71.

Lécureur, Michel, Barbey d’Aurevilly, Fayard, 2008.

Le Huenen, Roland, « Mélancolie de Barbey d’Aurevilly : les deux premiers Memoranda », Barbey d’Aurevilly en tous genres, Brigitte Diaz éd., Caen, Presses Universitaires de Caen, 2010.

Nesci, Catherine, « L’Ouest et « La lumière des fantômes ». Sur les lieux de mémoire de Barbey », Ouest et Romantismes, Actes du colloque des 6, 7, 8 et 9 décembre 1990, Université d’Angers, éd. Par Georges Cesbron, Angers, Presses de l’Université. Publication du centre de Recherches en littérature et Linguisitque de l’Anjou et des Bocages, vol. 1, 1991, p. 175-187.

Noisette de Crauet, Christine, « Barbey d’Aurevilly amateur d’art », Barbey d’Aurevilly. Ombre et lumière, éd. Par Joseph-Marc Bailbé, Rouen, Presses de l’Université de Rouen, 1990, p. 111-118.

Rogers, Brian G., « La Genèse de la poétique « physiologique » de L’Ensorcelée », Revue des lettres modernes, 965-970, 14, série Barbey d’Aurevilly, Philippe Berthier éd., 1990, p. 125-138.

Sawinski, G., Zentrale Wermotive in Barbey d’Aurevilly’s Intim-Novellen und Romanwerk und in Teilen seiner Kritik, Graz, 1964.

Simonet-Tenant, Françoise, « Barbey d’Aurevilly : lire, écrire, éditer des journaux intimes », Barbey d’Aurevilly en tous genres, Brigitte Diaz éd., Caen, Presses Universitaires de Caen, 2010.

Taillandier, François, Un réfractaire. Barbey d’Aurevilly, Bartillat, 2008.