Questions de société

"Pourquoi je ne publie(rai) plus (jamais) dans des revues scientifiques", par O. Ertzscheid (affordance.info, 17/05/16)

Publié le par Bérenger Boulay

Pourquoi je ne publie(rai) plus (jamais) dans des revues scientifiques

Olivier Ertzscheid, enseignant chercheur en Sciences de l'information et de la communication.

 Blog affordance.info. 17 mai 2016

 

(Disclaimer : ce que je vais raconter n'est, pour une large mesure, valable que dans certaines la plupart des disciplines des sciences humaines et sociales - SHS et ne vaut pas dans la même mesure pour les sciences "dures" et les sciences de l'ingénieur, même si bon enfin bref disons que ça vaut surtout en SHS même si bon enfin bref).

Donc oui, je ne publie plus que vraiment très occasionnellement dans des revues scientifiques. Et ce pour plusieurs raisons.

 

If you Pay Peanuts you get Monkeys.

D'abord le modèle économique de l'oligopole (voire du quasi monopole dans le cas des SHS) qui gère aujourd'hui la diffusion des connaissances au travers de revues est celui d'une prédation atteignant des niveaux de cynisme (et de rente) de plus en plus hallucinants.

A tel point que de plus en plus d'universités préfèrent carrément renoncer à l'ensemble de leurs abonnements chez Springer ou Elsevier. La dernière en date est celle de Montréal. Cette situation est hallucinante et ubuesque. Hallucinante tant les tarifs d'Elsevier (ou de Springer) et les modalités d'accès proposées relèvent du grand banditisme et de l'extorsion de fonds. Ubuesque car nous sommes dans une situation où des universités doivent renoncer, j'ai bien dit renoncer, à accéder à des revues scientifiques. Monde de dingue.  Un peu comme si des agriculteurs devaient renoncer à certaines graines et semences du fait des pratiques de certaines firmes agro-alimentaires. Monde de dingue au carré. D'autant qu'on sait que dans ce choix extrêmement délicat effectué par l'université de Montréal, l'existence de Sci-Hub (site "illégal" dont je vous reparlerai un peu plus tard dans ce billet) pourrait avoir largement pesé dans la balance. 

Parce que c'est ahurissant mais c'est ainsi, pour faire de la recherche scientifique aujourd'hui en France (et ailleurs dans le monde), il faut nécessairement passer par des bibliothèques clandestines (Shadows Libraries).

Argent trop cher et travail gratuit.

Ensuite les "éditeurs" desdites revues ont arrêté depuis bien longtemps de produire le travail éditorial qui justifiait le coût et l'intérêt desdites revues : ils se contentent le plus souvent d'apposer leur "marque", toutes les vérifications scientifiques (sur le fond) sont effectuées gratuitement par d'autres chercheurs, et les auteurs eux-mêmes se coltinent l'application de feuilles de style la plupart du temps imbitables.

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<Edit du 20 Mai 2016> Depuis la publication de cet article (sur mon blog et sur Rue89), j'ai reçu en moins de 48h plus d'une soixantaine de mails - et ça n'arrête pas ... - souvent très courts, parfois très longs, pour "me remercier", pour me livrer des "témoignages", mais aussi pour me proposer de participer à différents projets, me demander ce qu'on pouvait faire, etc. Donc d'abord : merci pour ces retours. Ensuite : désolé de n'avoir pas - pour l'instant - le temps de répondre à chacun. Et sur le "mais que peut-on faire ?" Et bien la réponse est simple :

  • si vous êtes chercheur : déposez systématiquement et immédiatement la version auteur de tous vos articles (acceptés ou en cours de soumission) dans des archives ouvertes et/ou institutionnelles (et si vous avez un blog, sur votre blog). Refusez de signer tous les contrats qui disposent de clauses "d'embargo" de plus de 6 mois ou qui vous interdisent le dépôt y compris pour la version "auteur" : il s'agit de contrats léonins et dans la plus parfaite illégalité. AUCUNE loi ni AUCUN contrat ne peut empêcher l'auteur d'une recherche publique financée sur fonds publics de déposer - au moins - la version auteur de son article dans une archive ouverte et ce dès parution ou acceptation dudit article. Ceux qui vous disent l'inverse sont au mieux des incompétents et au pire des escrocs. Et si votre situation ne vous permet pas de faire autrement que de signer ledit contrat (je pense notamment aux doctorants ou à certains McF en début de carrière), hé bien signez-les et déposez quand même. Vous ne serez pas les premiers ;-)
  • si vous êtes un bibliothécaire : valorisez systématiquement les fonds en archive ouverte, montez des archives institutionnelles, aidez les étudiants, doctorants, chercheurs a comprendre ces enjeux, envoyez-les sur des Shadows Libraries, aidez les aussi à publier dans ces archives ouvertes, aidez-les à identifier les revues importantes en Open Access dans leur discipline, etc.
  • et si vous êtes Elise Lucet, Fabrice Arfi, Edwy Plenel ou journaliste d'investigation en général, allez donc enquêter sur les pratiques de ces grands groupes éditoriaux, vous verrez, c'est instructif, c'est édifiant et ce serait surtout d'utilité publique.

</Edit du 20 Mai 2016>