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Littérature et cosmopolitisme. Discours, poétiques, pratiques, circulations

Littérature et cosmopolitisme. Discours, poétiques, pratiques, circulations

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Guillaume Bridet)

 

Organisateurs : Guillaume Bridet (université de Dijon/CPTC), Xavier

Garnier (université Paris 3/THALIM), Sarga Moussa (CNRS/LIRE), Laëtitia

Zecchini (CNRS/THALIM)

 

Lieu : École Normale Supérieur (rue d'Ulm).

(salle Beckett jusquau 16 janvier et salle Cavaillès ensuite)

 

Dates : 10 octobre, 28 novembre et 12 décembre 2014, 16 janvier, 6 février,

13 mars, 10 avril, 22 mai 2015.

 

Horaires : 14h-16h

 

10 octobre (salle Beckett) : Séance d’introduction

 

28 novembre (salle Beckett) : Blaise Wilfert-Portal

A quoi sert le "cosmopolitisme" ? Circulations littéraires, littérature

mondiale et sciences sociales. Un point de vue historien

 

12 décembre (salle Beckett) : Jérôme David

Une histoire globale du haïku

 

16 janvier (salle Becket) : Tiphaine Samoyault

Monde, mondial, local : une nouvelle articulation

 

6 février (salle Cavaillès) : Ines G. Zupanov

Le cosmopolitisme missionnaires en Asie du Sud (XVIe-XVIIIe siècle)

 

13 mars (salle Cavaillès) : Daniel Lançon

Une histoire littéraire d'Alexandrie est-elle possible ?

 

10 avril (salle Cavaillès) : Emmanuel Lozerand

Qu'est-ce qu'un individu cosmopolite ? En lisant Sôseki

 

22 mai (salle Cavaillès) : Synthèse, perspective et débat

 

 

 

Objet du séminaire

 

 

À la suite de l’apparente unification du monde à l’enseigne des

démocraties libérales et de la prise de conscience du dérèglement de

notre écosystème humain à l’échelle planétaire, le cosmopolitisme est

devenu depuis une trentaine d’années une préoccupation centrale de

certaines disciplines. C’est le cas de la philosophie, aussi bien aux

États-Unis qu’en Allemagne ou en France, mais aussi de l’histoire, des

sciences politiques, de la sociologie, de l’anthropologie ou encore du

champ pluridisciplinaire des études culturelles et postcoloniales. Alors

même que, dans l’espace de la recherche littéraire anglophone, on

trouve aussi des travaux importants, on ne peut que relever le très

faible nombre de publications récentes centrées sur cette notion dans

l’espace contemporain de la recherche française en littérature. Pour

retrouver une présence plus importante, il faut remonter aux années

1960-1970, et c’est le nom de Charles Dédéyan qui s’impose plus

particulièrement, dans un champ de recherche comparatiste au sein

duquel les travaux d’Étiemble poussaient plus largement à porter le

regard au-delà de l’Europe pour envisager (vraiment) le monde entier.

Il a fallu sauf exceptions attendre la fin des années 1990 pour que se

développent à l’étranger, mais aussi en France, toute une série de

réflexions sur des notions connexes à celle de cosmopolitisme mais

non synonymes, comme celles de littérature mondiale (Franco Moretti,

David Damrosch, Tiphaine Samoyault, Christophe Pradeau, Jérôme

David), de globalisation culturelle (Arjun Appadurai), de tout-monde

et de créolisation (Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau), de

république mondiale des lettres (Pascale Casanova), de mondialisation

littéraire et intellectuelle (Benedict Anderson, Jean Perrot, Emmanuel

Fraisse), d’espace culturel transnational (Anna Boschetti), de

globalisation éditoriale (Gisèle Sapiro) ou encore de planétarité

(Gayatri Spivak). Cet état des lieux nous conduira à faire dialoguer les

études littéraires et les différents champs de recherche dans lesquels se

sont développées ces réflexions. Nous procèderons ainsi à des mises

au point terminologiques pour dégager la spécificité d’une réflexion

sur le cosmopolitisme et la pertinence qu’il peut y avoir à se saisir de

cette notion aujourd’hui.

 

Mais l’objet plus spécifique de ce séminaire n’est ni historique ni

disciplinaire. Il ne s’agit pas seulement pour nous d’identifier au fil des

siècles tel ou tel texte littéraire comme cosmopolite, mais d’activer une

manière cosmopolite de lire les textes littéraires qui manifeste une

expérience de l’étranger et une mondialité en partage – d’un étranger

considéré indissociablement comme un autre et comme partie du

même. Dans le sillage de la worldiness (« mondanité ») telle que la

définit Edward W. Said, il s’agit ainsi pour nous de lire les textes avec

la conscience aiguë que d’autres littératures, d’autres langues, d’autres

lieux et d’autres temps sont actifs au cœur même de ce qu’une lecture

indigène identifie habituellement comme affirmation ethnique et

surtout nationale. L’intérêt de ce séminaire s’inscrit de ce point de vue

dans une perspective historiographique et politique. Face à des

histoires de la littérature encore essentiellement écrites dans une

perspective nationale – c’est-à-dire considérant les œuvres et les

auteurs du point de vue de la nation, de sa cohérence, de son unité,

voire de son identité –, il s’agit de montrer qu’il est d’autres récits

historiques, d’autres modes de lecture possibles et d’autres

imaginaires, plus attentifs aux circulations et aux altérités et

contribuant ainsi eux-mêmes à la construction d’un monde en

commun.

 

La notion de cosmopolitisme conduit ainsi à sonder les soubassements

politiques de nos manières de lire et de nous raconter, au moins pour

deux raisons : 1) parce que, depuis plus de cent ans, l’adjectif

cosmopolite a souvent été brandi en Europe et ailleurs contre une

certaine catégorie d’écrivains et d’intellectuels accusés de trahir ce qui

serait leur vraie patrie (écrivains bourgeois prétendument décadents,

écrivains juifs, écrivains socialistes et communistes, écrivains

modernistes, etc.), 2) parce que, dans le contexte idéologique actuel

que marquent certains ouvrages récents, il est urgent d’allumer des

contre-feux à la tentation d’un repli national, voire nationaliste, de la

culture française sur son prestigieux passé. Emblème patrimonial et

objet d’enseignement, la littérature est particulièrement opportune pour

opérer ce type de déconstruction indissociablement critique et

politique.

 

Cette manière cosmopolite de lire les textes littéraires nous conduit

dans quatre directions.

 

1. Discours : Dans une perspective d’histoire des idées, il s’agira

d’abord de s’intéresser à des écrivains et à des œuvres qui ont mis en

avant la notion de cosmopolitisme, que ce soit pour la valoriser ou au

contraire pour la critiquer. Nous centrant essentiellement sur les

XIXe, XXe et XXI e siècles, qui voient l’histoire du monde peu à peu

se développer en régime mondial sous l’impulsion des impérialismes

coloniaux, mais sans nous interdire des regards vers les périodes

antérieures, nous prêterons une attention particulière aux polémiques

souvent très violentes qui opposèrent tenants et adversaires du

cosmopolitisme littéraire et dont certaines perdurent encore dans la vie

et dans la création littéraires d’aujourd’hui. Nous nous attarderons

ainsi particulièrement sur le XIXe siècle et sur la première moitié du

XXe siècle, dont on peut avoir le sentiment (mais ce serait là une

vision simplificatrice) qu’ils constituent une sorte de parenthèse

nationale, voire nationaliste, entre un siècle des Lumières qui aurait

exalté l’idée du cosmopolitisme des élites européennes, et une seconde

moitié de XXe siècle qui aurait vu émerger une forme de

cosmopolitisme littéraire et intellectuel mondialisé. L’enjeu sera ici, à

la fois d’identifier les points de résistance à l’idéal cosmopolite, mais

aussi d’opérer une relecture de l’histoire littéraire et culturelle afin

d’identifier la présence de contre-discours cosmopolites, non

seulement opposés à une perspective exclusivement nationale, mais

dépassant également, en pleine période d’expansion et de stabilisation

relative des empires coloniaux, des formes d’eurocentrisme et

d’ethnocentrisme.

 

2. Poétiques : Convaincus que la littérature ne fait pas que servir de

support à l’expression de tel ou tel discours qu’elle relaierait

passivement, nous chercherons à identifier ce que le cosmopolitisme

fait à la littérature (comme rapport au langage) et ce que la littérature

fait au cosmopolitisme (comme rapport au monde). Quelles sont les

formes que prend le cosmopolitisme littéraire ? À quoi ressemble une

œuvre littéraire cosmopolite ? Est-il possible d’identifier les traits

d’une poétique cosmopolite ? Quelles en seraient les constantes et les

variantes ? Et que serait alors une poétique vernaculaire ? Nous serons

par exemple attentifs à la présence de personnages, de figures de style,

de genres, de récits ou de modes énonciatifs identifiables comme

cosmopolites. Au-delà de ce qu’ils disent et éventuellement contre ce

qu’ils disent, nous chercherons à identifier des textes littéraires qui ont

à voir avec l’invention d’une forme (ou d’une non-forme) cosmopolite

et nous nous interrogerons donc sur la validité d’un tel

questionnement. N’est-ce pas aussi par ses formes que la littérature

contribue à une vision cosmopolite et à une prise de conscience

cosmopolitique dont certains prétendent qu’elles constituent

aujourd’hui un phénomène majeur ? Les pourfendeurs de l’art

dégénéré ou corrompu ne s’y trompent pas lorsqu’ils identifient

comme symptôme cosmopolite la prétendue dissolution des formes

associées traditionnellement aux différentes esthétiques nationales.

 

3. Pratiques : Afin d’éviter que la notion de cosmopolitisme prenne

un tour trop idéaliste et puisque nous voulons aussi nous interroger sur

ce qu’on fait avec les textes littéraires, nous nous intéresserons à

l’inscription de la littérature dans des institutions spécifiques. Qu’il

s’agisse de revues, de maisons d’édition ou d’organisations

internationales du type UNESCO, celles-ci déterminent en effet en

partie ce qu’elles établissent comme cosmopolites. Nous nous

intéresserons tout particulièrement à différents types de contextes et de

pratiques : contexte urbain des métropoles et des capitales culturelles,

contexte linguistique et pratiques d’écriture multilingue, contraintes

éditoriales et pratiques de traduction, mode de communication et de

circulation des œuvres et des écrivains d’un pays ou d’une région à

l’autre, etc. Lire et écrire en cosmopolite, cela relève d’une expérience

située. Quelles sont les conditions de possibilité d’une telle écriture et

d’une telle lecture et quels modes de subjectivation engendrent-elles ?

Là encore, le questionnement est politique ; il est aussi social et pose la

question de l’élitisme au moins supposé de l’ethos cosmopolite et de

l’opportunité qu’il y aurait à lui opposer un cosmopolitisme from

below ou un cosmopolitisme vernaculaire au cœur de nombreuses

discussions actuelles.

 

4. Circulations : Dans le sillage des études postcoloniales et des

études subalternistes qui problématisent les catégories de modernité,

d’universel ou de progrès en les historicisant et en les spatialisant, il

s’agira de quitter un point de vue centré sur l’Europe et reléguant la

plus grande partie du monde sur des marges forcément dérivatives,

attardées ou simplement imitatives. Contre les approches qui tendent à

faire de l’Europe le seul lieu de naissance du cosmopolitisme et

jusqu’au lieu de sa réalisation politique qui servirait actuellement de

modèle au reste du monde (Peter Coulmas), nous voulons nous

intéresser ainsi à des réflexions et à des pratiques littéraires

cosmopolites dans d’autres régions du globe, notamment en Afrique et

en Asie. Il s’agit moins pour nous d’examiner la question épineuse de

l’origine historique du cosmopolitisme que d’envisager cette notion de

manière décentrée, plurielle et transnationale. Nous étudierons les

inflexions particulières du cosmopolitisme en fonction des contextes

culturels dans lesquels ils se développent (Sheldon Pollock). Nous

observerons les éventuels échanges et regards croisés entre les

différentes traditions cosmopolites. Ces mises en regard multiples

favorisées par le dialogue avec des interlocuteurs étrangers devraient

permettre de décentrer et donc de repenser les pratiques, les poétiques

et les discours occidentaux, afin de favoriser l’avènement d’un

cosmopolitisme, non pas nécessairement moins situé, mais plus ouvert.