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Mallarmé au monde. Le spectacle de la matière (Lille 3)

Mallarmé au monde. Le spectacle de la matière (Lille 3)

Publié le par Marc Escola (Source : Denis Saint-Amand)

Mallarmé au monde

Le spectacle de la matière

Colloque international sous la direction de Barbara Bohac (Université de Lille 3) et Pascal Durand (Université de Liège)

Université de Lille 3, Campus du Pont-de-Bois

18-19 mai 2017

 

Son œuvre et son visage se présentent le plus souvent à travers un « rideau » d’images reçues : Mallarmé l’obscur, Mallarmé l’absent, Mallarmé l’abstrait, pur esprit coupé du monde, adepte d’un acte d’écrire pratiqué à la fois comme un sacerdoce et un exercice de haute réflexivité. Ces images, que toute une doxa idéaliste et formaliste a relayées jusqu’à nous, ne sont pas fausses : il a lui-même contribué à les nourrir, conforme en cela au credo de l’Art pour l’Art, quelque ironie qu’il y ait finalement introduite. Placer le poète du Néant et de l’Idée sous le signe de la matière en paraîtrait du coup presque incongru. Pourtant, c’est bien à la matière, aux mouvements dont celle-ci se voit animée que, dès 1866, Mallarmé, alors en poste à Tournon, avait relié tout son projet lyrique : « Je veux, avait-il confié à Henri Cazalis, me donner ce spectacle de la matière, ayant conscience d’elle, et, cependant, s'élançant forcenément dans le Rêve qu’elle sait n’être pas ». Un autre credo était ainsi livré : résolument matérialiste. Et une vision de l’homme, que le poète, un an plus tard, définira comme « la nature se pensant » : celle d’un être de pure matière se connaissant comme tel, visant à se dépasser en vain et trouvant, dans cet inutile essor vers un ciel vide, une forme toute terrestre du sublime. C’est dans le cercle d’un monde sans extériorité que le poète s’installera, face au « spectacle » d’une « matière » qui sera l’horizon de son œuvre en même temps que l’objet de sa contemplation. « Je chanterai en désespéré », en avait-il conclu. Formule ambivalente, où l’accent du désespoir n’est pas seul à se faire entendre. Car s’il y a élan sans illusion vers le « Rêve », c’est aussi bien à partir d’une matière qui, en elle-même, peut être source d’enchantement. Ce matérialisme enchanté, mêlant de façon variable pathos et jouissance, dramatisation et ironie, retrait et adhésion, tendra de plus en plus à régler le rapport du poète au monde des choses et au monde des hommes.

Il y aura loin en effet du solitaire de Tournon, victime des promiscuités de la province, au Prince des poètes parisien, habitué des rituels de la vie artistique. D’autres images viennent alors à l’esprit, sans oublier, entre-temps, le rédacteur méticuleux de La Dernière Mode. Celle du poète de circonstance, expert en tombeaux, hommages, remémorations, toasts et « loisirs de la poste ». Celle du critique d’art engagé dans la cause de l’impressionnisme. Celle du chroniqueur des théâtres, des concerts, des ballets, des expositions. Celle du « grand fait-diversier » tirant matière à spéculation esthétique des incidents défrayant la fin du siècle. Celle enfin d’un poète dédoublé entre le maître de la rue de Rome et l’estivant de Valvins, s’adonnant à la voile, au toilettage des fleurs et à la contemplation d’une nature en gloire. Du laboratoire poétique au rapport établi avec le monde, il n’y aura pas réelle solution de continuité. C’est « rythmé par le hamac et inspiré par le laurier » que le sonnet en ix, « allégorique de lui-même », avait été une première fois composé en Avignon dès 1868. Et si c’est du fond de son tombeau – ou du haut de sa tour d’ivoire – que Mallarmé dira envoyer ses poésies aux « vivants », ce n’en sera pas moins en guise de « cartes de visite » propres à maintenir un lien de sociabilité avec ses contemporains.

On voit se dessiner sous cette perspective une définition plus extensive de la notion de « matière », telle que son expérience esthétique la mettra diversement en jeu : de l’homme matériel à l’univers sensible, source d’impressions et d’images ; des grands cycles de la nature aux institutions culturelles, politiques et sociales ; du firmament scintillant blanc sur noir au texte écrit noir sur blanc.

La logique de cette extension, touchant l’œuvre et son rapport au monde, forme l’objet principal du colloque, qui l’examinera de quatre points de vue : 1) les figures à travers lesquelles Mallarmé s’est présenté, mais également les rôles qu’il a endossés, du « solitaire ébloui de sa foi » au théoricien de la culture, de l’hôte des Mardis au poète bucolique, ces rôles et figures étant aussi des représentations en acte de la chose littéraire dans sa relation au social et au sensible ; 2) certains des spectacles, concerts et dispositifs artistiques dont il a précisément rendu compte, envisagés en tant que cadres à partir desquels ont pris substance des notions aussi cruciales dans sa conceptualisation de l’écriture poétique que celles de théâtre, de musique ou de danse ; 3) l’esthétique sensible des Poésies – corpus un peu délaissé depuis que les proses théoriques, le Coup de dés et le grand chantier fragmentaire du Livre sont passés à l’avant-plan des études mallarméennes –, champ d’expression d’un lyrisme où « l’initiative [cédée] aux mots » procède bien moins qu’on ne le croit d’ordinaire, et que lui-même ne l’a dit, à « la disparition élocutoire du poète » et à l’évacuation du subjectif, du charnel, du vocal ; 4) les formes de réflexivité sociale dont l’œuvre est le lieu, que ce soit en intégrant les conditions de sa propre formation ou en figurant la dynamique d’interlocution qu’elle mobilise ainsi que le principe de sociabilité qui la sous-tend.

En post-scriptum de la lettre à Cazalis au sujet du « spectacle de la matière » et du « Glorieux Mensonge » figurent quelques lignes qui, curieusement, passent le plus souvent inaperçues. Le poète y évoquait le « voyage enchanté » qu’il venait de faire vers la Provence, en compagnie d’Eugène Lefébure : « [Celui-ci] m’a levé le rideau qui me voilait à jamais le décor de Nice et je me suis follement enivré de la Méditerranée. » Et d’ajouter : « Ah ! mon ami, que ce ciel terrestre est divin ! » En s’attachant aux rapports établis par Mallarmé poète, prosateur, théoricien, épistolier avec l’univers sensible comme avec les coordonnées concrètes de l’existence littéraire, le colloque entend, si l’on veut, « lever » lui aussi un tel « rideau » : celui qui, interposé entre l’œuvre et le monde par tant d’exégèses idéalistes, s’est également interposé, en quelque sorte, entre l’œuvre et ses lecteurs.

 

Programme

 

Jeudi 18 mai 2017

Matinée : Bâtiment C – amphi C1 (campus du Pont-de-Bois, Villeneuve d’Ascq)

 

9.00       Accueil des participants

9.30       Introduction générale (Barbara Bohac / Pascal Durand)

I. Visages du poète

Président de séance : Bertrand Marchal (Université Paris-Sorbonne)

10.00     Gordon Millan (University of Strathclyde) : « “Le moine solitaire” : mythe et réalité »

10.25     Damian Catani (Londres, Birkbeck College) : « L’élitisme post-romantique de Mallarmé »

10.50     Discussion

11.00     Pause café

11.30     Thierry Roger (Université de Rouen) : « L’écrivain aux champs : rites sociaux et rituels saisonniers »

11.55     Patrick Suter (Université de Berne) : « Mallarmé théoricien de la culture. À propos des Divagations »

12.20     Discussion

 

Après-midi : Bâtiment C – amphi C1 (campus du Pont-de-Bois, Villeneuve d’Ascq)

II. Mondes de l’art

Président de séance : Vincent Laisney (Paris Ouest Nanterre La Défense)

14.30     Alice Folco (Université Grenoble Alpes) : « Le théâtre dans la Cité : Mallarmé et le public de spectacles »

14.55     Florent Albrecht (Haute École de Musique, Genève) : « L’air du temps : Mallarmé et la glose de la musique »

15.20     Discussion

15.30     Pause café

16.00     Frédéric Pouillaude (Université Paris-Sorbonne) : « Loïe Fuller : l’authentique atmosphère rendue au Ballet »

16.25     Margot Favard (Université Paris-Diderot) et Fanny Gribenski (Université Évry Val d’Essonne) : « Mallarmé aux Concerts Lamoureux : figure magistrale du chef d’orchestre et rituel musical »

16.50     Discussion

 

18.00 : Salle du Kino (campus du Pont-de-Bois, Villeneuve d’Ascq)

Concert-conférence « Autour de Mallarmé »

Pièces de Claude Debussy, Maurice Ravel, Paul Hindemith et Isabelle Aubier (création) par Sophie Angot (piano) et Sandra Collet (soprano)

 

Vendredi 19 mai 2017

Matinée : Bâtiment C – amphi C1 (campus du Pont-de-Bois, Villeneuve d’Ascq)

 

9.00       Accueil des participants

 

III. Le monde des Poésies

Président de séance : Gordon Millan (University of Strathclyde)

9.30       Barbara Bohac (Université de Lille 3) : « Images et rythmes du monde sensible à la source du chant : contre la vision d’une poésie qui ne serait éprise que d’elle-même »

9.55       Laurent Demoulin (Université de Liège) : « Le Faune et la faune. Le bestiaire des Poésies »

10.20     Discussion

10.30     Pause café

11.00     Sébastien Mullier (Classes préparatoires, Saint-Ouen) : « Le sang, le rubis, l’incarnat : cruauté et suavité dans les Poésies »

11.25     Annick Ettlin-Lauper (Université de Genève) : « “Billet” à Whistler, “Hommage” à Puvis de Chavannes : le peintre et ses adresses »

11.50     Discussion

 

Après-midi : Bâtiment C – amphi C1 (campus du Pont-de-Bois, Villeneuve d’Ascq)

IV. Rituels sociaux

Président de séance : Thierry Roger (Université de Rouen)

14.00     Pascal Durand (Université de Liège) : « L’esprit des lieux »

14.25     Bertrand Marchal (Université Paris-Sorbonne) : « La correspondance comme médium de sociabilité »

14.50     Discussion

15.00     Pause café

15.30     Arild Michel Bakken (Université d’Oslo) : « Interlocution sociale et oralité poétique »

15.55     Vincent Laisney (Paris Ouest Nanterre La Défense) : « Seul à seul avec Mallarmé »

16.20     Discussion

16.30     Conclusions générales (Barbara Bohac / Pascal Durand)

17.00     Clôture du colloque

 

Direction

Barbara Bohac (ALITHILA, Université Lille 3)

Pascal Durand (UR Traverses, Université de Liège)

 

Comité scientifique

Barbara Bohac (ALITHILA, Université Lille 3)

Pascal Durand (UR Traverses, Université de Liège)

Bertrand Marchal (Université Paris-Sorbonne)

Gordon Millan (University of Strathclyde)

Roger Pearson (Queen’s College, Oxford)