Questions de société

"Quand les banques siphonnent les crédits d'impôts pour la recherche", par M. Orange (Médiapart, 06/10/09)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : SLU)

Quand les banques siphonnent les crédits d'impôts pour la recherche - Martine Orange, Médiapart, 6 octobre 2009

http://www.mediapart.fr/journal/economie/051009/quand-les-banques-siphonnent-les-credits-d-impots-pour-la-recherche

Voir aussi: Crédit Impôt Recherche: dossier (maj. 14/10/09)

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"Quel est lesecteur qui a le plus profité du crédit impôt recherche réformé, selonle rapport parlementaire ? Les services bancaires et les assurances !En 2007, il s'est trouvé 930 établissements bancaires et financiers,bénéficiaires du crédit impôt recherche. A lui seul, ce secteur aobtenu 312 millions d'euros de crédit d'impôt recherche, soit 18% dutotal. L'année précédente, leurs créances s'élevaient à peine à 11millions d'euros.

Par comparaison, les secteurs comme la recherche , la pharmacie etles services de télécommunications ont reçu moins de 200 millionsd'euros ensemble."

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Article reproduit sur le site de SLU:

http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article2999


« C'estle dispositif le plus ambitieux pour la recherche dans le monde. Biensûr cela coûte cher mais cela pourrait coûter encore plus cher, qu'ilne faudrait pas hésiter. Car il permet de soutenir la recherche enFrance », insistait Nicolas Sarkozy au printemps. A sa suite,Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de larecherche, défendait devant les sénateurs le crédit impôt recherche(CIR) comme « l'outil le plus efficace pour renforcer la recherche privée ».

La cause de toute façon est entendue auprès des parlementaires. Même si le dispositif représente « un coût considérable »pour le budget de l'Etat – 3,5 milliards d'euros en 2009, selon lesestimations, sans compter les remboursements anticipés des annéesantérieures – il devrait être reconduit sans discussion lors du débatsur le projet de loi de finances 2010. La plupart des parlementairesestiment que le mécanisme est un des leviers les plus simples et lesplus efficaces pour soutenir la recherche. « Surtout dans les PME », rajoute-t-on en choeur.

Est-ce si sûr ? Aucun bilan n'existe depuis que la loi, revue en2008, permet à toutes les entreprises de bénéficier d'un crédit d'impôtde 30% sur l'ensemble de leurs dépenses de recherche et dedéveloppement dans la limite de 100 millions d'euros. Mais le dernier état des lieux sur le crédit impôt recherche établi en juillet 2009 par Gilles Carrez, rapporteur à la commission des finances de l'Assemblée nationale soulève déjà bien des questions.

Le rapport examine les dépenses réalisées entre 2004 et 2008,période où déjà le dispositif avait été révisé. Alors qu'auparavantl'Etat n'accordait un crédit d'impôt que pour les dépenses nouvelles derecherche, à partir de 2004, plusieurs réformes ont été adoptées,supprimant d'abord l'obligation de réaliser les dépenses en France,puis prenant en compte l'ensemble des dépenses de recherche et non plusleur accroissement, dans une proportion de 10% limitée à 16 millionsd'euros. Ces changements ont déjà amené un renchérissement notable dudispositif : de 430 millions d'euros en 2004, la dépense fiscale estpassée à 1, 6 milliard d'euros en 2008.

Tout pour les services

Contrairement aux attentes et aux buts projetés, ce n'est pasl'industrie mais les services qui sont les premiers destinataires ducrédit impôt recherche. « Le secteur des services avec 1.174millions d'euros en 2007, représente près des deux tiers descréances », note le rapport à partir des données transmises par leministère de la recherche qu'il juge « riche d'enseignements ». Latertiarisation de l'économie française explique sans doute en partieces chiffres. Mais est-ce la seule explication ? Le rapport ne va pasplus loin dans l'analyse. Contacté pour avoir plus d'explications,Gilles Carrez n'a pas répondu à nos appels.

Dommage car la suite est encore plus surprenante. Quel est lesecteur qui a le plus profité du crédit impôt recherche réformé, selonle rapport parlementaire ? Les services bancaires et les assurances !En 2007, il s'est trouvé 930 établissements bancaires et financiers,bénéficiaires du crédit impôt recherche. A lui seul, ce secteur aobtenu 312 millions d'euros de crédit d'impôt recherche, soit 18% dutotal. L'année précédente, leurs créances s'élevaient à peine à 11millions d'euros.

Par comparaison, les secteurs comme la recherche , la pharmacie etles services de télécommunications ont reçu moins de 200 millionsd'euros ensemble. On ne parle pas des vieux secteurs industriels commela mécanique, le textile ou le transport, qui ont bénéficié à peine de50 millions d'euros à eux trois. (Voir la répartition par secteur dansle document joint).

Sur quelles bases les banques peuvent-elles se trouver dans un teldispositif de soutien à la recherche ? Pour arrêter le cadre desdépenses pouvant donner lieu à crédit d'impôt, le gouvernement s'estréféré à la liste élaborée par l'Organisation de coopération et dedéveloppement économique (OCDE) . L'organisme y inclut les dépenses derecherche liées aux logiciels, aux modélisations mathématiques liéesaux produits financiers et autres. En un mot, tout ce qui a fait lesdélices puis les déboires de la finance actuelle.

Au-delà de cette conception très large de la recherche se pose laquestion de la réalité de ces recherches. Les grandes banques n'ontqu'un ou deux grands centres de recherche, à Paris et à Londresgénéralement. De même, leurs plateformes informatiques ont étécentralisées et pour certaines délocalisées dans des pays à bas coûtcomme le Maroc, quand il ne s'agissait que de traitement de donnéesusuelles. Comment en arrive-t-on à 930 établissements bancaires etd'assurances, quand ils n'étaient que 240 en 2006 ?

L'interrogation est la même pour les sociétés de conseil etd'assistance aux entreprises, les deuxièmes bénéficiaires du créditimpôt recherche en 2007. Elles ont obtenu cette année-là 271 millionsde crédit d'impôt recherche répartis entre 282 entreprises. En 2005,elles n'étaient que 14 se partageant un total de 18 millions d'euros decrédit d'impôt. Pour quels travaux ? Mystère.

Pas de contrôle

Car le contrôle lié à ce dispositif paraît des plus sommaires. Alorsque les chercheurs dans les laboratoires publics doivent soumettre tousleurs projets à des comités de validation, justifier l'objectif deleurs travaux et les montants dépensés au centime près, les entreprisesprivées elles ont la seule obligation d'exposer leur projet àl'administration fiscale. Depuis la nouvelle loi, si elles ne reçoiventpas de réponse dans les six mois, l'agrément du fisc est considérécomme acquis.

Aucune condition n'est posée, ni de succès ni d'emploi. Ainsi Rhodiaa vu son crédit impôt recherche passé de 7 à 20 millions entre 2007 et2008, ce qui n'a pas empêché le groupe de chimie de diminuer seseffectifs. De même, l'entreprise indienne d'informatique Wiproa bénéficié de 7 millions d'euros de crédit d'impôt recherche pourmettre au point de nouveaux produits liés à des infrastructures deréseaux, et aux connections sans fil. Tout était développé par soncentre de recherche français à Sophia-Antipolis (Alpes Maritimes),racheté deux ans auparavant. Une fois les technologies mises au point,les brevets déposés, argent et technologies ont été transférés en Inde.L'entreprise, qui compte 60 chercheurs, doit fermer le 8 octobre.

Par la suite, les contrôles fiscaux semblent assez rares. « Les deux tiers des entreprises ayant opté pour le CIR n'ont pas subi de contrôle fiscal », écrit ainsi Innovatech-conseil, une société spécialisée dans le montage des dossiers de crédit d'impôt sur son site. « Surle tiers restant, une grosse majorité affirme que le contrôle n'a pasété approfondi, qu'il a parfois pu se résumer à de simplesvérifications téléphoniques » «  Une infime partie a faitl'objet d'un redressement fiscal : 230 contrôles environ aboutissent àun redressement partiel ou total » conclut-elle.

A la lumière de ces premières données, les autres constats dresséspar le rapport ne surprennent plus. Ainsi, note Gilles Carrez, « lecrédit d'impôt recherche bénéficie massivement aux grandes entreprises.(...)En 2005, les PME représentaient 87 % des bénéficiaires du créditd'impôt recherche, mais leurs créances de CIR qu'un tiers du total descréances . En 2007, bien que le montant des créances ait doublé - et lenombre de bénéficiaires augmenté de 60 % -, on remarque que les PMEreprésentent désormais 89,4 % des bénéficiaires du CIR, dans le totaldes créances qui a augmenté à 43 %. A contrario, on peut lire ceschiffres comme révélant que 718 grandes entreprises (soit 10,6 % desbénéficiaires) ont capté 57 % de l'avantage fiscal ».

La réforme de 2008 risque d'accentuer encore ces dérives. «  Laréforme aboutit à attribuer 10 milliards d'euros d'aides aux grandesentreprises - le double de l'effort en faveur de l'université -, ce quiconstitue une politique industrielle et de la recherche peu efficace ettrès coûteuse. Les bons centres de R&D privés ne s'achètent pasavec des incitations fiscales. A l'inverse, un soutien aux jeunesentreprises innovantes a un très fort effet de levier sur la R&Dprivée et sur notre potentiel de croissance », déplorait le docteur Philippe Pouletty, président de France Biotech, dès l'instauration du nouveau crédit impôt recherche.

Il faudra attendre un rapport parlementaire dans deux ou trois anspour mesurer la réalité de cette crainte. En attendant, les banquesauront certainement découvert un nouveau gisement de recherche pourcapter des crédits de l'Etat.

Documents joints