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Nouvelle parution
Littérature, n° 191 :

Littérature, n° 191 : "Beauvoir en ses mémoires" (J.-L. Jeannelle dir.)

Publié le par Marc Escola

Compte rendu publié dans Acta fabula (juin 2019, vol.20, n°6) : 

Beauvoir : écriture mémoriale & naissance de l’autrice par Francis Walsch.

 Littérature, n° 191 (3/2018) : "Beauvoir en ses Mémoires"

 Sous la direction de Jean-Louis Jeannelle

Septembre 2018 — EAN 9782200931872 — 150 p.

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Résumés :

Éliane Lecarme-Tabone

Genres et genre

Suivant Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe, mais sans partager ses jugements négatifs, nous partons de l’idée que les autobiographies et les Mémoires écrits par les femmes présentent des caractéristiques spécifiques, reflétant leur condition à un moment donné de l’histoire. Nous situons Beauvoir autobiographe et mémorialiste par rapport à ses devancières afin de cerner les traits qu’elle partage (les questions qu’elle aborde aussi bien que certains aspects de son geste autobiographique ou mémoriel), et la manière dont elle s’en distingue par son autorité ou par les sujets qui lui sont propres. Nous avons ensuite essayé de montrer en quoi elle a pu influencer d’autres récits autobiographiques de femmes.

Genres and gender

Following Simone de Beauvoir in The Second Sex, however not sharing her negative judgments, we assume that autobiographies and memoirs written by women show specific characteristics that reflect their condition in a given moment of history. We situate Beauvoir as a memorialist and autobiographer regarding her forerunners in order to determine the features she share (the issues she approaches as well as some aspects of her autobiographic or memorial gesture) and the way she diverges from them by her authority and topics of her own. We have then tried to show how she could influence other women’s autobiographies.

Laetitia Hanin

L’autobiographie au féminin, ou les codes de la distinction

Partant du constat de la forte sociabilité des autobiographies féminines et de leur rayonnement culturel – grand nombre d’écrivaines étant connues aujourd’hui par leurs amis, époux ou amants –, cet article se saisit de quelques autobiographies de femmes pour interroger les conditions sociales et les processus identitaires qui déterminent le devenir-écrivain des femmes aux XIXe et XXe siècles. Pour ce faire, il passe en revue les diverses modalités de filiation et montre comment la relation aux modèles féminins se dé- complexifie d’un siècle à l’autre.

Autobiography in the feminine, or the codes of distinction.

From the statement of the high sociability of women’s autobiographies and their cultural influence – a great number of female writers being famous

today through their husbands, friends or lovers – this article takes up some autobiographies by women to interrogate the social conditions and the iden- tity processes determining the becoming-writer of women in the nineteenth and the twentieth century. In order to do so, it reviews the different modali- ties of filiation and shows how the relationship with the feminine models is made simpler from one century to the other.

Adélaïde Mokry

Division, valorisation, réappropriation : une lecture des Mémoires au prisme du Deuxième Sexe

Écrit moins de dix ans avant le cycle des Mémoires, Le Deuxième sexe propose, au moment où Beauvoir entame son autobiographie, une grille de lecture de son existence. Situant les valeurs créatrices du côté du masculin, les analyses socio-historiques de son essai sur la condition des femmes contribuent alors à diviser l’appréhension de son identité d’intellectuelle entre valorisation et sentiment d’illégitimité. L’entreprise à la première personne peut ainsi se comprendre comme une réappropriation de soi dans une démarche qui, par son effet performatif et grâce à l’écriture, construit son autorité de créatrice.

Division, valorization, reappropriation: Reading the Memoirs through the prism of The Second Sex

Written less than ten years before the Memoirs cycle, The Second Sex proposes a reading grid of Beauvoir’s life at the very moment when she begins her autobiography. Locating the creative values on the male side, the sociohistorical analyses of her essay on the condition of women then contribute to divide the perception of her identity as an intellectual female between valorization and a feeling of illegitimacy. The enterprise in the first person may thus be considered as a self-reappropriation in a gesture which, through its performative effect and, owing to writing, builds her authority as a creator.

Jean-Louis Jeannelle

Être « au plus près des choses » : le mémorable dans La Force des choses

Devenue « mémorialiste » en partie par l’incidence de son geste d’écriture sur son existence, tout en renouvelant les coordonnées de ce genre, l’auteure de La Force de l’âge et de La Force des choses incarne aux yeux de l’opinion et de la postérité cette identité qui se soutient du mémorable liant une vie et une époque. Nous nous attacherons, afin de mieux saisir la portée de cette visée « mémoriale », à distinguer le projet beauvoirien des écrits de soi chez Sartre, ainsi qu’à la formule essentielle de « force des choses », qui circule à l’époque entre Malraux, Sartre ou Merleau-Ponty, et à laquelle la mémorialiste confère une portée particulière.

As close to reality as possible: the memorable in Force of circumstance

Becoming a « memoir writer » partly due to the impact of her writing gesture on her life, while renewing the characteristics of the genre, the female author of The Prime of Life and Force of Circumstance embodies, in the eyes of the opinion and of posterity, that identity which relies upon the memorable linking a life to its time. In order to grasp the scope of this memorial design in a better way, we will endeavour to differentiate the Beauvoirian prospect from the writings of the self in Sartre, as well as from the essential formula of « force of circumstance » that circulates at the time between Malraux, Sartre or Merleau-Ponty, and to which the female memoir writer confers a distinctive range.

Manon Garcia

Vivre la philosophie : les Mémoires comme œuvre philosophique

Peu de travaux traitent de la portée philosophique de l’œuvre autobiogra- phique de Beauvoir. Il s’agira d’examiner le lien, propre à l’existentialisme, que Beauvoir établit entre la vie et la philosophie sous trois aspects : comme source documentaire pour comprendre ses essais et la position philosophique originale qu’elle y défend, mise en évidence du rapport réciproque entre la philosophie et la vie, sur les plans épistémique et pratique, enfin moyen de compenser les défauts inhérents à la philosophie lorsque celle-ci s’exprime en troisième personne – seul le témoignage littéraire permet de faire sur- gir un universel singulier capable de révéler par l’exemple la tension entre situation et liberté.

Living out philosophy : the Memoirs as a philosophical work

Not many works deal with the philosophical import of Beauvoir’s autobio- graphical work. We shall examine the link, specific to existentialism, which Beauvoir establishes between life and philosophy under three headings : as a documentary source to understand her essays and the original philosophi- cal stand she takes therein, as a manifestation of the reciprocal relationship between philosophy and life, on the practical and epistemic planes, at last as a means to compensate for the flaws inherent in philosophy when it ex- presses itself in the third person – only a literary evidence is able to promote a singular universal end owed with the capacity to reveal, for instance, the tension between situation and freedom.

Marine Rouch

« Vous êtes descendue d’un piédestal » : une appropriation collective des Mémoires de Simone de Beauvoir par ses lectrices (1958-1964)

À partir des lettres encore inédites reçues par Simone de Beauvoir de la part de ses lectrices entre 1949 et 1963, l’article traite d’abord de la manière dont Beauvoir a été, grâce au Deuxième Sexe puis aux deux premiers volumes autobiographiques, investie comme modèle et représentante des femmes. Bien que La Force des choses et sa clausule, « j’ai été flouée », sont loin d’avoir fait l’unanimité dans la presse, il s’agit ensuite de montrer que ce troisième volume a paradoxalement renforcé et consolidé l’appropriation de l’écrivaine et de son œuvre par les femmes.

« You’re off your pedestal »: a collective appropriation of the Memoirs of Simone de Beauvoir by her female readers (1958-1964)

From the still unpublished letters received by Simone de Beauvoir from her female readers between 1949 and 1963, the article shows how Beauvoir was invested as a model and women’s representative, owing to The Second Sex and to the first two autobiographical volumes. In spite of Force of Circumstance and its clausula, « I’ve been swindled », being far from finding a unanimous echo in the press, we will show then that his third volume has paradoxically reinforced and consolidated the appropriation of the female writer and her work by women.

Hélène Baty-Delalande

Tout compte fait : comment finir ?

Tout compte fait a un statut singulier au sein de l’entreprise d’autoconsigna- tion de Beauvoir : correctif en forme de supplément à son autobiographie, autoportrait, suite des Mémoires, il se caractérise également par sa compo- sition thématique, qui brise la linéarité du récit de vie. Ce dispositif lâche témoigne à la fois d’un nouveau rapport à l’Histoire et à soi-même, contra- riant la clôture du sens revendiquée dans les premières pages du volume. Beauvoir y fait un pas de côté, s’écartant du grand récit des Mémoires, tout comme du grand récit de l’Histoire, et trouve dans la mélancolie de l’informe les ressources pour suggérer la suspension de l’expérience vécue, volontairement dégagée de toute tension vers une fin.

All said and done: Toward which end ?

All said and done has a remarkable status within Beauvoir’s enterprise of self-
recording : a corrective in the form of a supplement to her autobiography, a
self-portrait, a sequel to the Memoirs, it is also characterized by its thematic
composition which breaks the linearity of her life’s narration. This loose
device testifies both to a new relationship to History and to oneself, impeding
the closure of sense claimed for in the first pages of the volume. Beauvoir

takes a step aside, away from the great narration of the Memoirs, as well as from the great narration of History, and finds new resources in the melancholy of the formless, to suggest the suspension of living experience, willingly freed from any tension toward an end.

Julie Augras

La Cérémonie des adieux : le lecteur face au corps

Le 23 novembre 1981, un peu plus d’un an après la mort de Sartre, les éditions Gallimard publièrent La Cérémonie des adieux suivi des Entretiens avec Jean-Paul Sartre. Beauvoir y raconte les dix dernières années de son compagnon et y décrit sans fard la lente dégradation de son corps et de son esprit. Le livre fit scandale et suscita l’indignation d’une grande partie de la critique, qui vit dans La Cérémonie un texte transgressif et indigne. De fait, La Cérémonie confronte directement les lecteurs au corps : le corps d’un Sartre vieillissant s’enfonçant dans la maladie. Nous donnerons ici la parole aux dizaines d’entre ceux qui ont écrit à Simone de Beauvoir pour lui faire part de leur réaction et de leur jugement.

Adieux. A Farewell to Sartre: The reader facing the body.

On November 23rd, 1981, a little more than a year after Sartre’s death, Gallimard publishing house issued Adieux. A Farewell to Sartre including Interviews with Jean-Paul Sartre, in which Beauvoir tells her companion’s last ten years and openly describes the slow weakening of his body and mind. The book caused a scandal and roused indignation from a majority of critics who saw in Adieux an unworthy and transgressive text. In fact, Adieux straightforwardly confronts the readers with the body : that of an ageing Sartre sinking into illness. We shall let here speak the dozens of those who wrote their response and judgment to Simone de Beauvoir.

Pierre-Louis Fort

Annie Ernaux et Didier Éribon : retour(s) à Beauvoir

On a souvent rapproché Annie Ernaux et Didier Éribon pour de multiples raisons (leurs trajectoires de transfuges de classe ou la dimension auto-socio- biographique d’une partie de leurs écrits) : cela vaut également pour rôle que Beauvoir a joué dans leur vie. L’un comme l’autre ont en effet affirmé qu’elle les avait transformés. Au-delà de cette communauté d’attitude, Ernaux et Éribon sont-ils attachés aux mêmes œuvres ? Plus précisément : eux qui se rejoignent pour avoir placé certaines de leurs œuvres sous le signe du retour et de l’écriture à la première personne, que retiennent-ils de Beauvoir mémorialiste ?

Annie Ernaux and Didier Éribon: Return(s) to Beauvoir?

Annie Ernaux and Didier Éribon have often been drawn together for many reasons (their careers of class renegades or the auto-socio-biographic scope of a part of their writings) and this is altogether valid for the part Beauvoir played in their lives. Either have indeed asserted that she had transformed them. Beyond these shared attitudes, are Ernaux and Éribon attached to the same works ? More precisely : as they both have made the processes of return and of writing in the first person the dominant themes of some of their works, what do they retain from Beauvoir as a writer of memoirs ?