Essai
Nouvelle parution
P. Triagano, L'amour égorgé

P. Triagano, L'amour égorgé

Publié le par Marc Escola

Patrice Trigano

L'Amour égorgé

Maurice Nadeau éd., sept. 2020

EAN: 9782862312927 — 240 p. — 18 €.

 

Un matin de juin 1914, à son réveil, René Crevel, âgé de quatorze ans découvre le corps pendu de son père à la poutre centrale du salon de l’appartement familial. Ce traumatisme alimentera un besoin de révolte qui ne quittera pas le poète qu’il devint. Tourmenté par sa bisexualité, tour à tour amoureux d’un peintre américain puis d’une jeune berlinoise adepte du triolisme, dégoûté par son corps atteint de tuberculose, René Crevel conjurait son mal de vivre en cherchant dans les abus de la drogue, du sexe, et des frivolités mondaines l’apaisement de ses maux. 

Jusqu’à son suicide en 1935, il rêva à une version régénérée du monde en devenant tour à tour membre du mouvement Dada, du groupe surréaliste et enfin du Parti communiste. En une épopée passionnante, d’une plume alerte, Patrice Trigano fait revivre dans ce roman les moments d’exaltation, les sentiments de craintes, d’angoisses, les douleurs morales et physiques de René Crevel. Il dresse une peinture des milieux intellectuels des années vingt et trente, alors que le fascisme était en embuscade, à travers des portraits saisissants des amis du poète : Gide, Nancy Cunard, Breton, Éluard, Aragon, Tzara, Cocteau, Dali, Giacometti.

Passionné par les grandes figures de la révolte, Patrice Trigano a précédemment publié : La Canne de saint Patrick (2010, Prix Drouot) et Le miroir à sons (2011) aux Éditions Léo Scheer et aux Éditions de La Différence : Une vie pour l’art (2006), À l’ombre des flammes. Dialogues sur la révolte (avec Alain Jouffroy, 2009), Rendez-vous à Zanzibar (correspondance avec Fernando Arrabal, 2010), L’Oreille de Lacan (2015). Suivent aux Éditions Maurice Nadeau, Artaud-Passion (2016) et au Mercure de France, Ubu-roi, merdre ! (2018). 

Voir le livre sur le site de l'éditeur…

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Extraits :

« Les deux amis étaient arrivés au fond du passage, à la croisée de deux allées. Là où se trouvait un couloir étroit et sombre, entre la façade du Théâtre moderne et le restaurant Aragoni – étrange coïncidence. Aragon l’y entraîna et lui montra une enseigne lumineuse sur laquelle figurait le mot « BAINS ». René ne pouvait imaginer que ce local pût servir à autre chose qu’à des actes d’hygiène. En léger retrait se trouvait un majestueux escalier en bois laqué blanc qui menait au sous-sol. En descendant les premières marches il eut le sentiment de s’enfoncer dans les mystères de l’établissement.

Un homme en blouse blanche les accueillit et, après qu’Aragon lui eût glissé quelques mots à l’oreille et remis un billet, il leur tendit à chacun une serviette et les conduisit vers des cabines individuelles dont les portes en enfilade occupaient le mur du fond de la salle de réception. Aragon, serviette pendue au bras, ouvrit une porte et fit un clin d’œil à René en ajoutant : 

—    À tout de suite.

René eut une hésitation. Mais non, tu ne vas pas donner dans la pudibonderie, se dit-il. Et puis, il ne pouvait négliger son attirance envers Louis qui, tout au long de cet après-midi, s’était accrue avec la force d’une aimantation. À son tour il s’engouffra dans l’une des cabines ; s’y trouvaient un portemanteau de style Art déco, un miroir, une boîte à effets et une banquette recouverte de moleskine, tout aussi blanche que les murs et le sol carrelés. Au fond de ce vestiaire individuel : une autre porte. Faisant fi de ses scrupules, René se déshabilla et la poussa. »

« Avec des mots d’une extrême précision et un ton neutre, Breton s’exprima comme aurait pu le faire un chirurgien à l’heure du compte rendu opératoire.

—   Vous n’avez, cher Crevel, manifesté aucun signe de résistance. Deux minutes trente-cinq après mes premières passes, votre buste a brutalement basculé sur la table. J’ai craint pour votre visage, qui fort heureusement n’a pas été blessé. Puis vous avez été pris de tremblements qui ont cessé lorsque vous vous êtes lancé dans un discours tout d’abord incompréhensible. Vos paroles, à jet continu, étaient entrecoupées de soubresauts et de râles, des contractions sont apparues sur votre visage tandis que vos mains se contorsionnaient. Tout cela était désolant et j’ai cru à l’échec de cette plongée dans votre inconscient. Je m’apprêtais à vous réveiller lorsque soudain... Vous avez poussé un grand soupir pour conter l’une des histoires les plus folles qu’il m’ait été donné d’entendre. »