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Littérature et responsabilité : Vers une éthique de l'expérience

Littérature et responsabilité : Vers une éthique de l'expérience

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Maïté Snauwaert)

[Actes parus en 2010]

À une époque où la définition de l'éthique est mise en doute ou indéfiniment relativisée, de nombreux écrivains contemporains, français ou québécois, semblent lui redonner un sens et en faire leur horizon. Qu'il s'agisse chez Richard Millet de rendre compte d'un monde disparaissant, chez Philippe Forest de faire de l'écriture le moyen de survivre ; qu'il s'agisse, dans les textes d'Yvon Rivard ou de Suzanne Jacob, de croiser la représentation romanesque avec une entreprise critique, la littérature contemporaine, à travers notamment la tension du roman vers l'essai, se montre préoccupée de donner sens à l'expérience de vivre, voire de faire de sa transmission la vraie raison d'écrire.

Ce colloque se donne pour enjeu de voir comment la littérature, après l'ère du soupçon et celle de l'autofiction, renoue avec la notion de responsabilité, avec un désir de rendre compte du monde tel qu'il va, avec le souci, peut-être, de faire oeuvre utile, avec une croyance enfin en son propre pouvoir. En particulier, se perçoit chez un sujet qui s'affirme une rupture de l'indifférence, voire un désir de prendre l'autre en charge, de l'accompagner pour le soutenir ; la nécessité, en somme, d'un penser-à-l'autre qui puisse orienter un à-venir commun. Si la teneur de cette transformation est éthique, c'est qu'elle questionne les conditions actuelles d'un « comment vivre » que la littérature pourrait aider, voire être seule, à mettre au jour.

Quel est le sens de cette articulation, sinon nouvelle, du moins repensée entre le vivre et l'écrire, entre les histoires entendues et leur devenir-littérature, entre le vécu individuel et la valeur « éthique » qu'il va pouvoir prendre pour d'autres ?

Car cette littérature puise, pour actualiser la question du comment vivre, dans des expériences réelles ou lues, qu'elle refictionalise, fantasme, interprète, réinvente, afin d'en tirer un modèle de vie et d'en faire, sinon un exemple à suivre, du moins un exemplum à méditer – ce qui pose parfois, aux confins du juridique, la question de la légitimité. Comme dans les Vies minuscules de Pierre Michon, c'est la petitesse de ces existences, anonymes ou célèbres, qui est proposée à la réflexion, voire, étant donné de quel lointain elles nous reviennent, soumise à la comparaison avec nos vies propres, avec ce « contemporain » qui, plus qu'un nom du présent, en devient une valeur.

La littérature renoue alors avec des problématiques subjectales, mais sans rien sacrifier du social, qu'elle mobilise au contraire à travers les formes concrètes du relationnel – qu'il soit familial, politique ou littéraire ; interpersonnel ou intertextuel. C'est moins une morale individuelle qui est recherchée, qu'un engagement collectif envers l'enchaînement des générations. Sont alors questionnés les héritages, legs et modes de transmission, leur efficacité aussi bien que leurs impasses – littéraires, idéologiques, heuristiques.

Par là, ce sont la question des formes, ou plus largement des moyens de faire sens, et le problème de la valeur qui sont mis en jeu. Filiations littéraires et familiales, déclinaisons du biographique, modèles du conte et de la fable, variations génériques, omniprésence d'un « narrateur » en première personne et omnipotence de la littérature sont quelques-uns des moyens dont se dotent les écritures du contemporain pour interroger leur raison d'être, leur rapport au temps et leur façon d'actualiser l'expérience.